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1867 Words
Accompagnée de mon père, je rentre dans mon appartement silencieusement. Mes parents vivent trois tours plus loin que la mienne, ils sont proches, mais comme je préfère être chez moi, j’ai voulu rentrer malgré la situation dans laquelle je me retrouve. Papa me conduit jusqu'à ma chambre, ayant du mal à accepter le fait que je veuille rester seule après cette journée traumatisante. Je m’installe sur mon lit, décidant de retirer le gilet que j’aie sur les épaules pour le poser sur la chaise dans le coin de la chambre. – Je peux rester sur le canapé, me dit papa. – Non, ça va aller, je souffle. Maman va s’inquiéter, tu devrais rentrer. Mon père, cinquante-neuf ans, ouvrier depuis toujours, a le visage marqué par ses années de travail et la vie à Primera. Il espérait que j’ai un meilleur avenir que celui qui semble se dessiner pour moi, mais pour de fausses excuses, j’ai négligé mes études et me suis donc retrouvée dans ce logement social à bosser pour l’une des rares bijouteries de la ville. Je ne vais pas oser prétendre que ça le rend moins fier de moi que ce qu’il espérait, mais j’imagine qu’il doit se dire que je suis capable de tellement mieux et pourtant, je me contente de ce quartier de cette vie horrible. Un papa qui sait qu’il a fait les mauvais choix et que ces choix-là, l’ont menés à la vie qu’il a eu et qu’il refuse que ses enfants fassent pareils. – Bon, il souffle. Tu appelles au moindre souci, il me dit. Je hoche la tête et je m’allonge dans les couvertures. Je le regarde s’éloigner, lui demandant de laisser la lumière du couloir allumée et la porte de la chambre ouverte. Il le fait sans poser de questions et quand je l’entends sortir de chez moi en fermant à clés derrière lui, je lâche enfin prise et je pleure tout ce que je me suis empêchée de pleurer toute la journée en la présence de mes parents. Je dégage les couvertures de mon corps et je sors du lit, renfilant mon gilet et mes baskets. J’attends un petit moment, après avoir séché mes larmes, je décide de sortir chez moi pour monter trois étages afin de tambouriner chez Farid. – Samia, je sais que tu es là, ouvre ! Je crie depuis le couloir. Je tape encore bien que j’alerte les voisins qui se demandent quoi. – Samia ! Je hurle plus fort en tapant mes deux poings sur la porte qui s’ouvre sur la lycéenne. Où est ton frère ? Je demande. – Pas là, elle me répond. Je suis désolée, je te jure que je ne savais pas qu’il allait faire ça ! Elle dit en larmes. Il m’avait juste demandée de te retenir, mais je pensais que ça allait suffire de te demander de me ramener au lycée ! Je ris faussement, séchant mes larmes. – Me retenir ? Je questionne. – Oui, elle dit dans ses sanglots. Je ne savais pas qu’il allait faire ça ! Il m’a tuée en rentrant tout à l’heure ! S’il te plaît, ne crie pas, mon petit-frère dort. – Où est Farid ? Je redemande. Dis-le-moi sinon je le balance aux flics ! Elle ne me répond pas. – Samia, je te jure que je vais le balance aux flics si tu ne me dis pas où il est, je redis. – Sam, pourquoi tu pleures ? Vient lui demander Mohammed, leur petit frère. – Pour rien, retourne dormir, demain, il y a école, elle dit. Farid va crier s’il te voit debout maintenant ! Le petit repart l’air de rien. Il a neuf ans. Ils sont orphelins et sous la responsabilité de Farid depuis que leurs parents ont péri dans l’incendie de leur immeuble, trois ans plus tôt. – Je te jure que je ne savais pas ce qu’il allait faire, me redit Samia. Je me penche sur la rambarde de l’escalier quand j’entends du bruit plus bas. Je descends d’un étage et je remonte dès, je comprends que des gens sont chez moi. Je m’enferme chez Samia lui demandant de se taire alors qu’elle pleure davantage face à ce qu’il se passe. Je cherche après mon téléphone, mais puisque je ne le trouve pas, je demande à Sam de me passer le sien qu’elle part chercher pour que je puisse appeler la police. Quand j’entends la voix des flics s’étouffer dans la tour, je sors de l’appartement en demandant à Samia de faire semblant qu’elle n’a rien vue, rien entendue, si jamais ils viennent frapper chez elle. Je descends l’escalier, me tapant à nouveau un interrogatoire sur ce que j’aurais pu voir ou entendre, comment je suis sortie de l’appartement, y étais-je quand ils sont arrivés… Ils constatent rapidement qu’il n’y a pas eu d’effractions puisque comme j’étais partie frapper chez Farid, je n’ai pas pensé à fermer la porte derrière moi. Ils me demandent si je vois des choses manquantes chez moi et à part mon téléphone et mon sac à main, je ne vois rien. Les flics partent après une heure et demie à me questionner et à tourner en rond chez moi ainsi qu’aux alentours de l’immeuble pour voir si les cambrioleurs sont dans le coin, puis, ils s’en vont. Pendant qu’ils descendent l’escalier, je vois Farid le monter en les reluquant passer à côté de lui. Il s’assure