Euphorie

Je n'ai jamais été très ambitieuse et ça, depuis l'enfance. J'étais la fille qui s'asseyait toujours au fond de la classe et qui ne disait pas grand chose. Je n'étais pas timide, non, j'étais juste révoltée et le silence était le seul refuge que j'avais trouvé. Je savais que mon silence et ma discrétion pouvaient me sauver du reste du monde et donc, je m'y réfugiais. Je n'avais qu'une seule amie et elle me suffisait. Non pas que je ne souhaitais pas avoir des amis en plus mais c'était plutôt l'inverse, les autres ne me desiraient pas comme amie et ils ne se gênaient pas de me le faire savoir. Je me suis juste adaptée aux conditions que la vie m'offrait. J'aurais bien aimé être aussi épanouie que certains de mes camarades mais hélas, je n'y suis jamais parvenu même en faisant beaucoup d'efforts. Le déclencheur de ce que j'étais devenue était le rejet des autres mais avec le temps, la situation pesait moins à mes yeux. Pour les autres, je n'étais que Marvel, la fille de Chyna, la proxénète. Aucun parent n'avait envie que ses enfants me côtoient car pour eux, la fille d'une proxénète était forcément une prostituée ou alors, elle était destinée à l'être tout simplement. Plus jeune, je ne comprenais pas la profondeur de la situation quand je voyais des femmes passer un savon à leurs enfants juste parce qu'ils jouaient avec moi. Néanmoins, dès que j'ai atteint l'âge de la raison, j'ai tout compris et je me suis sentie très mal au point de nourrir de la rage et de m'enfermer dans une coquille. Je n'avais toujours connu que ma mère et jamais elle ne m'avait révélée qui était mon père. Et oui, c'était une proxénète et elle l'assumait pleinement. Elle n'hésitait pas à se donner en spectacle pour me défendre quand elle surprenait d'autres personnes entrain de me harceler. Loin de son titre pas très avantageux, ma mère était comme toutes les autres mères. Elle s'inquiétait pour moi et s'occupait de moi mais à sa façon à elle. Il lui arrivait aussi d'être aussi chiante que les autres mères mais peu importait toute l'affection qu'elle me donnait, l'opinion des autres prenait toujours le dessus dans ma tête. J'ai vécu avec ma mère toute ma vie avec pour but de la quitter un jour quand je volerais de mes propres ailes afin d'obtenir la paix qu'elle m'avait volée. Mais ça, jamais je ne le lui avait dit. Je comptais avoir mon diplôme de fin d'études secondaires et m'installer dans une ville où personne ne connaissait Chyna la proxénète. Malgré tout ce que pouvaient penser les gens, jamais ma mère ne m'avait impliquée dans son travail toute mon enfance durant. À l'école, on me jugeait sans cesse à cause du métier de ma mère mais aussi, parce que j'étais certainement la seule enfant dans wythenshawe à ne pas connaître l'identité de son père. J'ai appris à vivre avec le regard dédaigneux des autres et je dois dire que c'est peut-être là, la seule chose dont je puisse me vanter. Quand j'avais 12 ans, je m'étais jurée de ne pas suivre l'exemple de ma mère, de vivre dignement. Dès lors, j'ai commencé à travailler dur à l'école car j'avais compris que c'était la seule porte de sortie que la vie m'offrait. Je m'imaginais plus vieille, vivant dans une belle petite maison toute simple, toute à mon image, dans la campagne, au milieu de la nature ou en face de la mer. Mais ce que je m'étais imaginée est bien loin de la réalité car aujourd'hui, j'ai 22 ans et je suis sur le point de mettre fin à ma misérable existence. Énormément de choses se sont passées et au final, je suis la personne qui a été brisée. J'ai été naïve et je le regrette. J'ai fini par me dire que les gens ont toujours eu raison à mon sujet. On dirait que le karma de ma mère s'est propagé et m'a englouti aussi. J'étais pourtant certaine de réussir à vivre ma petite vie paisible, mais loin, très loin de là où tout avait commencé. Un passé qui n'était pas le mien m'a rattrapé et j'en paye lourdement le prix. J'ai fini par tout accepter en me disant que ce monde n'est pas fait pour des personnes comme moi. J'ai été habilement manipulé par les deux seules personnes que j'ai aimé plus que ma propre vie. À présent, je me sens sale et volée. J'ai l'impression que ces personnes ont pris en moi tout ce que je pouvais me vanter d'avoir, ma dignité. Et ce n'est que maintenant, alors que je vis peut-être mes derniers instants que je me rend compte que les mots dignité et bonheur sont de bien grands mots. Ce n'est que maintenant que je comprends qu'au final, nul n'a le contrôle de sa vie même si nous sommes tous persuadés du contraire. La joie n'existe pas, la tristesse ou la peur non plus, ce ne sont que des états d'esprits abstraits que nos pensées nous infligent. Et pour mon plus grand malheur, ce n'est que maintenant que je m'en rend compte. Mais peut être bien que je me trompe et si par le plus grand des hasards c'est le cas, alors j'ai besoin d'un signe pour continuer de croire car je me sens vide. Le plus drôle est que tout ceci arrive alors que j'étais dans un état euphorique énamouré. C'était certainement là, la période la plus belle de ma vie car même si au final tout n'était qu'illusion, j'ai vécu chaque moment avec plus d'intensité que les mots ne pourraient le dire. La mer, c'est cet endroit que j'ai choisi pour mettre fin à tout. J'avais besoin que mon âme s'en aille dans les bras d'une force de la nature et la mer est idéale. Alors que je regarde droit devant moi et que je me dirige vers un monde que j'ignore, les souvenirs de la vie que j'ai vécu dans cet univers ne cessent de défiler devant mes yeux. C'est étrange mais, je sens une chaleureuse euphorie m'envahir.