Chapitre 5 :
Draven.
Le domaine Carter m’apparut comme un vestige fané d’une grandeur passée.
Les murs, ternis par le temps, transpiraient la négligence. Le sol humide exhalait une odeur rance, et l’air lui-même semblait peser sous le poids de la déchéance.
Pourtant, c’était ici qu’avait élu domicile Gabriel Carter, Bêta de la meute Moonstone. Un homme que l’on disait méthodique, réfléchi, presque brillant. Je n’y voyais qu’un chef incapable de faire régner l’ordre chez les siens. Ses gardes traînaient les pieds, les serviteurs baissaient la tête comme des âmes en exil. Tout respirait la faiblesse.
Gabriel se tenait pourtant droit devant moi, fier, rigide, son regard cherchant à dissimuler la tension qui crispait sa mâchoire.
— Alpha Draven, lança-t-il d’une voix maîtrisée. À quoi dois-je l’honneur de ta venue ?
Un sourire effleura mes lèvres. Il osait feindre l’ignorance.
— Je croyais avoir été clair, hier soir, au bal lunaire, répondis-je calmement. Je suis venu chercher Meredith. Elle deviendra ma femme.
Une ombre passa sur son visage.
— Tu te trompes, finit-il par dire, chaque syllabe arrachée à la contrariété.
Je n’eus pas besoin de regarder Jeffery pour sentir la tension qui vibrait en lui. Mon Bêta bouillonnait à mes côtés, prêt à rappeler à Gabriel sa place.
— Beta Carter, fit-il remarquer d’une voix tranchante, nous allons donc rester debout ?
Gabriel ne répondit pas immédiatement. Il soutint le regard de Jeffery avant de se tourner vers moi.
— Je n’étais pas informé de ta visite, dit-il enfin, en feignant la politesse.
Une excuse dérisoire. Je n’étais pas venu pour être accueilli, encore moins pour être toléré. J’étais venu pour prendre ce qui m’appartenait.
Je demeurai immobile, observant cet homme s’accrocher à un semblant d’autorité alors que son monde s’effritait autour de lui.
Puis, lentement, je laissai échapper une parcelle de mon pouvoir. Une onde sourde, étouffante, qui fit trembler l’air entre nous. Les gardes cessèrent de respirer. Le silence s’épaissit.
Des bruits de pas précipités résonnèrent, et la famille Carter apparut : Margareth, la compagne de Gabriel, suivie de leurs enfants. Les regards étaient fuyants, les visages tendus.
— Dois-je demander qu’on m’amène Meredith, ou dois-je la chercher moi-même ? demandai-je d’un ton tranquille, presque doux, mais chaque mot vibrait d’une menace contenue.
— Tu n’as aucun droit d’entrer ici pour exiger ma fille, lança Gabriel, la colère filtrant enfin sous sa retenue.
— Et pourtant, je le fais, répondis-je sans hausser la voix.
Son regard vacilla. L’orgueil se disputait à la peur.
— Même si tu venais avec respect, je refuserais, grogna-t-il.
Il ne comprenait pas. Je n’avais pas besoin de son consentement.
D’un geste, j’intimai à Jeffery de ne pas intervenir.
— Bêta, dis-je d’une voix basse, rassemble les hommes. Fouillez chaque recoin. Je ne quitterai pas ces terres sans ma fiancée.
La cour se figea. On entendit seulement le vent remuer les feuilles.
Margareth blêmit. Une de ses filles étouffa un cri. Et Gabriel… Gabriel perdit son masque.
— Alpha Draven ! rugit-il.
Je pivotai vers lui, lentement, comme un prédateur lassé de son gibier.
— On s’adresse à moi avec respect, Beta Carter, dis-je d’un ton glacial.
Il resta figé, les mâchoires serrées. L’humiliation bouillonnait dans ses veines, mais il savait qu’un mot de travers pourrait anéantir tout ce qu’il possédait.
Jeffery se détourna pour exécuter mes ordres, mais la voix de Gabriel claqua :
— Assez !
Jeffery s’arrêta, un sourire ironique au coin des lèvres.
— Alors tu choisis, souffla-t-il, presque amusé.
Gabriel inspira longuement, puis baissa les yeux, vaincu.
— Gary, appela-t-il d’une voix dure. Fais venir Meredith.
Le jeune homme, le visage fermé, obéit sans discuter, bien qu’un feu rageait dans son regard lorsqu’il passa devant moi.
Gabriel ne s’arrêta pas là.
— Monique, Mabel, ordonna-t-il sèchement, préparez les affaires de votre sœur.
Elles s’inclinèrent en silence avant de disparaître à l’intérieur de la maison.
Lorsque le calme revint, je croisai le regard de Margareth.
Il n’était ni défiant ni servile. Il portait autre chose. Une inquiétude muette. Une peur dissimulée sous une dignité farouche.
Je compris alors que la mère de Meredith n’était pas de celles qui méprisaient leur enfant. Elle cachait simplement ce qu’elle ne pouvait protéger.
Une nuance qui, dans un monde de loups, pouvait tout changer.