Imagine, je me suis laissée échouer, les yeux rivés sur ces formes grises flottantes,
Le dos brûlant sur le sable tranchant.
Je pouvais humer de l’air sans me battre,
Rester ainsi des heures, malgré la douleur.
Je rejoins immédiatement Victor en salle de permanence, pour m’assurer qu’il va bien. Heureusement, Marion surveillait, et Victor va bien. J’ai justement une heure de permanence pendant que Victor a latin. Je m’installe dans la salle, loin de Clay, tandis qu’une dizaine d’élèves s’installe à d’autres tables. Étant trop épuisée pour discuter avec qui que ce soit, je décide de dormir un peu et m’affale sur ma table, la tête dans les bras. Je ne mets pas beaucoup de temps à m’endormir.
Sauf que, j’atterris dans le même rêve. Je me retrouve à l’endroit exact duquel j’étais partie la dernière fois.
— Te revoilà, sourit la dame aux cheveux grisés, tenant toujours sa tasse de thé à la main.
— Comment ?
— Tu referas toujours le même rêve. Du moins, dès que tu dormiras, tu viendras ici, inévitablement. Donc, je disais, tu dois nous aider. Une menace pèse sur ce monde depuis que la dernière terrienne a disparu.
— Peut-être que je la connais, que je peux la retrouver et qu’elle reviendra vous sauver, comme ça ?
La dame soupira.
— Malheureusement, je ne pense pas. Elle doit habiter à dix heures de chez toi, au moins.
— Ah. Ça va être compliqué, en effet. Bon, qu’est-ce que je dois faire ?
— Ce monde est menacé par un autre monde. Celui d’un sorcier gris, Ronan.
Je pouffe de rire.
— Un sorcier ?
— Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas. Oui, un sorcier. J’étais une fée, mais il m’a enlevé mes pouvoirs. Nous avons un mur nous séparant du monde de Ronan. Il veut détruire ce monde et le reconstruire à sa guise.
— Et en quoi je peux vous aider, moi ?
— On a besoin de quelqu’un d’humain, pour y arriver.
— Pourquoi ?
— Parce que tu peux contenir et maîtriser plus de choses que nous.
— Je ne comprends pas trop.
— Suis-moi.
Elle se lève et je l’imite.
— Au fait, c’est quoi, votre nom ?
— Appelle-moi Agent Babou.
Je remarque qu’elle a du mal à marcher jusqu’à la porte.
— Vous avez besoin d’aide ? je demande lorsqu’elle se rattrape de justesse à un mur.
— Ce ne serait pas de refus.
Elle s’appuie sur le bras que je lui tends et nous sortons de la maison. Nous croisons un autre garçon de presque ma taille, qui a l’air cependant un peu plus âgé. Ses cheveux châtain foncé forment des boucles courtes qui retombent sur son crâne. Ses yeux marron me scrutent avant de s’attarder sur Agent Babou.
— Bonjour, Monday. J’ai fait du thé, si tu veux.
— Qui est-ce ? demande-t-il en me fixant.
— Luna, une terrienne.
Il plisse un œil avant de repartir vers la maison, n’ajoutant rien. Nous poursuivons notre marche, passant plusieurs rangées d’immeubles. Au beau milieu de ces immeubles, Agent Babou s’arrête devant un bâtiment aux couleurs neutres, qui ressemble à un cube géant.
— Les immeubles ici ne sont pas tous habités. C’est une sorte de labyrinthe où nous pouvons cacher cette base. Je n’ai pas le droit d’y accéder, malheureusement…
— Je lui fais visiter ?
Nous nous retournons en même temps vers Elven que nous n’avions pas vu.
— Ah, Elven, tu tombes bien. Fais tout visiter à Luna, enfin, elle n’aura pas le temps, mais par parties à chaque fois qu’elle reviendra.
— Avec plaisir.
— Je vous laisse. Je suis épuisée.
Elle fait demi-tour et s’éloigner lentement. Elven attend qu’elle disparaisse pour m’adresse la parole.
— Bon, allons-y.
Je le suis jusqu’à l’entrée de la base. Un petit écran figure sur le côté. Elven y tape plusieurs choses que je ne comprends pas, puis une lourde porte s’ouvre devant nous. Le garçon entre dans le bâtiment, alors je fais de même.
— Pourquoi est-ce que tout le monde parle d’une terrienne disparue ? je demande.
