« Tu n'avais pas l'air du genre barman », je divague. « Je me suis dit que tu étais agent de sécurité ou quelque chose comme ça, parce que, bonjour, tes bras sont aussi grands que moi. Puis je me suis dit : "Bon, peut-être pas. Peut-être qu'il est concierge." Mais tu n'avais pas l'air concierge non plus. Y a-t-il des concierges dans les bars ? »
« Ferme-la », grogne-t-il, et je lui lance un regard noir.
« Quel âge as-tu, au fait ? Ne me dis pas que tu as cinquante ans. Tu as l'air jeune pour cinquante ans, mais aujourd'hui, qui sait ? Attends, ne le dis pas », je lève la main.
« Laisse-moi deviner », je lève les yeux vers lui tandis qu'il me fixe. Je laisse mon regard parcourir tous ses traits. Pas de cheveux gris, c'est bon signe. Pas de rides, c'est bon signe aussi. Une carrure solide, c'est un excellent signe.
« Soixante-quatorze. »
« Non, je plaisante. Je vais dire », je tire sur ma lèvre, remarquant clairement que son regard se pose sur ma bouche, « vingt-trois ans. »
« Vingt-quatre », s'éclaircit-il la voix. Il est dans la fleur de l'âge, je le vois bien. Mince alors.
« Laisse-moi prendre le clair de lune », je souligne, « s'il te plaît, c'est tout ce que je veux. Je te donnerai tout ce que tu veux. »
Il me jette un regard malicieux.
« J'ai cette couverture à la maison, elle est vraiment, vraiment douce. Elle est grise, elle me rappelle toi. Je te la donne si tu me donnes le pot de clair de lune à la pêche », j'avoue.
Il n'a pas l'air aussi ouvert à l'idée de la couverture que moi.
« Et si… oh ! Et si je t'offrais un livre gratuit à la boutique de M. Terrip ? Tu as oublié d'en prendre un quand tu y es allé », je lui adresse un sourire radieux.
*Je t'offre une lap dance gratuite.*
D'où ça sort ?!
Je soupire et m'adosse au lavabo.
Le délicieux parfum de Grey embaume mon nez, mais ça n'a aucun effet sur le moment. Je garde les yeux rivés sur son bras tatoué, sans regarder ailleurs.
De près, les tatouages sont absolument magnifiques. Son bras entier, à perte de vue, est recouvert d'encre. Juste sous le bas de sa manche de chemise, des silhouettes sombres et effrayantes sont assises. Des silhouettes ressemblant à la Faucheuse, c'est ce qui s'en rapproche le plus.
Elles sont sombres et mortelles. J'en ai des frissons.
À l'arrière-plan, des ombres et des couleurs sombres accentuent les silhouettes.
Est-ce Pablo Picasso qui a fait ces tatouages ? Oh là là. Ce tatoueur devrait gagner des prix, ou quelque chose comme ça.
De la fumée s'échappe d'une des silhouettes et enveloppe le reste des tatouages de son bras.
Un arbre se dresse et des branches mortes s'étendent le long de son bras, et l'arrière, même si je ne le vois pas, j'aimerais bien le voir. Autour de l'arbre, des corbeaux volent dans les airs.
Le pied de l'arbre s'arrête à son poignet, où des racines pointent vers le haut, sans aucune verdure ni buisson. Tout est mort.
À l'arrière-plan de l'arbre, des mots remplissent le reste de sa peau. À l'exception du tatouage symbolique à côté de l'arbre.
J'essaie de lire ce qui est écrit, mais son bras bouge derrière moi avant que je puisse le faire. Cela me ramène à la réalité.
Avec ses deux bras de chaque côté de moi, mon cœur s'accélère.
« Dis-moi pourquoi tu veux ça », dit-il doucement, et je déglutis tandis qu'il se tient si près de moi.
Pourquoi mon cerveau ne trouve-t-il rien maintenant ? À tout autre moment, j'aurais au moins trouvé quelque chose.
Sa main se pose sur mon flanc. Elle me donne des picotements. Pas vraiment, parce que ce serait impossible à moins que je sois allergique à lui ou quelque chose comme ça, mais ça me donne des papillons dans le ventre.
« Je veux m'éloigner de tout », murmurai-je.
Je ne deviendrais jamais comme mes parents. Je ne boirais jamais une gorgée d'alcool après avoir vu l'effet que ça leur fait.
Je veux m'éloigner d'eux. Je veux échapper au rappel constant d'être la cause de la mort de Jake, mais je n'y parviendrais jamais en buvant.
« Je veux m'évader une minute », ajoutai-je sans m'étendre sur les explications.
Je ne veux pas rentrer.
Je lève les yeux vers lui et je vois sa tête baissée, le regard fixé sur le sol. Il ne reste baissé que quelques secondes avant de me regarder droit dans les yeux. Ses yeux sombres attisent encore plus mes angoisses.
« Tu ne devrais pas boire cette m***e », grogne-t-il, les sourcils froncés en un léger regard noir.
« Je sais », répondis-je doucement.
Son pouce trace un cercle sur ma taille avant de se dégager.