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Les Années

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Le temps, Virginia Woolf n'a pas d'autre sujet dans ce roman publié en 1937.Apparemment, "Les Années" raconte l’histoire de la famille Pargiter sur trois générations. Pourtant, après plusieurs centaines de pages, on ne saura pas grand chose des événements de la vie de Milly, Eleanor, Edward, Morris, Rose et Martin. Loin des faits, Virginia Woolf construit un véritable roman impressionniste : tout en fragments, en petites touches. Visions d’instants qui se juxtaposent, finissent par laisser deviner quelques éléments de ces destins croisés, et surtout plongent le lecteur dans un bain de sensations assez déroutant.Ce roman est considéré comme une parfaite illustration de l’écriture du monologue intérieur – un procédé littéraire théorisé au XXe siècle et très utilisé par Joyce, Larbaud, etc. Au fil des pages, on est happé par le brouillard déformant des pensées des personnages. Tout est sentiment, rien n’est rationnel. Il ne s’agit pas pour autant du monologue intérieur d’un seul personnage : les  changements de points de vue sont au contraire fréquents, et donnent une impression de staccato qui contraste avec l’apparent respect de la chronologie, chaque partie du roman correspondant à une année."Les Années" a vraiment un charme dérangeant : on ne peut pas être indifférent à l’écriture à la fois très picturale et très musicale de Virginia Woolf, mais le malaise constant des personnages, qui ne se trouvent jamais vraiment à leur place, finit par être contagieux, donnant au lecteur le même sentiment étrange qu’ont pu avoir les spectateurs de The Hours, le film de Stephen Daldry inspiré de "Mrs Dalloway". Une expérience littéraire à faire !

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1880-1
1880 C’était un printemps incertain. Le temps variait sans cesse et chassait des nuages bleus et pourprés au-dessus du pays. Dans la campagne, les fermiers regardaient leurs champs avec méfiance ; à Londres, les gens ouvraient et fermaient leurs parapluies en interrogeant le ciel. Mais on doit s’attendre à ces changements-là en avril. Des milliers de commis des magasins Whiteley et de l’Army and Navy faisaient cette remarque en tendant des paquets soigneusement pliés aux dames à falbalas, debout de l’autre côté du comptoir. D’interminables processions d’acheteurs dans le quartier de l’ouest, et d’hommes d’affaires dans celui de l’est, défilaient sur les trottoirs, semblables à des caravanes en marche incessante. Du moins la comparaison s’imposait à ceux qui, pour une raison ou l’autre, s’arrêtaient un instant, soit pour mettre une lettre à la poste, soit en se plantant à la fenêtre d’un club de Piccadilly. Le flot des landaus, des victorias et des cabs s’écoulait sans arrêt, car la saison débutait. Dans les rues plus tranquilles, les musiciens ambulants lançaient leur mince filet de son, presque toujours mélancolique. Du haut des branches, ici à Hyde Park, ou là à Saint James, le pépiement des moineaux, les brusques éclats de voix intermittents de la grive amoureuse leur faisaient écho ou les parodiaient. Les ramiers des squares s’agitaient à la cime des arbres ; ils laissaient tomber une ou deux brindilles et roucoulaient leur berceuse toujours interrompue. L’après-midi, les grilles de Marble Arch et d’Apsley House étaient bloquées par des dames en robes multicolores, à tournures, et par des messieurs en jaquettes, armés de cannes et l’œillet à la boutonnière. Voici que passait la princesse ; et, sur son passage, les chapeaux se levaient. Au fond des sous-sols des longues avenues, dans les quartiers chics, les femmes de chambre en bonnets et tabliers préparaient le thé. Montée par des détours, la théière d’argent était placée sur la table ; vierges et vieilles filles, de leurs mains qui avaient pansé les plaies de Bermondsey et de Hoxton, mesuraient soigneusement une, deux, trois, quatre cuillerées de thé. Au coucher du soleil, des millions de petites flammes de gaz, dont la forme rappelait les ocelles des plumes de paon, jaillissaient dans leurs cages de verre, sans effacer, cependant, de longues traînées d’ombre sur le trottoir. La lueur des lampes et le soleil couchant se reflétaient également sur les eaux placides de Rond-Point et de la Serpentine. Des invités qui allaient dîner en ville lançaient un regard sur le charmant panorama en traversant le pont au trot des cabs. Enfin la lune se levait ; sa pièce d’argent poli, bien qu’obscurcie par des traînées de nuages, brillait sereine, sévère, ou peut-être tout à fait indifférente. Tournoyant sans hâte, comme les rayons