Son regard s’attriste. Je crois qu’il ne répondra pas, mais il finit par dire :
— Il y a eu une fille, avant toi. Elle venait tous les jours nous aider, elle s’entendait bien avec tout le monde, mais je savais au fond que si elle était là, c’est parce qu’elle était seule. C’est ton cas aussi. Et puis, du jour au lendemain, elle a arrêté de venir.
— Désolée.
— Il n’y a pas de quoi s’excuser.
Je remarque une machine étrange, dans un coin.
— Qu’est-ce que c’est ? je demande en m’approchant.
Une capsule géante s’éclaire avec un petit bruit qui me fait sursauter. Un scanner commence à m’analyser.
— Euh…elle analyse la personne qui compte le plus pour toi, répond Elven.
La machine arrête de m’analyser. Puis plus rien.
— Il n’y a personne à qui tu tiens ?
— La seule personne à qui je tenais est morte.
— Et tes amis ?
Je hausse les épaules.
— Je n’ai pas d’ami proche. Et toi, ça te met quoi ?
Je le prend par le bras sans son autorisation et le tire à côté de moi. La machine recommence à scanner.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… murmure Elven.
Un hologramme apparaît alors dans la capsule lorsque la machine arrête son analyse. Elven émet un gémissement dans mon dos tandis que je m’avance vers l’hologramme. Il est en couleurs et paraît presque réel. C’est une fille un peu plus jeune que moi, avec des cheveux châtain roux qui tombent en cascade juste en dessous de ses épaules et des yeux marron foncé à travers ses lunettes. Elle a l’air grande et fine.
— C’est qui ? je demande.
— Océane, la terrienne disparue. Elle a ton âge, maintenant.
Elven a l’air de souffrir terriblement en revoyant son image.
— Comment on arrête cette machine ? je demande.
Je me mets moi-même devant le scanner et attends jusqu’à ce que l’hologramme disparaisse. Je me tourne vers Elven, effondré par terre.
— Je suis désolée, je ne savais pas.
— Ce n’est pas grave…continuons la visite.
— Tu aimerais la retrouver ?
— J’essaie chaque jour de me rendre sur Terre pour la revoir. J’aimerais tant…mais c’est impossible. Enfin bref. On continue ?
Je hoche lentement la tête puis l’aide à se relever. Je le suis dans un petit couloir donnant sur une pièce. Ou plutôt, sur un espace extérieur au milieu d’un bâtiment. Le mur de droite est différent des autres murs gris taupe. On dirait un miroir de glace multicolore avec une fonctionnalité écran.
— C’est le Mur. C’est par là qu’on peut accéder à toutes les autres parties du monde, et c’est lui qui nous sépare de Ronan. Il est plus grand que ça, c’est la seule partie étrange dans laquelle nous avons retrouvé une magie ancienne et puissante qui nous permet d’accéder à d’autres lieux.
Je regarde le morceau de mur d’un air fasciné.
— Dis moi un chiffre entre un et neuf.
— Cinq ?
Il appuie au milieu du mur. Le paysage change brutalement et je me retrouve dans une sorte de toboggan de la même matière que le morceau du mur. Elven est juste devant moi, et j’ai l’impression que nous tombons indéfiniment. Je finis par atterrir sur les fesses à côté d’Elven.
— Aïe.
— Il faudra t’y habituer.
Nous sommes assis dans de l’herbe bleue, face à des arbres bleu, un ciel parfaitement bleu avec un soleil même bleu.
— Tout est bleu ?
— Oui, nous sommes dans la forêt bleue. Attention !
Je sursaute lorsque Elven se jette presque sur moi. Il s’écarte brusquement en tenant dans sa main un petit être bleu.
— Mais ? Qu’est-ce que…
C’est un gnome tout bleu d’à peine dix centimètres. Il grogne.
— Flûte alors ! Tu m’as ramené de la bière ? demande-t-il à Elven.
— Non, Richard. Pas cette fois. La dernière fois, tu courais après les Ratzés bleus et tu leur lançais tes myrtilles.
— Moi, lancer des myrtilles ? Pas possible !
— Tu t’en rappellerais si je te montrais une orange ?
— Ah ! Surtout pas ! C’est bon, je m’en rappelle !
Je reste perplexe. Richard se tortille dans les mains de Elven pour se tourner vers moi.
— C’est qui, celle-là ? Et repose-moi par terre !
Elven soupire avant de poser le petit être par terre.
— C’est une terrienne. Elle s’appelle Luna.
— Ah ! Encore une. Au moins, elle a compris que tout est bleu, ici.
