Azalea
Je trébuche sur le trottoir de la place publique. Je suis de retour à mon point de départ : je vais chercher de l'alcool pour mes parents.
Un billet de vingt dollars repose fermement dans ma main et je ne pense pas pouvoir le donner à ce gentil sans-abri, même si je le voulais. La menace que mon père m'a envoyée a suffi à me faire réagir.
J'aimerais bien lui donner un coup de pied dans les testicules.
Ils ne m'ont même pas laissée venir en voiture. J'ai dû marcher trente-cinq minutes de chez moi jusqu'à la place publique.
Après l'accident, toute mon énergie s'est envolée. Maintenant, je ne peux même plus sortir du lit sans être essoufflée.
Après ce qui me semble être trois ans de marche, j'arrive devant la boutique de Danny/Donny, quel que soit son nom. Toutes les lumières sont éteintes. Rassemblant mon dernier espoir, je regarde la porte de plus près.
**Horaires : Mer-Ven 12h-22h**
**Sam-Dim 14h-22h**
Je m'éloigne de la porte et essaie de garder mon sang-froid. Je suis vouée à l'échec. En fait, il ne connaissait pas les horaires, il est trop ivre pour s'en souvenir.
Des larmes de frustration me montent aux yeux, mais je ne les laisse pas couler. Je respire profondément et ferme les yeux en imaginant un gros cupcake Red Velvet.
Je ne compte pas rentrer les mains vides. La dernière fois que j'ai fait ça, j'ai eu du mal à bouger le dos pendant une semaine.
Je choisis Red Street. Il y a des bars partout, alors malheureusement, c'est ma meilleure option.
J'ajuste le bas de mon short, certes un peu court, et serre mes bras contre mon torse. Des nuages tourbillonnent au-dessus de ma tête et mes bras, presque nus, commencent à avoir froid. J'aurais dû mettre une veste par-dessus mon t-shirt.
Pourquoi ces petites escapades ne fonctionnent-elles jamais ?
Le premier bar que je vois, je décide qu'il est assez bien. Jusqu'à ce que j'ouvre la porte et que je voie deux femmes sur des barres. Je sors de là si vite.
Que Dieu me pardonne mes péchés.
Ça va être plus dur que prévu.
Je continue un peu dans la rue et j'arrive enfin à un endroit qui n'a pas l'air mal. Ou plutôt, on dirait qu'il n'y a pas de strip-teaseuses à l'intérieur.
J'ouvre la porte et une faible musique et des conversations bruyantes me parviennent aux oreilles. Il y en a beaucoup par terre, un verre à la main, et les autres sont entassés autour du bar.
Ça me rappelle le film Coyote Ugly, pour être honnête. Sauf qu'il n'y a pas de femmes qui dansent sur le bar et tout.
Plus je regarde autour de moi, plus je vois des gens ivres. Un type trébuche sur lui-même et un autre est adossé au mur, son ami le soutenant.
Je n'ai même pas de carte d'identité et je n'ai pas vingt et un ans, qu'est-ce que je cherche à faire là ? J'ai l'air d'avoir sept ans.
Peut-être qu'ils verront le désespoir dans mes yeux et penseront : « Waouh, elle doit passer une dure journée, je vais lui offrir un verre d'alcool, de préférence quelque chose qui se rapproche le plus de la tarte aux cerises, ou même de la pêche. »
Je sens des regards braqués sur moi et remarque un type qui me fixe. Il est visiblement ivre. Il est assis au bar, un verre à la main, qu'on vient de lui servir, trop ivre pour le tenir droit.
Le fait qu'il paraisse avoir au moins trente-cinq ans n'arrange rien.
J'ignore son regard et me dirige vers la première place presque libre du bar. Mon cœur bat la chamade en m'arrêtant devant le bar.
Je ne suis jamais allée dans un bar et maintenant je vais commander quelque chose ? Comment ? Que dois-je faire ? « Bonjour, je voudrais un moonshine à la tarte aux cerises ! » « Hé, le barman, passe-moi du moonshine à la pêche ! »
Je suis dans la m***e.
Avec ma chance, ils n'auraient même pas de tarte aux pêches ou aux cerises. Ils auraient plutôt un truc comme White Lightning, et d'après ce que mes parents ont dit, c'est vraiment dégueulasse.