d’un projecteur, les jours, les semaines et les années passaient les uns après les autres à travers le ciel. Le colonel Abel Pargiter discourait, assis dans une des salles de son club, après déjeuner. Ses compagnons, enfoncés dans leurs fauteuils de cuir, étaient du même type que lui. Anciens militaires ou fonctionnaires retraités, ils pouvaient, à l’aide de vieilles plaisanteries et d’anecdotes, faire revivre leur passé aux Indes, en Afrique et en Égypte. Par une transition naturelle, ils en étaient venus au présent. Il s’agissait d’un rendez-vous, un rendez-vous éventuel. Brusquement, le plus jeune et le plus élégant des trois se pencha en avant. Hier, il avait déjeuné avec… Ici le causeur laissa tomber sa voix. Les deux autres s’inclinèrent vers lui. D’un geste bref de la main, le colonel Abel congédia le garçon qui enlevait les tasses à café. Les trois têtes chauves et grisonnantes se tinrent un instant rapprochées, puis le colonel Abel se renversa dans son fauteuil. La lueur de curiosité qui avait passé dans leurs regards à tous quand le major Elkin avait commencé son récit s’était complètement effacée de sa propre physionomie. Il tenait les yeux fixés devant lui, des yeux bleus vifs, un peu crispés, et plissés aux coins, comme s’il leur fallait encore se protéger contre la lumière éblouissante de l’Orient ou éviter la poussière. Une pensée avait frappé le colonel, elle enlevait tout intérêt à ce que disaient ses amis et, même, le rendait désagréable. Il se leva, vint à la fenêtre et abaissa son regard sur Piccadilly. Le cigare à la main, il voyait d’en haut défiler le sommet des omnibus, des cabs, des victorias et des landaus. Il prit un air détaché ; il avait lâché tout ça. Et tandis qu’il considérait cette agitation, une ombre se figea sur son beau visage rouge. Une idée lui venait soudain, une question à poser ; il se retourna, mais ses amis s’étaient dispersés. Elkin se dépêchait déjà de passer la porte, Brand s’éloignait pour parler à un autre interlocuteur. Le colonel Pargiter ferma les lèvres sur les paroles qu’il aurait pu prononcer et retourna à la fenêtre qui dominait Piccadilly. Dans la rue encombrée, chacun, semblait-il, avait un but en vue. Chacun se hâtait vers quelque rendez-vous. Les dames elles-mêmes, qui parcouraient Piccadilly au trot de leurs victorias et de leurs coupés, allaient vers des occupations précises. Les gens rentraient à Londres et s’installaient pour la saison. Mais en ce qui concernait le colonel Pargiter la saison n’existait pas, il ne pouvait rien faire. Sa femme était mourante, et elle ne mourait pas. Elle allait mieux aujourd’hui, irait plus mal demain ; une nouvelle infirmière venait, et cela continuerait ainsi. Il ramassa un journal, en tourna les pages. La façade ouest de la cathédrale de Cologne s’offrit à sa vue, il la considéra puis il lança le journal au milieu des autres. Un de ces jours – euphémisme dont il se servait pour désigner le temps où sa femme serait morte – il renoncerait à Londres ; il songea qu’il habiterait la campagne. Mais il avait sa maison, ses enfants, et aussi… son expression changea, s’éclaira, tout en devenant un peu furtive, gênée. Il lui restait quand même un endroit où aller. Il avait gardé cette certitude au fond de sa pensée, pendant les commérages de ses amis. Et lorsqu’il s’était retourné pour ne plus trouver personne, il avait pu appliquer ce baume sur sa plaie. Il irait chez Mira ; Mira du moins serait heureuse de le voir. Et c’est ainsi qu’au sortir du club, au lieu de se diriger à l’est comme les hommes d’affaires, ou vers l’ouest du côté de sa maison d’Abercorn Terrace, il prit un sentier durci, à travers Green Park, qui conduisait à Westminster. L’herbe était très verte ; les feuilles commençaient à percer ; de petites griffes, comme des griffes d’oiseaux, se pressaient hors des branches ; tout était scintillant, animé ; l’air avait un parfum propre, vivifiant. Mais le colonel Pargiter ne voyait ni le gazon ni les arbres. Il marchait à grands pas dans le parc, son pardessus bien boutonné, le regard fixé droit devant lui. Arrivé à Westminster, il fit halte. Ce côté de l’affaire ne lui plaisait pas. Il s’arrêtait chaque fois qu’il approchait de l’étroite rue écrasée par l’énorme masse de l’abbaye, la rue aux petites maisons minables, dont les fenêtres s’ornaient de rideaux jaunes et de cartes collées à la vitre, la rue où le marchand de gâteaux semblait toujours agiter sa sonnette, où les enfants criaient et sautillaient de chaque côté des raies blanches tracées à la craie sur le trottoir. Le colonel lança des coups d’œil à droite et à gauche, puis il s’avança d’un pas très vif jusqu’au numéro 