Chapitre 3
Les couloirs étaient silencieux, tapissés de bois sombre, éclairés par des lumières dorées qui semblaient flotter. On passait devant plusieurs portes closes, derrière lesquelles filtraient parfois un rire étouffé, un soupir, ou simplement le bruit léger de l’eau.
— Il y a deux sections VIP, précisa l’homme en marchant. Une pour les femmes, une pour les hommes.
Je hochai la tête sans répondre. Puis, au détour d’un couloir, mon regard fut happé.
Derrière une large vitre dépoli, légèrement transparente, une salle s’offrait à moitié à la vue.
Une femme était allongée sur une table, nue sous une serviette blanche. Ses hanches rondes épousaient la lumière, ses bras détendus pendaient de chaque côté, ses cheveux bruns glissant sur le rebord.
Deux masseuses travaillaient lentement sur son dos, méthodiques, précises.
Je m’arrêtai net.
Matteo fit quelques pas avant de se retourner, me suivant du regard.
Je ne dis rien. Je regardais simplement.
Ce n’était pas de la curiosité vulgaire c’était… autre chose. Une intuition. Quelque chose dans sa posture, dans la façon dont elle respirait, calme et maîtrisée, contrastait avec le luxe du lieu.
Deux hommes en costume sombre se tenaient devant la porte des gardes du corps. L’un d’eux portait une oreillette, l’autre scrutait chaque passant.
Je fronçai les sourcils.
— Une cliente importante, apparemment, dis-je.
Matteo hocha la tête, un peu mal à l’aise.
— Oui. Ce genre d’endroit attire des gens… puissants.
Je restai un instant à observer. La vapeur légère, les gestes précis des masseuses, la peau humide de la femme, la discipline des gardes à la porte. Tout respirait le contrôle, la richesse… et un secret.
— Avance, Matteo, dis-je en fixant encore la vitre. Va t’offrir un massage, toi aussi.
Il me lança un regard surpris.
— Et toi ?
— Matteo, avance. J’ai dit.
Je n’avais pas élevé la voix, mais mon ton ne laissait pas de place à la discussion. Il hésita, soupira, puis s’exécuta à contrecœur. J’entendis ses pas s’éloigner sur le sol en marbre, pendant que je restais planté là, face à la salle vitrée.
Je ne sais pas ce qui me retenait. Peut-être la curiosité. Peut-être ce besoin absurde de contrôler jusqu’à la moindre chose qui m’échappait.
Mais alors que je faisais un pas de plus, une voix sèche me coupa.
— Monsieur, c’est une séance privée. Vous n’avez pas le droit de rester ici.
Deux gardes du corps. Costumes sombres, oreillettes, épaules larges. Des chiens de garde bien dressés.
Je tournai lentement la tête vers eux, un sourire froid étirant mes lèvres.
— Et vous savez à qui vous parlez ?
Le plus grand fronça les sourcils, mal à l’aise. L’autre posa instinctivement la main sur sa ceinture réflexe de protection, ridicule.
Matteo revint en courant, le visage tendu.
— Léo, laisse tomber. Excuse-les, ils font juste leur boulot.
Je levai une main pour l’arrêter.
— Non, Matteo. Ils viennent de m’interdire un regard. Dans ma propre ville.
Le ton était calme, posé. Trop calme. Ce qui, chez moi, voulait toujours dire dangereux.
Les deux hommes échangèrent un regard incertain. Ils savaient qu’ils avaient déclenché quelque chose, mais ne comprenaient pas encore quoi.
Et c’est à cet instant que la porte s’ouvrit.
Un parfum cher, floral et boisé, envahit le couloir avant même que je ne la voie.
Elle sortit, droite, sûre d’elle, drapée dans une robe de soie noire qui soulignait ses hanches et effleurait le sol.
Ses cheveux encore humides encadraient un visage parfait trop parfait.
Beauté rare, maîtrisée, arrogante.
Une femme qui savait exactement qui elle était.
Elle s’arrêta devant nous, ses gardes se redressant aussitôt.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda-t-elle d’une voix douce, mais autoritaire.
Ses yeux balayèrent la scène les gardes nerveux, Matteo crispé, et moi, immobile, les mains dans les poches.
Le plus grand s’empressa de répondre :
— Madame Isabella, cet homme perturbait votre tranquillité, nous lui avons simplement
— Madame Isabella ? répétai-je lentement, en arquant un sourcil.
Matteo intervint aussitôt.
— Madame Isabella, désolé pour ce malentendu. C’était… une erreur.
Elle le regarda enfin, un bref sourire apparaissant sur ses lèvres.
— Matteo. Bonjour.
Je fronçai les sourcils.
— Tu la connais ?
Elle tourna la tête vers moi, son regard planté dans le mien. Froid. Intrigué.
— Et lui, c’est qui ?
Matteo déglutit.
— Euh… Isabella, je vous présente Leonardo… Leonardo De Luca. Le fils de—
Elle ne le laissa pas finir.
— Oui, je vois de qui il s’agit.
Je haussai un sourcil, amusé.
— Vous me connaissez donc.
— Disons que le nom De Luca n’est pas très commun, répondit-elle en croisant les bras. On sait à qui il appartient.
Je souris, sans chaleur.
— Intéressant. Parce que moi, Isabella, je ne vous connais pas.
Elle rit doucement, un rire qui ressemblait plus à un défi qu’à de l’amusement.
— C’est normal. Je ne vous connais pas non plus. Pas vous. Juste… votre nom. Et ça suffit pour deviner qui vous êtes.
Elle jeta un bref coup d’œil à Matteo.
— Demandez donc à votre ami. Il vous dira qui je suis.
Puis elle fit un pas en arrière, tourna sur ses talons, et s’éloigna dans le couloir, suivie de ses gardes.
Je la regardai s’éloigner sans dire un mot.
Son parfum resta suspendu dans l’air, comme un écho.
Elle n’avait pas eu besoin de lever la voix pour imposer le silence autour d’elle.
Et pour la première fois depuis mon retour à Rome, je sentis une chose étrange : un intérêt.
Pas du respect. Pas du désir.
Quelque chose de plus dangereux.
Je murmurai, presque pour moi-même :
— Isabella ...