Chapitre 10 — Sa cousine 10

991 Words
Éric La chambre est plongée dans une pénombre chaude. Les rideaux sont tirés. Le silence est presque irréel, comme si ce lieu appartenait à une autre dimension. Un monde hors du temps, hors des lois, hors de moi. Un monde qu’elle a bâti en dehors de la morale, un sanctuaire où tout ce que je pensais être devient ridicule. Jade est allongée sur le lit, le peignoir ouvert comme une offrande négligente. Une jambe nue par-dessus l’autre, une main sur son ventre, l’autre posée sur l’oreiller comme si elle tenait un sceptre invisible. Elle ne dit rien. Elle attend. Je suis debout, encore. Hésitant. En équilibre au bord de quelque chose. Peut-être de moi-même. Je devrais parler. Dire quelque chose. M’excuser peut-être. Lui demander si tout ça veut dire quelque chose, s’il y a un “nous”, une suite, un repère. Mais j’ai perdu le langage. J’ai perdu mon nom. Elle tend la main vers moi. Et moi, comme un chien appelé par sa maîtresse, je m’approche. Je m’allonge près d’elle, sans un mot, sans une résistance. Mon souffle se cale sur le sien. Mon corps épouse le sien avec une docilité presque animale. Elle me tourne le dos. Je glisse contre elle. Mon torse contre son dos. Mes bras l’entourent. J’hésite encore, un peu. Puis elle attrape ma main et la pose sur sa poitrine nue. Lentement. Fermement. Elle verrouille mes doigts autour d’elle. Et tout explose à l’intérieur. Ce n’est pas du sexe. Pas cette fois. Pas de brutalité, pas de gémissements, pas de sueur ni de guerre des corps. Juste ça : sa peau contre la mienne. Sa chaleur qui m’infiltre. Et moi qui la pénètre sans la pénétrer. Je l’habite ailleurs. Dans cette zone interdite entre la tendresse et la dépendance. Elle le sait. Elle l’a décidé. Son dos contre mon torse. Sa nuque contre mes lèvres. Son odeur me remplit la tête : fleur blanche, chaleur nocturne, domination tranquille. Je pourrais mourir là. Littéralement. Et ça ressemblerait à une forme de paix. — Tu penses trop, murmure-t-elle dans le noir. Sa voix est une lame enveloppée de velours. Je ne sais pas si elle me parle ou si elle lit directement dans mon crâne. — C’est ton problème, Éric. Tu veux comprendre ce que tu ressens. Mais avec moi… il faut juste ressentir. Elle attrape ma main, la serre plus fort. Puis elle la fait descendre lentement sur son ventre. Elle respire plus profondément. Son rythme devient le mien. Comme si elle m’accordait une partition secrète. Une transe. — Tu sais pourquoi tu m’obsèdes ? Je ne réponds pas. J’ai peur de la réponse. Ou pire : peur d’être d’accord avec elle. — Ce n’est pas parce que tu m’aimes. C’est parce que je suis la seule chose que tu ne peux pas posséder. Je reste figé. Elle continue, implacable. — Même ta femme, tu la possèdes. Tu la connais. Tu sais comment elle pense. Tu l’as rangée dans une case confortable. Mais moi… je ne suis pas à toi. Je ne suis même pas à moi. Je sens ses cils frôler ma peau. Elle se retourne lentement, maintenant face à moi. Ses yeux brillent dans l’ombre. Deux éclats noirs. Deux promesses dangereuses. — Et pourtant, regarde-toi. Tu veux me garder. Tu veux me retenir. Je hoche la tête. Oui. C’est vrai. Et je ne peux pas l’expliquer. C’est comme si j’avais besoin de m’accrocher à quelque chose d’instable. Comme si son chaos était devenu ma seule certitude. — Tu pourrais tout perdre, tu sais ? Ton boulot. Ta fille. Ta dignité. Elle approche sa bouche de la mienne, mais ne m’embrasse pas. Elle reste suspendue, à quelques centimètres. Et c’est pire. Ce non-b****r est une torture. — Et pourtant tu restes. Je murmure, presque à contrecœur, presque comme une confession : — Je ne peux plus partir. — Je sais. Elle m’embrasse alors. Lentement. Profondément. Ce b****r n’est pas un appel du corps. C’est un verrou. Une serrure qui claque. Une porte qui se referme derrière moi. Je suis à elle. Elle m’a eu. Elle m’attire un peu plus contre elle. Passe une jambe autour de la mienne. Ses mains dans mes cheveux. Sa langue contre la mienne. Et je me noie. Pas dans son sexe. Pas dans ses bras. Dans elle. Dans cette chose qu’elle incarne. Cette force obscure qui me consume sans feu. Je ne sais pas combien de temps ça dure. Une heure ? Une nuit ? Un siècle ? Je me réveille au milieu de la nuit. Elle dort encore. Son visage est paisible. Presque enfantin. Un masque parfait. Mais je sais. Je sais. Elle joue un rôle même dans son sommeil. Je la regarde. Et je me demande : Est-ce qu’elle ressent quelque chose pour moi, vraiment ? Ou suis-je juste un jouet brillant sur son étagère, à côté d’autres âmes ruinées ? Je me lève doucement. Nu. Je vais vers la fenêtre. Je soulève un pan du rideau. La ville dort. Moi pas. Plus maintenant. Je pense à Clara. À ma fille. À tout ce que j’ai trahi, abandonné, oublié. À ce que je deviens. Et une phrase tourne en boucle dans ma tête : Tu ne peux pas me posséder. Mais moi… Je suis déjà possédé. Je retourne vers le lit. Je m’assois au bord. Jade ouvre les yeux. Elle ne semble pas surprise. Jamais. — Tu comptes fuir ? murmure-t-elle, la voix rauque, paresseuse. Je secoue la tête. — Non. Je crois que je suis déjà revenu. Elle sourit. Un sourire carnassier, dans l’obscurité. Un sourire de victoire. — Bonne réponse. Elle tend les bras. Et comme un homme enchaîné qui aime ses chaînes, je me recouche. Je me rends. Je me love contre elle. Et je sombre. Pas dans le sommeil. Pas dans le repos. Je sombre en elle. Comme on tombe dans un puits sans fond. Et je ne cherche plus à remonter.
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