30. Il sonna, le regard rivé sur la porte, la tête un peu penchée. Il ne tenait pas à être vu sur ce seuil. Il n’aimait pas qu’on le fît attendre. Il n’aimait pas que Mrs. Sims vînt lui ouvrir. On sentait toujours une odeur dans la maison, on voyait toujours du linge sale pendu sur une corde dans le jardin du fond. Il monta l’escalier d’un pas lourd, l’air maussade et entra dans le salon. Personne ne s’y trouvait ; il venait trop tôt. Ses yeux erraient autour de la pièce avec déplaisir. Trop de bibelots s’entassaient partout. Il ne s’y sentait pas à sa place, par trop volumineux lorsqu’il se dressa de toute sa hauteur devant la cheminée drapée, en face d’un écran sur lequel était peint un martin-pêcheur posé sur des roseaux. Des pas pressés s’affairaient sur le plancher au-dessus. N’est-elle pas seule ? se demanda-t-il en prêtant l’oreille. Des enfants criaient au-dehors, dans la rue. C’était sordide, mesquin, sournois. Un de ces jours, se dit-il… mais la porte s’ouvrit et laissa passer Mira, sa maîtresse. « Oh ! Bogy chéri ! » s’écria-t-elle. Ses cheveux étaient en désordre ; elle avait un air poussiéreux, mais elle était beaucoup plus jeune que lui et paraissait sincèrement heureuse de le voir. Le petit chien bondissait sur elle. « Lulu, Lulu, fit-elle en attrapant le chien d’une main tandis qu’elle portait l’autre à ses cheveux. Viens, laisse oncle Bogy t’examiner. » Le colonel s’installa dans le fauteuil d’osier qui grinça. Elle lui posa le chien sur les genoux. Derrière une des oreilles de l’animal, il y avait une tache rouge. De l’eczéma peut-être. Le colonel mit son lorgnon et se pencha pour regarder l’oreille. Mira embrassa son amant dans le cou, à l’endroit où le col s’arrête. Puis le lorgnon tomba. Elle s’en saisit et le plaça sur le museau du chien. Le vieux colonel était mal en train, aujourd’hui. Quelque chose n’allait pas dans ce monde mystérieux des clubs et de la vie familiale dont il ne lui parlait jamais. Il était arrivé avant qu’elle ne fût coiffée, ce qui était fâcheux. Mais son devoir était de le distraire. Alors elle se trémoussa, de-ci de-là. Son embonpoint croissant lui permettait encore de se glisser entre la table et le fauteuil ; elle repoussa l’écran, et sans donner au colonel le temps d’intervenir, elle mit une allumette sous le maigre feu de ce garni. Ensuite elle se pencha sur le bras du fauteuil. « Oh ! Mira ! dit-elle, avec un coup d’œil au miroir, en changeant ses épingles de place, quelle horrible désordonnée tu fais ! » Elle lâcha une longue mèche qu’elle laissa pendre sur ses épaules. Ses cheveux aux reflets dorés étaient beaux encore, bien qu’elle approchât de la quarantaine et que, à dire vrai, elle eût une fille de huit ans en pension chez des amis, à Bedford. Les cheveux se dénouèrent d’eux-mêmes, entraînés par leur poids, et Bogy, à cette vue, se pencha pour les embrasser. Un orgue de Barbarie se mit à jouer au bas de la rue, où tous les enfants se précipitèrent, ce qui produisit un silence immédiat. Le colonel caressa la nuque de Mira ; sa main qui avait perdu deux doigts explora un peu plus bas, à l’endroit où le cou rejoint les épaules. Mira se glissa à terre et appuya le dos contre le genou de son amant. On entendit un craquement sur l’escalier ; quelqu’un frappa comme pour les avertir de sa présence. Aussitôt Mira rassembla ses cheveux, se leva et referma la porte sur elle. Le colonel, qui était méthodique, examina encore l’oreille du chien. Était-ce de l’eczéma ? Ou n’était-ce pas de l’eczéma ? Il considéra la tache rouge, puis il remit le chien sur ses pattes dans le panier et attendit. Ce chuchotement prolongé sur le palier ne lui plaisait pas. Mira revint enfin ; elle paraissait préoccupée, ce qui lui donnait l’air vieux. Elle fureta sous les coussins, les housses. Elle voulait son sac, disait-elle. Où avait-elle mis son sac ? Au milieu de tant d’objets épars, il pouvait se trouver n’importe où. C’était un sac mince, sentant la misère, qu’elle découvrit sous les coussins, dans un coin du canapé. Elle le tourna sens dessus dessous. Lorsqu’elle le secoua, des mouchoirs, des bouts de papier tordus s’en échappèrent, avec des pièces d’argent et de bronze. Mais une pièce d’or aurait dû s’y trouver, dit-elle. « Je suis sûre que j’en avais une, hier, murmura-t-elle. – Combien ? » demanda le colonel. Cela se montait à une livre – non, à une livre, huit shillings et six pence, et elle marmotta quelque chose à propos de la blanchisseuse. Le colonel fit glisser de son étui d’or deux pièces d’une livre, pour les lui donner. Elle les emporta et les chuchotements reprirent sur le palier.

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