2 – Mercredi 2 septembre

3414 Words
2 Mercredi 2 septembreMarc Renard était détective privé et exerçait en solo depuis que son associée avait choisi de suivre son petit ami à l’autre bout du monde, sous le soleil de la Nouvelle-Calédonie. Il travaillait en marge des grosses agences, prenant sa part sur le marché des turpitudes humaines. Ses clients n’étaient pas toujours des plus fortunés mais lui permettaient de vivre à peu près correctement, à condition de ne pas tirer trop de traites sur l’avenir. La matinée approchait de son terme. Dans son logement situé au centre-ville de Rennes, rue Dupont-des-Loges, qui faisait à la fois office de bureau et de garçonnière, Renard s’assit devant la table où était installé son ordinateur et y déposa une tasse de café noir. Il alluma son PC pour prendre connaissance des courriels reçus. Parmi la dizaine de messages, deux retinrent son attention. Le premier émanait d’un patron de PME. Un de ses cadres lui présentait des frais de déplacement exorbitants. L’employeur souhaitait que celui-ci soit pris en filature afin de vérifier que ses tournées relevaient bien de son activité professionnelle. Renard avait déjà traité des affaires de ce genre. Il se promit de rappeler le patron de la PME. L’autre courriel contenait toute une série d’insultes et de menaces à son encontre. Non signé, comme d’habitude. En dépit du sacro-saint secret professionnel qui unissait Renard à ses clients, des fuites se produisaient de temps à autre, et Renard se retrouvait la cible de propos vengeurs. Généralement, cela n’allait pas plus loin que les simples noms d’oiseau. Renard imprima l’e-mail du patron soupçonneux et effaça tous les autres. Il consulta sa montre. Jean Turpin, alias Jeannot, propriétaire du Blue Moon, devait avoir quitté les bras de son Mimi chéri. Renard but une gorgée de café et composa son numéro. Quelques tonalités plus tard, la voix de Jeannot se fit entendre sur un fond de reggae. — Jeannot, c’est moi, Marc Renard. Il perçut quelques raclements de gorge, Jeannot devait s’éclaircir la voix, puis la musique cessa. — Ton type est parti sur le coup de trois heures. Il a d’abord été en veine, a touché pas mal, mais il n’a pas su s’arrêter. Au total, il a perdu gros. — Combien ? — Un peu plus de vingt mille. — Il a payé ? — Une partie seulement. Il a fait un chèque de cinq mille euros. Il devra s’acquitter du solde sous huit jours. — Son créancier ? — Un gars qui a fait fortune dans les enseignes hard discount des zones industrielles. Les gens ne s’imaginent pas ce que peuvent gagner les patrons de ce genre de business. Je préfère ne pas te donner son nom si ce n’est pas nécessaire. — Ça ne l’est pas. Tu m’envoies des photos et un petit topo ? — C’est comme si c’était fait, Marc. Renard remercia brièvement et mit fin à la communication. Il porta la tasse à ses lèvres et but le reste de café. Une quinzaine de jours auparavant, il avait reçu la visite de Sylvie Maréchal, épouse de Frédéric Maréchal, chirurgien cardiaque. Un as. Le nec plus ultra dans sa branche. On se l’arrachait, à condition d’avoir les moyens de payer les confortables dépassements d’honoraires. Il fallait aussi lui fournir un substantiel dessous-de-table pour figurer en pole position sur la liste d’attente. Mais l’époux de Sylvie, sommité médicale, praticien de l’impossible, avait un défaut rédhibitoire : il jouait. Du lourd. Sa femme avait menacé de divorcer s’il ne mettait pas un terme à son addiction. Frédéric le lui avait juré : c’était fini, une fois pour toutes, il renonçait à sa passion. Mais après s’être fait interdire de casino, il s’était rabattu sur les cercles de jeux, puis les salles non officielles comme celle du Blue Moon. Sylvie ne tombait plus dans le piège des astreintes ou urgences à assurer jusqu’au milieu de la nuit. Elle