Chapitre 4 Amyliana

1268 Words
Chapitre 4 Amyliana Ça fait maintenant plusieurs semaines que je n’ai pas vu Aaron, et ça commence à devenir sacrément long. Sa voix rauque me manque ; son sourire carnassier me manque ; ses iris gris me manquent ;son réconfort me manque ;sa force me manque. Il me manque. Chaque chose qui fait de lui ce qu’il est et qui m’a été reprise m’étouffe. Connaître l’endroit de son lieu de vie est une torture, savoir qu’on va lui donner la mort un jour est mon châtiment le plus extrême et le plus douloureux qu’il m’ait été infligé. Son absence dans mon quotidien me dévaste. J’ai l’impression d’être morte, d’être sans ressource, vide à trop me tourmenter. Depuis son départ, je ne suis plus moi. Je ne suis plus la Amyliana qu’il aimait, je ne suis plus cette femme pleine de courage qu’il a connue, je ne suis plus rien, même si je me refuse de lui montrer. Je ne dors que très peu, je ne mange que quelques bouchées obligées, je me gave de cachets pour apaiser mes songes éveillés, mes angoisses, mes maux d’âme qui ne peuvent s’empêcher de me faire du mal. Je ne me lève plus, je suis incapable de m’occuper dignement de mes gosses, incapable de les amener dans le même collège que j’ai fréquenté, incapable de leur sourire pour les rassurer quant à l’avenir, inapte à leur faire comprendre que mon vrai moi se meurt à chaque inspiration. Je ne suis plus qu’une loque, médiocre, incapable de se reprendre en mains mais capable de me foutre un masque de femme idéale le temps d’un samedi de visite. Mary et moi sommes revenues à Logen dès que nous avons su que nos hommes seraient incarcérés à Clast. Pourquoi Logen alors que nous avions fui cette ville avec envie et victoire ? Parce que nous étions plus proches de la prison, parce que les serbes acceptaient de nous rendre l’ancienne villa du Cobra tatoué tant que nous leur laissions le sous-sol pour stocker leurs marchandises, parce que quelque-part, c’est ici que tout a commencé. Depuis trois années maintenant, nous partageons les murs de cette gigantesque maison, nous partageons nos repas, mais pas seulement. Mary et moi vivons la même chose, nous n’avons pas besoin d’épiloguer durant des heures pour nous comprendre même si nous le faisons par envie. Tous nos maux y passent, même si certains regards remplacent les mots que nous nous efforçons de retenir. On n’a seulement pas la même façon de gérer notre histoire. Si moi je dépéris à trop déprimer, elle, elle revêt son tablier de femme forte pour veiller sur les gosses, même si l’espoir de voir sortir Jay est vain. Lorsque je descends dans la cuisine, Mary est occupée à faire la vaisselle du petit-déjeuner des enfants. Encore une fois, je ne me suis pas levée pour les miens. Honteuse, je m’installe sans faire de bruit à la table, fixe du regard le thermos fumant posé sur la nappe. — Ah ! Tu es levée ! Onze heures, un exploit ! Elle rit, mais son ironie transcende le ton de sa voix. — Désolée, maugrée-je. Le torchon avec lequel elle essuyait la vaisselle vole par-dessus son épaule avant qu’elle ne tire la chaise face à la mienne. Je tente un regard dans sa direction, mais me ravise quand je fais face à l’animosité du sien. Bras croisés et menton levé, Mary soupire avant de me lancer : — p****n, Amy, va falloir que tu te trouves un toit… Parce que moi, je n’en peux plus de cette situation. Je gère tes gosses, la mienne et… Elle renifle alors que je tripote l’ourlet de la manche de mon pull défraîchi. — Merde, je sais que c’est dur ! Moi aussi je galère sans Jay ! Mais la vie ne s’arrête pas, Amy, elle ne s’arrête pas tant qu’on ne sait pas la date ! Vis bordel de merde ! Mes larmes coulent le long de mes joues sans que je ne puisse les retenir. J’aimerais vivre, oui, mais faut bien avouer que la vie avait un autre sens avant, qu’elle en avait tout simplement. — Je