2 – Des présences rôdent-1

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2 ∞ DES PRÉSENCES RÔDENTJe montai me coucher, accompagnée de mon chat. Après m’être glissée dans les draps, j’admirais encore ma nouvelle chambre. Je m’y sentais bien. Je respirai l’odeur de peinture fraiche et éteignis la lumière. Archimède s’installa confortablement sur son coussin, au pied du lit. Il se passa quelques secondes avant que je réalise que j’étais cachée sous le drap, les mains plaquées sur les oreilles et les yeux grands ouverts. J’étais comme à l’affût de quelque chose. Le souffle court, la peur envahissait mes sens en alerte. Pour la première fois depuis mon arrivée, je venais d’avoir un de ces fameux frissons. Un frisson qui vous glace le sang. Je n’étais pas seule… Rassemblant tout mon courage, je parvins à m’extirper du lit et courus allumer la lumière. Prochain achat : une lampe de chevet, à portée de main. Recroquevillée contre la tête de lit, je me balançais d’avant en arrière, essayant de me détendre. Alors ici aussi, pensai-je avec inquiétude. Ce genre de situation m’arrivait souvent. Pas depuis le déménagement cependant… La nuit paraissait le moment le plus propice à ces visites envahissantes. Et malgré leur fréquence, je ne m’y étais toujours pas habituée. J’étais toujours aussi effrayée que le premier jour et j’avais encore les mêmes réactions. C’était toujours pareil. D’abord, un frisson, accompagné d’un doux parfum fleuri suivit d’une peur panique au contact d’un souffle, confirmant la présence de quelque chose, de quelqu’un. Parfois, c’était une chaleur soudaine qui me provoquait des suées, quelques fois des vertiges. Quand il m’arrivait d’avoir des fourmillements dans les mains, je savais désormais qu’il s’agissait d’une ’mauvaise’ présence. Je ne pouvais pas définir exactement ce qui se passait autour de moi, mais après l’avoir vécu tant de fois, j’en avais fini par conclure que des ‘esprits’, (il fallait bien mettre un nom sur ‘la chose’) me rendaient visite. Ou en tous cas, ils étaient présents là où je me trouvais. Et j’entends par ’mauvais’, des esprits maléfiques bien sûr. La sensation de présence était tellement importante et semblait tellement réelle que je m’attendais à voir apparaître quelqu’un à chaque instant. L’idée d’ouvrir les yeux et de voir qui ‘hantait’ la pièce me terrifiait. – Fichez moi la paix ! Peut-être bien que je n’agissais pas comme il le fallait. Peut-être que quelqu’un d’autre à ma place aurait tout fait pour exploiter ce don, cherchant à entrer en contact avec les esprits. Quelqu’un qui considérerait ce don comme une bénédiction. Moi, je fuyais l’invisible. Quel qu’il soit. Epuisée, je décidai finalement d’éteindre la lumière, me servant de l’éclairage de mon téléphone portable pour regagner mon lit. Jouant à faire coulisser la façade du téléphone, je repensais que pas plus tard que la veille, je me réjouissais de ne plus être dérangée la nuit. Je croyais que c’était dû au déménagement. Et voilà que ça recommençait. Je m’y attendais, en fin de compte. La nuit fut courte et mon sommeil agité. Je n’avais cependant pas oublié que ce matin, mon père débutait son premier jour de travail. Le prestigieux hôtel Heritage, situé en centre-ville, l’avait vivement sollicité afin de pourvoir au poste de chef cuisinier. Vu l’heure à laquelle je me levai, mon père devait être en train de travailler depuis un bon moment. – Petit-déjeuner Lily ! Ma mère avait pris l’habitude de me rappeler à l’ordre. Elle m’avait vu descendre les escaliers et m’installer dans le canapé devant la télévision. Elle savait qu’une fois encore, je tentais d’échapper au supplice d’avaler quelque chose, à peine réveillée. – Maman, aurais-tu mis mon jeans au sale par hasard ? Celui qui est un peu large… je l’ai cherché partout ! – Non, tu as regardé dans la salle de bain ? – Puisque je te dis qu’il est introuvable ! – Inutile de parler sur ce ton. C’est si important ? On finira bien par le retrouver. – Excuse-moi m’an. J’ai passé une mauvaise nuit. Je voulais le mettre pour aller à la fac. – Oh oui, j’avais complètement oublié que c’était aujourd’hui. Tu n’as qu’à mettre un autre pantalon. Avec tout ce que tu as, je ne veux pas t’entendre dire que tu n’as rien à te mettre. Pourquoi pas le jeans noir ? Celui qui te va si bien. Ne prends pas cet air-là, on dirait que c’est la première fois que je t’en parle. Garde celui qui te va trop grand pour traîner à la maison. – Tu as raison. Bon, je monte me préparer. Et maman, par pitié, je n’ai pas faim. Je me faufilai dans mon petit dressing, une serviette enroulée autour des cheveux quand ma mère m’appela du bas de l’escalier. – Comment comptes-tu aller à l’université ? Enchevêtrée dans les jambes de mon jeans, je trottinai vers l’escalier, trébuchant sur ma paire de