était maintenant convaincue que les talents nocturnes de son époux s’exerçaient autant sur les tables de jeux que sur celles d’interventions chirurgicales. Désireuse de mettre tous les atouts de son côté dans sa future demande de divorce, elle avait contacté Marc Renard pour obtenir la preuve que son mari n’avait pas renoncé à son vice. Un clignotement sur sa messagerie indiqua à Renard qu’il avait reçu un courriel. Jeannot n’avait pas perdu de temps et lui adressait deux fichiers. Le premier contenait une photo. On y voyait Frédéric Maréchal en compagnie de quatre hommes dont les visages avaient été floutés. Le chirurgien, lèvres serrées et front plissé, tenait des cartes à la main. Dans son deuxième envoi, Jeannot relatait la soirée en quelques lignes et indiquait le montant de la perte de Maréchal : vingt-deux mille euros. Renard imprima les deux documents. Puis il saisit son téléphone pour appeler Sylvie Maréchal. * * * À dix-huit heures, Marc Renard quitta l’ancien hôtel particulier, domicile des Maréchal, boulevard de Sévigné. Il se rendit ensuite à une succursale de son agence bancaire pour déposer le chèque que lui avait remis l’épouse du chirurgien. Sa journée s’achèverait par une visite chez l’homme qui l’avait contacté la veille au soir, au Blue Moon. Une affaire de disparition, l’avait informé une voix rocailleuse. Renard retira un carnet de sa poche de veste pour vérifier l’identité et l’adresse de son client : Marcel Griffard, mail Félix-Leclerc, Chantepie. Il prit la direction de la banlieue sud-est de Rennes. À cette heure, la circulation était dense, et il lui fallut plus de trois quarts d’heure pour atteindre sa destination. Le temps d’entendre les toujours réjouissantes nouvelles à la radio. Plus d’une centaine de migrants africains, dont de nombreux enfants, étaient morts dans un naufrage au large de l’Italie. À cheval entre l’Irak et la Syrie, des salafistes djihadistes faisaient régner la terreur sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne qu’ils avaient purement et simplement annexé. Une sordide histoire de chantage opposait deux internationaux de football. Un patron du CAC 40 partait à la retraite avec un parachute doré de quatre millions d’euros pour le récompenser d’avoir conduit sa boîte au bord du dépôt de bilan. Renard coupa la radio en arrivant dans la commune. Il n’y avait pas mis les pieds depuis longtemps et ne reconnut pas la paisible cité dont il conservait le souvenir. Ici, comme ailleurs, on densifiait l’habitat. Les nouveaux quartiers exhibaient un curieux mélange de maisons individuelles enchâssées au milieu d’habitats collectifs. La logique de l’ensemble échappait à Renard qui aurait volontiers approuvé une loi obligeant les architectes et autres urbanistes à vivre un certain nombre d’années dans les sites qu’ils avaient conçus puis édifiés. Il se gara devant l’immeuble abritant l’appartement des époux Griffard. Ceux-ci habitaient au quatrième et dernier étage d’un collectif qui faisait curieusement face à des logements à ossature en bois. Renard se présenta à l’interphone, et une voix rugueuse lui signifia qu’il pouvait entrer. Après un petit déclic, il poussa la porte, franchit le hall et se dirigea vers l’ascenseur. Le quatrième étage disposait de deux portes palières. L’une s’ouvrit à l’instant où Renard quittait la cabine. — Monsieur Marcel Griffard ? lança-t-il à l’homme qui s’encadrait dans le chambranle. Celui-ci répondit d’un signe de tête et, du geste, invita le détective à pénétrer dans l’appartement. Suivant Griffard, Renard traversa un vestibule jusqu’à un salon pourvu de larges baies vitrées au-delà desquelles on distinguait quelques parcelles de verdure. Une petite femme, très pâle, vint à leur rencontre. — Mon épouse, Bernadette, annonça Griffard. Elle salua