« Criez vos commandes ! » Une voix forte s'élève par-dessus tout le monde et les voix fusent dans le bar. Mon regard tombe sur le barman qui travaille à une vitesse incroyable, le sourire aux lèvres.
Ses cheveux clairs tombent sur son front tandis qu'il se penche sous le bar pour récupérer une bouteille toute neuve de je ne sais quel alcool.
Aussi vite que les gens crient leurs commandes, il les sert. Rien qu'à le regarder, j'ai mal à la tête.
« Tu n'as pas dit un mot, ma belle ; qu'est-ce que tu veux ? » dit-il d'une voix forte, ses yeux se posant sur les miens pendant une fraction de seconde. Mon cœur bat encore plus fort tandis que je regarde autour de moi, cherchant quelqu'un d'autre, mais je ne pense pas qu'il y ait d'autres filles dans mon coin.
« Un moonshine à la pêche », dis-je rapidement, en finissant au plus vite. L'agitation autour du bar s'apaise et il ne prépare plus que des boissons toutes les dix secondes environ.
Quand je lève enfin les yeux de mes mains, il me regarde droit dans les yeux, l'air légèrement perplexe.
« Un verre fort pour une si petite personne », me dit-il d'un ton moqueur. Je me retiens de sauter par-dessus le comptoir et de lui montrer comment une « petite personne » comme moi peut lui faire des prises dignes de la CIA ou du karaté.
« Une tarte aux cerises, ça pourrait marcher aussi », dis-je en me mordant la lèvre. Je ne pense pas que la tarte aux cerises soit moins forte que la pêche, mais bon, peut-être que si ? Je ne sais pas, je ne suis pas scientifique.
« Tu as une pièce d'identité ? » Un petit sourire narquois se dessine maintenant sur son visage et je jure que s'il n'y avait pas ce grand comptoir, il aurait préféré ne pas sourire.
Sérieusement ? Qui fait un comptoir aussi haut ? Il m'arrive à la poitrine.
Je baisse les yeux et remarque une marche juste en dessous. Ohhh. Évidemment.
Je m'avance et maintenant, il n'est plus aussi haut.
« Ma pièce d'identité est dans ma voiture, comme si j'avais quitté un foyer », je lâche, me rappelant intérieurement de me frapper au visage plus tard.
« Pas de pièce d'identité ? » rit-il. Il est sacrément doué. S'il voit au-delà de mes mensonges aguerris, il doit être barman depuis un moment maintenant. Ou alors il travaille aussi pour la CIA.
« Quel âge j'ai l'air d'avoir ? » Je plisse les yeux et son visage s'illumine d'un sourire. Oh, il est mignon. Quel c*****d !
« Je serai gentil et te donnerai dix-huit ans », il penche la tête et je lui lance un regard noir.
« Flash info, j'ai trente et un ans », je dis d'un ton impassible.
« Zut, au début, j'allais dire trente ans, mais j'ai renoncé », il tape sur la table, et je me mords l'intérieur de la lèvre pour ne pas sourire.
« Je suppose que je peux te donner quelque chose, à condition que tu ne racontes pas mon erreur à d'autres personnes », il secoue la tête, l'air gêné.
« Je ne le dirai à personne », j'acquiesce. Il secoue la tête en se penchant pour prendre quelque chose sous le comptoir.
Il sort un gobelet rempli de clair de lune couleur pêche. Je le fixe quelques secondes.
« Je peux avoir un bouchon ? » je demande et il rit.
« Quoi, tu veux boire du clair de lune dans un gobelet, maintenant ? » répond-il. Encore un commentaire de sa part et je jure.
Comment diable vais-je faire tout le chemin du retour avec un gobelet ouvert ? Je sais pertinemment que je l'oublierai et qu'il se renversera.
« D'accord », je lui donne les vingt dollars et je pense « zut ! ». Je vais probablement être punie pour n'avoir ramené qu'un gobelet, mais peu importe, c'est mieux que rien.
« Je ne pense pas », dit la voix reconnaissable que je n'ai pas entendue depuis quelques jours.
Je lève les yeux et vois Grey dans toute sa splendeur. Il soulève le verre et le verse dans l'évier.
« Grey », je grogne et il se tourne vers moi.
« Qu'est-ce que tu fais, Lilah ? Tu as dix-neuf ans », ses sourcils noirs se froncent de colère et je soupire.