Chapitre 8 :
Meredith.
— Suivez-moi, dit le majordome, sa voix aussi neutre qu’un claquement de porte.
Il partit d’un pas vif, sans vérifier si je le suivais. J’obéis, traînant les pieds dans les couloirs froids. Chaque détour me donnait le vertige, et mes jambes, fatiguées de la route et de la peur, tremblaient sous moi.
Le domaine de Draven ressemblait à une forteresse plus qu’à une maison. Des couloirs interminables, des arches massives, des escaliers qui semblaient n’avoir ni début ni fin. Les murs, glacés et majestueux, portaient l’emblème des Oatrun : un loup noir dressé sous la lumière lunaire. Partout, la pierre, le métal et le silence. Un lieu bâti non pour accueillir, mais pour imposer.
L’odeur du bois ciré se mêlait à une fragrance plus subtile : celle du pouvoir.
Lorsque nous atteignîmes l’aile des invités, j’étais à bout. Mes bras tremblaient, ma gorge était sèche, et mon estomac criait famine. Le majordome s’arrêta devant une porte immense, sortit une clé d’un trousseau et fit sauter la serrure avec un cliquetis sec.
— Voici vos quartiers, annonça-t-il sans me regarder. Vos effets personnels vous seront livrés. Quelqu’un viendra vous assister sous peu.
Je n’eus pas le temps de poser une seule question qu’il s’éloignait déjà, sa silhouette avalée par le couloir.
Je restai seule devant cette chambre, étrangère dans un monde qui ne voulait pas de moi.
À l’intérieur, la pièce respirait la sobriété. Un grand lit à baldaquin trônait contre le mur, drapé de tissus pâles. Une armoire, une coiffeuse, quelques meubles sans charme. Rien de personnel. C’était propre, ordonné, impersonnel… comme une prison élégante.
Le bruit d’un poing contre le bois me fit sursauter. La porte s’ouvrit aussitôt : un serviteur entra, déposa mes bagages et ressortit sans un mot. Même pas un regard. J’avais l’impression d’être invisible.
J’étais encore accroupie près de ma valise quand la porte s’ouvrit de nouveau.
Quatre femmes franchirent le seuil, toutes vêtues d’uniformes sombres. L’une d’elles, plus âgée, marchait devant les autres, la tête haute, le dos raide. Ses yeux, durs et précis, se posèrent sur moi comme sur un objet qu’on évalue avant de le ranger.
— Je suis Madame Béatrice, déclara-t-elle simplement. Je supervise le domaine.
Pas une trace d’émotion dans sa voix.
Elle se détourna aussitôt, distribuant des ordres d’un ton tranchant.
— Vous deux, le bain. Vous autres, rangez ses affaires.
Les servantes s’activèrent aussitôt, rapides et silencieuses.
Je demeurai immobile, observant cette agitation irréelle. Personne ne m’avait jamais traitée ainsi, ni avec autant d’efficacité, ni avec si peu d’humanité.
Madame Béatrice se retourna vers moi. — L’eau est prête. Déshabillez-vous.
Je la fixai, interdite. — Je peux m’occuper de moi-même.
Un éclat d’agacement passa dans son regard. Sans un mot, elle fit un signe bref, et deux femmes s’approchèrent pour m’empoigner par les bras.
— Lâchez-moi ! criai-je, mais elles ne bougèrent pas.
Madame Béatrice soupira, lasse. — Vous dégagez une odeur insupportable, mademoiselle. Ici, les bêtes errantes ne franchissent pas les seuils sans être lavées.
Ses mots me fouettèrent comme une gifle. Un chien errant. Voilà comment on me voyait ici.
— Regardez-vous, dit-elle en désignant le miroir.
J’aurais voulu détourner les yeux, mais le reflet s’imposa. Des cheveux ternis, emmêlés, un visage Sali de poussière et de sang séché, une robe déchirée… Je ressemblais à tout sauf à la fille d’un Alpha.
Une honte sourde monta dans ma gorge.
Et Draven m’avait vue ainsi.
Je laissai tomber les bras. Inutile de résister. L’humiliation avait déjà fait son œuvre.
Les servantes me conduisirent jusqu’à la salle de bain attenante, où une grande cuve de cuivre fumait doucement. L’eau dégageait un parfum de lavande et d’herbes fortes. Ce bain n’était pas une attention, c’était un rite de purification.
Elles me dépouillèrent sans un mot, me frottèrent la peau avec une ardeur qui frôlait la cruauté, brossèrent mes cheveux jusqu’à arracher les nœuds. J’aurais voulu hurler, mais je me contentai de serrer les dents. Ce n’était qu’une étape de plus dans l’humiliation.
Quand elles eurent terminé, elles m’enfilèrent une robe blanche, simple, légère, presque virginale.
Madame Béatrice m’observa longuement avant de parler.
— Ici, nous ne faisons pas comme à Moonstone. Vous apprendrez les coutumes des Fourrures Mystiques. Et souvenez-vous : on ne se promène pas seule dans le domaine.
Elle fit un pas vers moi, sa voix se durcissant. — Et surtout, montrez toujours le respect dû à Alpha Draven.
Je retins un rictus amer. Respect ? Pas après tout ça.
Sans attendre ma réponse, elle fit venir une couturière. On prit mes mesures pour la robe de mariage, on nota tout avec soin.
— Un voile couvrira votre visage, précisa Béatrice d’un ton sec. L’Alpha souhaite que votre cicatrice reste cachée jusqu’à nouvel ordre. Le médecin vous examinera après la cérémonie.
Je ne répondis pas. Qu’ils s’inquiètent de mon apparence ne m’intéressait pas. J’avais depuis longtemps cessé d’attendre qu’on me répare.
Quand tout fut prêt, Béatrice claqua des mains.
— Le dîner t’attend.
Elle me glissa une petite bourse parfumée dans la paume. — Ne la quitte jamais, ordonna-t-elle.
Je la pris sans discuter. J’étais épuisée.
Le chemin jusqu’à la salle à manger fut un supplice. Les couloirs semblaient s’étirer à l’infini. Lorsque j’arrivai enfin, la grande table était dressée, mais la chaise principale restait vide.
Je restai debout. Personne ne bougeait. On attendait Draven.
Les minutes passèrent, interminables. Trente, peut-être plus. Mon ventre criait famine, mais aucun domestique n’osait servir le repas.
Puis un homme entra, baissant les yeux. — L’Alpha ne viendra pas dîner ce soir, mademoiselle.
Et il repartit, comme si de rien n’était.
Aucune excuse. Aucun message.
J’eus un rire amer. Bien sûr. C’était voulu. Il voulait m’apprendre ma place.
Sous son règne, même la faim servait de leçon.