ne sais pas comment faire, balbutié-je, c’est compliqué de me dire chaque jour qu’on n’en serait pas là si j’avais fait d’autres choix, si je ne le poussais pas sans cesse à devenir bon. Quand il a été incarcéré dans le couloir de la mort, mes rêves de vie de famille se sont effondrés, mes attentes de bonheur se sont rétamées. Vivre quand un être cher est en train de mourir est culpabilisant, pesant et asphyxiant. Chaque jour j’ouvre les yeux dans le confort d’un lit alors que j’ai conscience que lui n’a pas cette chance. Chaque jour je file sous une douche d’eau chaude durant laquelle mes tensions se dissipent légèrement tandis que lui doit se contenter d’un fin jet d’eau chaude une fois par semaine. Chaque jour la bouffe déborde des assiettes que nous servons aux enfants, les restes sont jetés en nombre jusqu’à en faire dégueuler les poubelles alors que lui maigrit à vue d’œil par manque de calories. Chaque jour je peux sortir dans le jardin de la villa et m’abriter du soleil sous le toit de la terrasse tandis que lui agonise sous la chaleur. Chaque jour je traverse le couloir, monte les escaliers et les redescends, sors et entre, respire et râle alors que lui n’a qu’à faire cinq pas pour atteindre chaque recoin de sa cellule. C’en est atroce. Tout ce que je fais, vis, mange, aime et respire me renvoie les conditions dans lesquelles mon homme est en train de mourir. Absolument tout. Subitement, Mary se relève, faisant crisser les pieds de sa chaise contre le carrelage écru de la cuisine. Son torchon atterrit violemment sur la table, ses poings s’abattent dessus avec force et colère. C’est hagarde que j’arrime mes yeux aux siens, surprise qu’elle pète un plomb. — Je te jure Amy, je te donne un mois pour changer, un seul. Je veux te voir t’occuper des enfants, je veux te voir souriante, je veux te voir être mère, et ce, tout le temps, pas uniquement les samedis de visite. Et si tu ne changes pas, bah je suis désolée, mais je serais obligée de parler de toi aux services sociaux et de te foutre dehors. Je n’en peux plus moi ! Je déglutis, mais hoche docilement la tête tandis qu’elle se redresse et sort dans le jardin. ∞ Allongée sur mon lit, mes iris ne quittent pas une seule seconde le plafond qui s’étend au-dessus de ma tête. Les paroles et la colère de Mary dansent dans ma tête, jusqu’à m’en donner mal au crâne. Elle a été dure avec moi, je trouve, même si elle a complétement raison. Il n’y a que ces fameux samedis que je me lève, que je respire, que je m’apprête, que mon sourire revient, que je redeviens mère. Je comprends sa haine, je capte même le courage qu’elle a de me supporter, de faire tout à ma place. Et pourtant, ses mots m’ont foutu la trouille. Les services sociaux… Ça m’effraie, ça me file la gerbe, ça me tord le ventre. Eux ne me laisseraient jamais mes enfants. Ils les prendraient, les placeraient dans un foyer ou mieux dans une famille d’accueil qu’ils finiraient par adorer et moi, je ne les verrais plus et je devrais révéler à Aaron la raison de ce placement. Mon dieu, je ne peux pas lui faire ça, je ne peux pas faire ça à mes enfants. Pour eux, je me suis toujours battue… Jusqu’à maintenant… Je me redresse, m’adosse contre le mur de ma chambre et regarde le bordel que j’ai laissé traîner depuis bien trop longtemps. Qui suis-je maintenant ? Une lâche, une sans âme, une sans vie, une personne sans but ni objectif alors que j’ai deux enfants à protéger. Je m’en veux. La honte monte une nouvelle fois en moi, encore plus que ce matin face au regard de Mary. Elle me percute, me gueule mes erreurs, me hurle de me reprendre, me crie de me bouger. Mais aussi vorace qu’elle puisse être, elle me tétanise. Parce qu’avoir honte de soi est la chose la plus douloureuse qu’il m’ait été donné de connaître.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD