Quatre

876 Words
QuatreLes Bastions, aile Jura, dépôt des Archives de l’Université, samedi, 1h00 Michael se promenait seul dans la vaste salle de dépôt. Un peu plus tôt dans la soirée, il avait eu l’idée saugrenue d’aller examiner de ses propres yeux la scène du crime, espérant un début de piste. Mais maintenant qu’il était dans cette salle glaciale, il n’était plus sûr de trouver son idée si sensationnelle. Il n’avait pas allumé la lumière mais avait pris une petite lampe de poche. Il n’avait aucune envie de se faire remarquer par le gardien de nuit même s’ils se connaissaient bien. Cela lui était arrivé régulièrement de travailler le soir pour avoir la paix. Le contact avec ses collègues lui était souvent insupportable. Il avait alors créé un lien avec l’agent de sécurité, autour d’un certain nombre de verres de son alcool maison qui avait la propriété de délier les langues les plus récalcitrantes. Il avança prudemment dans l’obscurité jusqu’à ce qu’il se retrouve devant les rails où s’était déroulé le meurtre. Il ne put s’empêcher de réprimer un frisson en apercevant dans la lumière de sa lampe-torche une tache brunâtre à l’endroit où s’était certainement trouvé Adrien. Il respira à fond et commença son inspection. Il n’y avait pas un instant à perdre, l’endroit sentait trop la mort pour qu’on puisse vouloir s’y éterniser. Il ne remarqua aucune scène de lutte. Les sacs en papier entassés contre les étagères semblaient être posés là depuis la nuit des temps. Est-ce que l’assassin avait pris Adrien par surprise ? Et qu’est-ce que ce dernier pouvait bien faire à cet endroit précis à 1 heure du matin ? Il devait bien y avoir une raison. Ses pensées partaient dans tous les sens. S’il continuait ainsi, il n’avait aucune chance d’aboutir à un début de piste. Il devait réfléchir avec logique. Il prit alors quelques secondes pour se calmer et continua son inspection à travers les titres des cartons alignés sur les étagères. Les rayonnages étaient remplis d’archives issues des fouilles effectuées par les chercheurs de l’Université de Genève depuis le début du XXe siècle à travers le Proche-Orient. Certains de ces dossiers constituaient les dernières traces de sites archéologiques ou d’objets irrémédiablement perdus dans les multiples conflits qui s’étaient abattus sur la région. En voyant l’état dans lequel ils étaient, abandonnés, inaccessibles parce que jamais inventoriés, Michael eut une pensée aigrie pour ce qui avait été auparavant son idéal. À ses yeux désormais, l’archéologie dans les pays du sud s’apparentait à une machine à pomper le patrimoine d’autrui dans le seul but de le stocker dans les caves moisies et aveugles de la vieille Europe. Michael commençait à désespérer de ne rien trouver quand un objet attira enfin son attention. Un carton au sommet d’une étagère était posé en équilibre comme si une personne avait essayé de le descendre sans y parvenir. Intrigué il prit un vieil escabeau à roulettes qui était posé un peu plus loin et grimpa dessus en calant sa lampe de poche entre ses dents afin d’avoir les deux mains libres. Malheureusement, le carton était encore hors de portée. Jurant, il se mit sur la pointe des pieds quand un bruit suspect lui fit perdre l’équilibre. Sa lampe de poche s’éteignit en tombant par terre et il se retrouva dans le noir. N’osant plus bouger, il tendit l’oreille essayant de trouver l’origine du son, mais le silence était à nouveau total. Avait-il rêvé ? Il tenta de se lever sans bruit quand il aperçut un faisceau de lumière à sa droite derrière une étagère. Le cœur battant, il alla alors se réfugier au fond de la grande salle. De sa cachette, il observa le faible rayon de lumière se balancer au rythme des pas silencieux. Il n’était donc pas seul. Qui pouvait bien s’aventurer dans un dépôt d’archives au milieu de la nuit ? La police ? Un collègue ? Le meurtrier ? Il se trouvait dans une situation inconfortable et sentit une crampe envahir ses jambes ankylosées. Il n’allait pas tenir dans cette posture accroupie encore longtemps. Il était bien tenté de bouger mais une pile de cabas menaçait de s’effondrer au moindre de ses mouvements et il n’avait aucune envie de se faire remarquer. Il serra alors les dents, espérant que le visiteur nocturne ne s’éternise pas plus que de raison. Au bout de quelques minutes, qui semblaient être une éternité pour Michael, le rayon de lumière s’éloigna laissant enfin l’obscurité reprendre ses droits. Trop concentré à ne pas s’effondrer sous la douleur de ses crampes, le jeune homme n’avait pas pu voir le visage du mystérieux visiteur. Il se força à rester encore immobile quelques instants de plus afin de s’assurer que l’intrus était bel et bien parti, puis se laissa tomber emportant dans sa suite une pile de sacs en papier remplis de vieux documents. Dès qu’il retrouva sa mobilité, il se leva péniblement et se dirigea à tâtons vers la sortie. Il avait hâte de s’éloigner de cet endroit sordide. Une fois chez lui, il se servit une bière bien méritée et s’adossa à la fenêtre pour réfléchir à la situation qu’il venait de vivre. Il était mal à l’aise à l’idée de n’avoir pas été le seul à visiter la salle de dépôt pendant la nuit. Était-ce le meurtrier qui voulait se débarrasser d’un indice compromettant ? Si c’était le cas, où cet indice pouvait-il bien se cacher ? Il repensa alors au carton qu’il avait trouvé posé en équilibre sur le bord de l’étagère. Dans sa précipitation, il l’avait complètement oublié et n’avait pas vérifié qu’il s’y trouvait encore. Il se maudit. La journée du dimanche sera longue, se dit-il, la boule au ventre. C’était bien la première fois qu’il était si impatient de retourner travailler.
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