de les voir descendre puis il me regarde. – Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il me demande. – J’imagine que ce sont les conséquences au fait que tu n’as pas pressée la détente ce matin, je dis la haine sur le bout de la langue. – Tu ne t’étais pas censée être là, il me souffle. – Mais j’étais là, je souligne. Et ton copain a tué mon patron, je précise. – Je sais, il répond. J’étais avec des bras cassés qui ont peur pour la suite, il me dit. Tu ne devrais pas rester seule. On ne sait jamais. – Donne-moi son nom, je dis. Pour Hector, pour sa femme et ses enfants, je souligne. Pour que ce mec soit jugé et que je ne le croise jamais. Le silence qu’il laisse régner me fait comprendre qu’il ne me dira rien. – Je suis prête à te balancer, Farid, je précise. – Je n’ai pas peur de toi, il me répond en attrapant ma mâchoire. Tu vas faire quoi ? Pleurer à ton père ? Pleurer à ta mère ? Tu feras quoi quand je les aurai tués tous les deux histoire que tu comprennes que tu dois fermer ta gueule ? – C’est la réaction typique du mec qui sait qu’il a tout à craindre de moi, que tu as là, je souligne. Tu pourras décimer ma famille entière si tu veux, il n’empêchera jamais qu’à moi, tu ne feras jamais rien… Et… un jour, tu commettras une erreur et ce jour-là, ils t’attraperont et ils feront de toi la plus grande des balances qu’ils aient jamais eues entre leurs mains parce que tu sais quoi, Farid ? Tu as une sœur et un frère qui ont besoin que tu sois en liberté ! Il lâche ma mâchoire, me poussant au passage pour m’éloigner de lui. – Si tu leur donnes un nom, ils feront de toi une indic, il me dit. Tu seras donc une cible pour les gens qui bossent pour moi et je refuse que ça arrive. – Comme c’est touchant, je souffle. Des gens viennent de rentrer chez moi sûrement parce qu’ils savaient que j’étais là, mais par chance, j’étais en haut à demander à ta sœur où tu étais, je précise. Ils m’ont pris mon sac et mon téléphone. – Et tu veux prendre le risque de balancer des noms ? Il demande. Je ne dis rien. – Marion, je ne voulais pas – Va te faire foutre, je le coupe. Tu n’as jamais rien voulu et pourtant, depuis que tu es dans ce business, le quartier est à feu et à sang ! Je m’exclame. Tu as fait torturer Xavier pour donner l’exemple de ce qui arriverait aux jeunes qui voulaient rentrer dans la bac ! Il ne me dit rien. – Tu as cambriolé des mamies sans défense parce qu’elles avaient parlé ! Tu as fait tabasser l’une d’elles parce qu’elle songeait à te vendre ! – Je fais ça pour protéger ma famille ! Il me hurle dessus. Je fais ça parce que je veux me barrer d’ici ! Je veux qu’ils aient un avenir ! – Arrête un peu ! Je hurle plus fort. Si tu veux qu’ils aient un avenir, range-toi ! Il rit faussement. – Me ranger pour gagner un salaire aussi minable que le tien et compter mes sous pour tenir jusqu’à la prochaine paie ? Il demande. Je ne réponds pas. Surtout qu’il touche les aides de l’état, notamment celle des allocations familiales étant donné qu’il élève sa sœur et son frère. – Je me fais plus d’argent en un mois que tu en amasses en une année, il me dit. – C’est bien, je dis. Sors de chez moi, maintenant. – Non, il refuse. Tu feras quoi, s’ils reviennent ? – J’espèrerai qu’ils appuient sur la détente, eux, je réponds. – Arrête, il souffle. Monte avec moi, ne reste pas ici. – Va te faire foutre, Farid. – Ne m'oblige pas à le faire de force. – Donne-moi son nom. – Non, il refuse encore. C’était une erreur. – Dis ça à la femme et aux enfants d’Hector, je souffle. Il ne me dit rien. Il étouffe juste son souffle et il cogne son épaule sur le mur du couloir de l’entrée. Il semble vouloir m’aider, mais on dirait qu’il songe à quelque chose en retour. – Fais rentrer le frère de Xavier dans le quartier et je te donne son prénom, me dit Farid. Je ris faussement. – Pourquoi je ferai ça ? Je questionne. Tu comptes lui faire quoi ? – Ça ne te regarde pas, il me dit. Fais-le venir et je te donne le nom. – Va te faire foutre. – Ok, alors… continues de dire à la femme et aux enfants de ton patron que tu n’as rien vu, rien entendu, il me souffle. – Plutôt mourir que t’aider à t’implanter encore plus. – Ok, Marion, il accepte. Tu sais où me trouver, si jamais. Je ne dis rien. Il pince doucement ma mâchoire et il attrape ma nuque pour venir m’embrasser, mais à peine nos lèvres se touchent que je le repousse. – Je ne travaillerais jamais pour toi, je dis. – Tu le fais déjà en leur mentant, il répond. – Tu es trop confiant, ça finira par te perdre. – On dirait que ça t’inquiète… Comme si c’était le cas. Tout ce que je souhaite, finalement, c’est qu’il paie pour tout ce qu’il a fait. Je ne veux juste pas être la raison pour laquelle il se sera fait arrêter. Je sais très bien ce qui arrivera à la personne, si jamais un jour quelqu’un le vend aux flics. Je refuse de mourir à cause d’une bêtise pareille.
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