Renard d’un sourire timide. Elle paraissait minuscule aux côtés de son mari qui possédait un physique de lutteur, aussi large que haut, avec une tête énorme, aux cheveux roux en bataille, reposant sur un cou de taureau. Au milieu de la face rubiconde, un nez largement épaté exposait sa couperose. — Vous buvez quelque chose ? demanda-t-il. Renard déclina l’offre. Mme Griffard lui proposa de s’asseoir. Son mari jeta un œil torve en direction des bouteilles d’alcool qui trônaient sur une table roulante et finit par poser son ample postérieur sur un divan près de sa femme. Renard s’installa dans un fauteuil, en face d’eux. — C’est la première fois que je rencontre un détective privé, commença Griffard. C’est Bernadette qui en a eu l’idée. Alors, comme ça, vous passez une bonne partie de votre temps au service des cocus ? Enfin, moi ce que j’en dis, hein, faut bien gagner sa vie ! — Je préférerais que nous en venions tout de suite au problème qui vous concerne, répondit fraîchement Renard. — C’est notre fils, dit aussitôt Bernadette, les yeux baissés vers le sol. — Laisse, intervint Griffard. C’est moi qui vais expliquer ce qui est arrivé. Sans quoi, tu vas encore pleurer et on risque de ne pas avancer. Thomas, notre garçon, a disparu depuis trois mois. Renard nota le ton, un peu radouci. — Dans quelles conditions ? — Dans quelles conditions ? Ben, un soir, il n’est pas rentré. C’était le 13 juin, un samedi. Il était allé à un concert. — Quel concert ? — On n’en sait rien, il est sorti en nous disant qu’il partait retrouver des copains et écouter de la musique. — Quel âge a Thomas ? — Seize ans. Il aura dix-sept ans le mois prochain. — Scolarité ? — Normale. Il est en première. Il n’a pas de mérite, il paraît qu’on ne redouble plus. Mais là, il va louper la rentrée ! — Il lui était déjà arrivé de fuguer ? — Deux ou trois fois. Il avait passé la nuit dehors avec des copains. Mais il rappliquait toujours le lendemain matin. — Des problèmes ? Griffard soupira. — Ah ça ! Il nous a valu un lot d’emmerdes ! Il sèche les cours. Le CPE nous a convoqués plus d’une fois. Des difficultés d’intégration scolaire, d’adaptation, des trucs comme ça. — De mauvaises fréquentations aussi, dit Bernadette, jetant un coup d’œil vers son mari, comme pour s’excuser d’intervenir sans demander la permission. — La police ? interrogea Renard. — Rien, répondit Griffard d’un ton à nouveau dur. C’est pour ça qu’on fait appel à vous. Ils en sont au point zéro. Une b***e d’incapables ! D’après eux, il paraît que le cas de notre fils n’est pas isolé, que les ados fugueurs c’est relativement courant. Y en a qui reviennent d’eux-mêmes, mais pas le nôtre, en tout cas. Le seul point positif, c’est que pour les flics il est vraisemblable que Thomas soit toujours en vie. Si… s’il ne l’était plus, la police le saurait. — Et il a été vu à Rennes ! s’exclama Bernadette Griffard. Thomas est bien vivant ! Marc Renard se pencha vers elle. — Qui l’a vu ? Et où ? — Une de nos voisines. Elle était dans un bus, place de la République, et elle a reconnu Thomas. Il était en compagnie de jeunes habillés, vous savez, avec des sortes de surplus militaires. — Ou elle a confondu, coupa Griffard, d’une voix morne. — Non, Nadine connaît bien Thomas, elle n’a pas pu se tromper. D’ailleurs, on nous avait dit qu’il fréquentait des jeunes du côté de la place Sainte-Anne. — Il y a combien de temps que votre voisine l’a aperçu ? questionna Renard. — Deux semaines. — Donnez-moi ses coordonnées. Il nota les informations que lui dicta Bernadette Griffard. — C’est pour ça qu’on fait appel à vous, dit Griffard. On est retournés voir la police, mais les recherches n’ont évidemment rien donné. Moi-même, je suis allé montrer une photo de Thomas à plusieurs de ces jeunes feignasses qui traînent en ville, sans résultat. Tout ce qu’ils voulaient, c’était me taxer un peu de fric, mais pas question que je leur lâche un centime. Des coups de pied au cul, oui ! Il s’interrompit, souffla bruyamment. — On compte sur vous ! Il vous faut nous le ramener. Il ne manquerait plus qu’il fasse des conneries qui nous retombent dessus. Il est encore mineur, c’est nous qui serions responsables. — Voyons, il n’y a pas que ça, Marcel ! s’offusqua Bernadette. Il y a surtout que Thomas nous manque. Ces derniers mots avaient eu de la peine à sortir de sa bouche. Elle avait produit des efforts perceptibles pour maîtriser sa voix et retenir les sanglots qui auraient exaspéré son mari. — Il me faut une photo de Thomas, demanda Renard. Bernadette fit quelques pas vers un buffet. Elle revint avec une enveloppe de papier kraft qu’elle lui remit avant de reprendre place sur le divan. — Voici des photos récentes de notre fils. Celle du dessus est la dernière en date, elle a moins de six mois. Thomas ressemblait beaucoup à sa mère, avec un joli visage à l’ovale finement dessiné, et on y décelait une semblable mélancolie dans le regard. Pour un garçon qui n’avait pas encore atteint sa dix-septième année, sa physionomie était celle d’un jeune adulte. Renard regarda vers le balcon. Griffard devança sa question. — Elle n’a pas été prise ici, mais sur le balcon de notre ancien appartement, juste avant notre déménagement. On habitait dans la ZUP sud de Rennes, mais le quartier devenait trop mal fréquenté. — Voyons, Marcel, tu exagères. L’intervention de Bernadette avait été faite à mi-voix, avec une évidente nuance de reproche. — Quoi, j’exagère ! Moi, je n’ai pas peur de dire ce que je pense ! La diversité, c’est bien à condition que chacun reste chez soi. Voilà ! Et puis, d’avoir déménagé, ça m’arrange. J’embauche du personnel pour les entreprises du bâtiment. Avec tout ce qui se construit dans le coin, je ne suis jamais très loin du boulot. Renard détaillait les clichés de Thomas, sans prêter attention à Griffard. On y voyait le jeune homme en différents lieux, seul, ou avec sa mère en vacances au bord de la mer. Certains avaient été pris lors de sorties scolaires. L’ado souriait rarement. Renard faisait glisser les tirages entre ses mains, passant de l’un à l’autre. Finalement, il arrêta son choix sur un instantané du jeune homme, debout en survêtement, à côté de ce qui semblait être une porte de garage. Là non plus, son visage n’avait rien de bien joyeux, mais apparemment, c’était son expression habituelle. — Puis-je la conserver le temps de mon enquête ? Tous deux acquiescèrent. Renard poursuivit : — Votre fils avait des copains ? — Probablement, mais on n’en a pas vu un seul ici, répliqua Griffard. Vous savez, Thomas, il fallait lui arracher les mots de la bouche pour savoir à quoi il s’occupait. — Notre garçon est très réservé, ajouta Bernadette. Très secret. — Je le vois en compagnie d’une jeune fille sur plusieurs photos, remarqua Renard, qui les présenta à ses interlocuteurs. — C’est Nolwenn, énonça Bernadette Griffard. — Pas ça qu’il lui fallait, grommela son mari. Des piercings et tatouages un peu partout. Toujours à traîner dans le quartier avec une b***e de petits voyous. — Près de votre ancienne adresse ? Griffard approuva. — C’était la petite copine de votre fils ? Il y eut un silence, et les Griffard échangèrent un regard. Bernadette prit la parole : — C’est la seule de ses amis que Thomas a amenée chez nous. Ils étaient dans la même classe au lycée Bréquigny et passaient beaucoup de temps ensemble. Je crois qu’ils s’aimaient bien tous les deux. — À votre avis, Thomas continuait-il à voir Nolwenn après votre déménagement ? — Je ne peux vous le dire, franchement, je ne sais pas, poursuivit Bernadette. En tout cas, elle n’est jamais venue ici. — Vous avez l’adresse de cette jeune fille ? — Elle habite chez ses parents, square de Setubal, non loin de notre ancien logement. Nolwenn Débord. — À côté de la mosquée ! jeta Griffard d’un ton rogue. — Vous allez la rencontrer ? questionna sa femme. Vous trouverez l’adresse et le numéro de téléphone de ses parents dans l’annuaire. — C’est fort possible, répondit Renard, griffonnant les renseignements concernant Nolwenn sur un carnet. Les jours précédant la disparition de votre fils, le 13 juin, aviez-vous remarqué des changements dans son comportement, son humeur, son moral ? — La police nous l’a déjà demandé, et on vous fera la même réponse : toujours aussi peu causant, aussi impénétrable. On avait l’impression qu’il vivait dans un monde dont on était exclus. (Marcel Griffard lâcha un soupir de dépit.) Le conseiller d’éducation nous recommandait d’établir le dialogue, j’aurais voulu l’y voir… Autant causer avec un mollusque. — Il devait posséder un téléphone portable ? — Oui, bien sûr. Il n’a répondu à aucun de nos appels. — J’aimerais jeter un coup d’œil à sa chambre. — Comme vous voudrez. Accompagne-le donc, Bernadette ! Renard posa le jeu de photos sur une tablette, conservant celle qu’il avait choisie, et emboîta le pas à Bernadette Griffard. Ils suivirent un couloir, et elle ouvrit une porte avant de s’effacer pour le laisser passer. La chambre était petite et abritait un lit à une place. Les murs étaient placardés de posters de groupes inconnus de Renard. Une guitare était posée à la verticale contre un bureau. — Votre fils faisait de la musique ? Pour la première fois, la mère de Thomas esquissa un sourire. — Il avait commencé une méthode, et ça lui plaisait vraiment. (Le sourire disparut.) Enfin, il n’en jouait qu’en l’absence de son père. Pour Marcel, c’était du temps perdu. — Thomas s’entendait bien avec son père ? Bernadette Griffard lança un coup d’œil vers la porte, comme pour s’assurer que la silhouette imposante de son mari ne faisait pas son apparition. — Marcel manque de patience. Il élève la voix à la moindre contrariété. Thomas, qui est émotif, le supportait très mal. Voilà pourquoi il passait tellement de temps dans sa chambre. Elle était comme… son refuge. — Excusez-moi, je vais être direct : votre mari a-t-il levé la main sur Thomas ? Bernadette grimaça. — Oui, c’est arrivé mais très rarement. Elle ajouta précipitamment : — N’en concluez pas que c’est la raison pour laquelle Thomas aurait fugué. — À ce stade, je serais bien en peine de conclure quoi que ce soit, madame, répondit Renard. Il tourna sur lui-même, inspectant la chambre, cherchant à se faire une idée de la personnalité du garçon. Il s’approcha d’une étagère. Une pile de CD voisinait avec une demi-douzaine d’ouvrages. Deux titres retinrent son attention : Une saison en enfer et Le Festin nu. Rimbaud, Burroughs, Thomas avait un penchant pour les écrivains maudits, pensa Renard. Qui donc lui avait dit un jour : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es » ? Il désigna l’ordinateur. — Voyez-vous un inconvénient à ce que je le mette en route ? Bernadette remua la tête en signe de dénégation. Renard appuya sur le bouton de démarrage. Au bout de quelques instants, l’écran s’éclaira. Renard cliqua sur la flèche de déroulement de l’historique. Celui-ci était vide. Était-ce Thomas qui avait pris soin de l’effacer ? Sans conviction, il ouvrit le traitement de texte. En vain, celui-ci était également vierge de toute information. Renard referma le PC. Il désigna les tiroirs du bureau. — Vous pouvez les inspecter, mais nous les avons déjà fouillés en détail ainsi que la police. Ils ne contiennent rien qui puisse nous renseigner sur la disparition de Thomas. — Dans ce cas, je crois que j’ai vu tout ce qui était susceptible de m’être utile, dit Renard. Ils retournèrent au salon. Griffard était toujours assis sur le divan, un verre de whisky à la main. — Alors ? Vous avez déniché quelque chose ? s’enquit-il avec un mouvement de menton vers l’extérieur du salon. — Rien qui puisse m’autoriser à vous dire que j’ai un début de piste. Griffard s’extirpa du canapé, but une gorgée d’alcool. — Rien qui puisse m’autoriser… Vous causez bien pour un détective privé. Il va vous falloir combien de temps pour retrouver notre fils ? — Je me donne une dizaine de jours, monsieur Griffard. Passé ce délai, je serai au regret d’abandonner les recherches. * * * Quelques minutes plus tard, Renard avait réintégré son Astra, lesté d’un chèque de cinq cents euros que lui avait signé Griffard. S’il parvenait à mettre la main sur Thomas, il triplerait le montant de sa facture. L’affaire ne se présentait pas sous les meilleurs auspices. Les parents de Thomas ne lui avaient guère fourni de renseignements exploitables. Renard essaya d’imaginer l’existence du jeune homme de seize ans, qu’on lui avait présenté comme très introverti, entre un père dominateur, autoritaire, peut-être brutal à l’occasion, et une mère plus qu’effacée. L’ambiance ne devait pas être à la sérénité. S’il avait une chance de retrouver Thomas, c’était en enquêtant auprès de ses relations. Si Thomas frayait avec des marginaux, comme le soupçonnait sa mère, l’un ou l’autre consentirait peut-être à lui refiler un tuyau qu’il se serait bien gardé de balancer aux flics. Il étira sa jambe gauche qui était engourdie. Une séquelle de cette balle reçue à bout portant à Carnac et qui aurait pu l’expédier dans l’autre monde1. Les médecins lui avaient promis qu’il retrouverait son entière liberté de mouvement, mais la gêne perdurait. Peut-être ne s’était-il pas montré assez assidu aux séances de rééducation. Il eut envie d’une cigarette. Après avoir recommencé à fumer, il avait arrêté, il y avait peu. Il se demandait d’ailleurs pourquoi. Il consulta sa montre : vingt heures. Pas trop tard pour joindre Nolwenn Débord, ou, plus vraisemblablement, ses parents au préalable. Sur l’écran de son portable, il se mit à la recherche de l’annuaire électronique. Un seul Débord résidait square de Setubal, à Rennes. Ce fut la mère de Nolwenn qui prit l’appel téléphonique, et Marc Renard dut recourir à toute la diplomatie dont il était capable pour éviter de se faire raccrocher au nez. D’un ton excédé, il l’entendit appeler un certain Bernard, qui devait être son mari. Le contact avec Débord père s’avéra des plus laborieux. Lui et sa famille ne voulaient plus entendre parler de la disparition de Thomas Griffard. La police était déjà venue interroger leur fille, celle-ci ne pouvait rien ajouter aux explications qu’elle avait fournies concernant Thomas et ce qu’elle savait de sa vie, c’est-à-dire pas grand-chose. Bref, ils ne souhaitaient plus être importunés au sujet de cette affaire. Renard comprit qu’il devrait la jouer fine pour établir un dialogue avec Débord. Il fallait l’amadouer, le rassurer. Il fit patte de velours, exprima toute sa compréhension. Il mit en avant son sérieux et son professionnalisme. Il mentit effrontément et raconta qu’il disposait d’éléments nouveaux susceptibles de faire progresser les recherches, mais qu’il devait absolument rencontrer Nolwenn. Il garantit que l’entretien prendrait très peu de temps. Après avoir renâclé, Débord finit par accepter de le recevoir, le lendemain vers dix-neuf heures. Renard le remercia et mit fin à la communication. Il soupira de soulagement. Il s’attendait à beaucoup plus de réticences. Finalement, le type lui faisait l’effet d’un faux dur, du genre qui élève la voix pour montrer son autorité, mais à qui il est aisé de faire faire machine arrière. 1. Voir Série noire à Carnac.
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