ballerines qui traînait dans le couloir. – Je prends le bus. Il passe en bas du quartier et s’arrête juste devant. – Tu t’es bien renseignée au moins ? Et les tarifs ? Ma mère semblait anxieuse et stressait plus que moi quant à mon intégration. Devant mon expression lasse, elle se sentit obligée de se justifier. – Et bien quoi ? Tu pourrais te tromper de ligne de bus ou je ne sais quoi. Je ne voudrais pas que tu arrives en retard. Tu te feras assez remarquer comme ça. – Maman… – Rappelle-toi l’année où tu es… – Maman ! La coupai-je. Je ne suis plus un bébé. Je suis assez grande pour avoir pris la voiture, car devine quoi, j’ai le permis, oui je suis majeure aussi. Je suis allée me renseigner sur les lignes de bus, les horaires et les tarifs. – D’accord, d’accord. Ta pauvre mère est dépassée. Excuse-moi ma chérie, tu n’es plus une enfant, c’est vrai. Mais tu es et seras toujours mon bébé, ajouta-t-elle devant mon air satisfait. Et qu’attends-tu pour mettre ce pantalon ! Tu comptes rester comme ça longtemps ? Je baissai les yeux et admirai le tableau. J’avais attaché ma chemise lundi avec mardi et dans ma précipitation, je n’avais pas terminé d’enfiler mon jeans, resté à mi mollet. Je ris tout en me trémoussant afin qu’il glisse plus aisément jusqu’à la taille. J’arrêtai de respirer, rentrai le ventre au maximum et boutonnai le pantalon. – Et tu arrives à respirer, coincée là-dedans ? – Ça se porte comme ça… – Je sais, une fois de plus, je suis dépassée, ce n’est pas de mon temps, c’est ça ? On verra ce que tu diras quand le patte d’éph sera tendance à nouveau. Bon j’arrête de t’embêter. File te préparer. Hé! Célianne ! Elle file comme le vent cette petite, se dit-elle. Je réapparus en haut des marches. – Ta chemise ! – C’est fait ! Je voulais me lisser les cheveux, mais décidai de les laisser naturels par manque de motivation. Ils avaient pris une jolie forme, avec de belles ondulations. J’inspectais mon reflet dans le miroir, préférant rencontrer des personnes susceptibles d’être mes futurs amis en étant présentable. Je ne voulais pas en faire trop, simplement me plaire un minimum. Non, j’avoue que je n’aurais pas quitté la chambre sans me trouver irréprochable. J’essayais d’apprécier ma silhouette. Bien qu’harmonieuse, j’avais tendance à m’inspecter d’un œil un peu trop critique. Je n’étais pas très grande, mais assez selon moi. Avec des talons, j’atteignais le mètre soixante-dix, ce qui était amplement suffisant. Je regardais ma chevelure châtain avec satisfaction. L’unique attribut dont j’étais fière. Ce jour-là, ils avaient des reflets dorés. Motivée, je m’installai devant ma coiffeuse et entrepris un travail minutieux, munie d’un crayon noir et de mon mascara. Une fois le maquillage appliqué, j’enfilai mes ballerines et descendis au salon, remontant négligemment mes cheveux. Malgré tous mes efforts, je sentais la tension m’envahir peu à peu. Ma mère dessinait, assise face au chevalet posé devant la baie vitré, exposé de façon à se servir de la luminosité idéale. Je me rapprochai d’elle et posai la main sur son épaule. – Tu t’en sors ? – On peut dire ça, oui. Très jolie, complimenta-t-elle en jetant un rapide coup d’œil dans ma direction. Ça va bien se passer, ne t’en fais pas. Enfin, si tu arrives à l’heure, dit-elle en reportant à nouveau son attention sur la toile – Maman ! Ce n’est pas parce que j’ai raté ma rentrée UNE fois que tu vas l’évoquer tous les ans ! – Certes, mais il faut avouer que tu m’as bien fait culpabiliser de ne pas t’avoir accompagnée au lycée ce jour-là. Aurais-tu oublié dans quel état tu étais ? J’évitais de me rappeler ce jour qui figurait parmi les pires de mon existence. D’ordinaire, je ne supporte pas d’arriver en retard. Encore moins pendant les cours, préférant ne pas y aller du tout plutôt que de me ridiculiser devant toute la classe. Et bien ce jour fut au-delà de mon pire cauchemar. Non seulement j’étais arrivée en retard, attirant tous les regards inconnus sur moi, mais en plus de cela j’avais choisi de porter une jupe. Cet évènement m’avait dissuadé d’en porter pour toutes les rentrées à venir, car j’avais trébuché sur un sac, m’étalant de tout mon long sur l’estrade, jupe relevée, filant mon collant au passage. Au lieu de m’asseoir le plus dignement possible à ma place, je m’étais enfuie sous les railleries des autres élèves. J’avais pleuré dans les jupes de ma mère pendant plusieurs heures, persuadée de ne jamais m’en remettre. Inutile de préciser que cet évènement avait marqué les esprits. J’étais devenue la cible de quolibets quasiment quotidiens sans parler des sobriquets plus ridicules les uns que les autres. Ma mère pensait parfois que j’en étais encore traumatisée. La sonnerie du téléphone retentit et ma mère décrocha. Je l’interrogeai du regard. Elle articula sans mot dire le prénom de mon frère. J’en profitai pour regarder l’heure, sortir mon sac et une pochette contenant le strict nécessaire : un stylo et quelques feuilles. – Alors ? – Tu vas râler si je te dis pourquoi il a appelé. – Et je vais râler si tu ne me le dis pas non plus. – Ton frère m’a dit de faire en sorte que tu n’arrives pas en retard, dit-elle très rapidement, dans l’espoir que je ne comprenne pas. Je soupirai et me dirigeai vers la porte d’entrée. – Chérie, ne te vexe pas. Il s’inquiète pour toi, c’est normal. – Mais je ne suis pas vexée. Je stresse un peu voilà tout. Ma mère me regarda comme le premier jour où elle m’avait laissée dans la classe de maternelle. Comme ce jour où elle avait souffert de me voir si triste, ne comprenant pas pourquoi elle m’abandonnait avec tous ces gens. Ce jour où je n’étais qu’une toute petite fille, ne sachant encore ni lire ni écrire. Je m’attendais presque à ce qu’elle s’accroupisse pour me serrer dans ses bras. – Maman, arrête de me regarder comme ça. Je suis étudiante m’an. Allez ! Il ne manquerait plus que je te rassure avant de partir. – Ne dis pas de bêtises Lily, me dit-elle, replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille. J’avais vraiment l’impression qu’elle était émue. C’est bien ce que je disais. Elle revoyait son bébé entrer en première année d’école primaire. – Je sais écrire mon nom m’an. – Quoi ? – Non rien. N’oublie pas Archimède, il est en haut. Allez, j’y vais. Ne t’inquiète pas, je vais arriver bien en avance. Ma mère laissa échapper un long soupir tandis que je tournai les talons et me dirigeai vers l’arrêt de bus le plus proche. Arrivée devant l’université de Lincoln, je souris, soulagée d’y être enfin. Jetant un œil à ma montre, je constatai que j’avais encore une petite heure devant moi, ce qui était amplement suffisant pour repérer la salle où le cours avait lieu. Après avoir fait plusieurs fois le tour de l’établissement, cherchant désespérément l’amphithéâtre où devait se trouver les étudiants de ma section, je trouvai enfin l’écriteau indiquant l’accueil. (Bien moins facile à repérer que je le pensais.) Mon sens de l’orientation ne devait pas être innocent dans cette histoire. J’allai tout de même vérifier qu’il n’y ait aucun problème avec mon inscription. Mon frère avait fait les démarches administratives pour moi, il ne manquait plus que quelques papiers officiels à leur fournir. Je m’étais inscrite dans un cursus spécialisé, adapté aux étudiants dont la langue maternelle n’était pas l’anglais. Je devais passer un examen d’aptitude en début de semestre pour ensuite avoir un certificat. L’anglais était la matière principale obligatoire et j’avais choisi psychologie et civilisation maorie comme options facultatives. Une fois que j’eus déniché le bâtiment de ma section, je me dirigeai vers un tableau d’affichage que quelques étudiants examinaient attentivement. Je feignais de le regarder avec intérêt. Je ne voulais pas qu’on remarque que je ne maîtrisais pas la situation. Je déteste ça… ne pas avoir l’air sûre de moi. Ce qui était le cas en ce moment. J’étais angoissée, seule, et je ne savais absolument pas quoi faire du tout. Cependant, j’avais l’impression de bien cacher mon jeu. J’avais tout à fait l’air d’une étudiante informée et confiante. Je vérifiai tout de même que j’étais devant le bon numéro de salle et attendis, réfléchissant au fait qu’il ne fallait pas que j’oublie de parler anglais. Il m’était arrivé plus d’une fois de répondre dans ma langue maternelle depuis mon arrivée. L’habitude n’allait pas se perdre si facilement. Heureusement pour moi, l’anglais n’était pas un problème. J’allais intégrer ma nouvelle classe. Le semestre venait tout juste de commencer, mais j’étais malgré tout une nouvelle tête, une nouvelle attraction pour les curieux qui n’avaient rien d’autre à faire qu’inspecter les nouveaux venus. Enfin, je priais pour passer inaperçue… Le temps qui s’écoulait semblait interminable. J’entendais des chuchotements et surprenais quelques regards inquisiteurs. Après quelques minutes, je laissai mon esprit vagabonder, repensant à la nuit dernière. C’est alors que la sensation d’un contact furtif me figea. Une odeur enivrante s’en détachait. Un frisson me parcouru l’échine et la violence de cette manifestation fut semblable à un coup reçu dans le thorax, me coupant la respiration l’espace d’une fraction de seconde. Ce sentiment fut plus fort et plus intense qu’aucun auparavant. Comme si l’esprit que je sentais n’était pas à mes côtés, mais en moi. J’essayai de me ressaisir, ne désirant pas attirer encore plus les regards dans ma direction. Je m’éloignai du groupe et, la main contre ma poitrine, je pouvais sentir les battements de mon cœur, encore sous le choc.
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