Il désigne mes vêtements. Elven se lève.
— Bon, je lui faisais visiter. Richard, tu peux aller embêter les Ratzés, si tu veux.
— Tu es en train de me dire implicitement de dégager ? Non mais je n’y crois pas ! Je suis le guide, ici.
— OK, OK, reste avec nous.
— Et la prochaine fois, tu m’amènes des bières et des myrtilles !
Richard commence à s’enfoncer dans la forêt, et je me relève lorsque Elven le suit.
— Fais attention aux Ratzés, si tu en croises un, il risque de ne plus te lâcher pendant au moins une heure, ajoute Elven à mon attention.
Je hoche la tête, même si je ne sais même pas ce que c’est. Nous commençons à nous enfoncer dans la forêt, à la suite de Richard. Je sursaute lorsque je sens quelque chose toucher ma jambe. Je baisse la tête et vois un petit arbre vivant et adorable. Curieusement, il n’est pas bleu. Elven se retourne vers moi.
— Ah, c’est Elian, un Elisso. Il me tient compagnie, c’est un ami.
Elian me sourit. Il a un air de Groot dans Les Gardiens de la Galaxie, mais en plus petit. Je le prends dans ma main et il grimpe sur mon bras pour venir s’asseoir sur mon épaule.
— Bon, on continue ou quoi ? râle Richard.
Je reprends ma marche. J’entends soudain un sifflement.
— Et m***e, pas ces saletés de serpents ! marmonne Richard.
— Qu’est-ce que c’est ? je demande, perdue.
— Un Serpent bleu. Ils sont très dangereux et te vident de ton sang, donc si on reste là à ne rien faire, on va mourir, m’explique Elven.
Un autre sifflement. Plus fort cette fois. Je tourne la tête vers sa provenance et là, j’ai la peur de ma vie. Un énorme truc immonde qui ressemble à un serpent géant croisé avec un mille pattes tout visqueux fonce droit sur moi. J’entends un « Shling » avant que tout ne disparaisse tout à coup. Et je me réveille.
— Luna ?
Je me recule un peu trop brusquement avec ma chaise, déstabilisée par ses yeux bleus qui me fixent. Simon m’observe, face à moi, appuyé sur mon bureau.
— Désolé, je ne voulais pas te faire peur. Je m’inquiétais, depuis dix minutes tu restais blasée, on aurait dit que tu avais vu un fantôme.
Je reprends mes esprits.
— Ah, c’est moi qui m’excuse. J’étais dans mes pensées, je ne t’avais pas vu.
Je suis toujours en permanence, et rien a changé. Clay est toujours à l’opposé, ainsi que le reste de la moitié de ma classe.
— Hum, c’était bien, le cours de français ?
Je tourne ma tête vers Simon, qui n’a pas bougé. Je remarque alors qu’il est blessé sur la joue. Un petit trait rouge. Je suis certaine qu’il ne l’avait pas, plus tôt, à huit heures.
— C’était horrible. Tu t’es fait quoi à la joue ?
— Je n’ose pas imaginer. Oh, ça, c’est un ami qui ne sait pas se servir correctement d’un compas qui a crû qu’il pouvait faire des combats de compas en cours de maths. Voilà le résultat.
Je ris.
— Avec un peu d’entraînement, il finira par maîtriser l’art du compas.
— Tu crois ?
— Qui sait ?
Il me sourit et je fonds presque sur ma chaise.
— À quoi est-ce que tu pensais ? me demande-t-il en devenant plus sérieux, tout à coup.
Je ne sais pas quoi répondre.
— Euh, rien en particulier.
Il n’insiste pas plus, heureusement. Je tourne la tête vers Marion qui vient d’arriver d’un pas déterminé dans la salle.
— Aïe, ça va chauffer, me murmure Simon.
Elle s’arrête devant tout le monde, poings sur les hanches.
— OH ! Ici, c’est un lieu pour TRAVAILLER ! Pas un salon de thé !
Tout le monde se tait et se retourne vers elle en sursautant. C’est à ce moment que nous regrettons de ne pas être sortis du lycée pour l’heure et d’avoir préféré rester dans cette salle. En même temps, il fait froid, dehors.
— Le prochain qui parle, c’est dans le bureau du principal !
J’entends un gloussement. Je tourne légèrement la tête pour apercevoir Clay qui se retient de partir en fou rire.
— Ça te fait rire, toi ?
Simon profite de ce moment de distraction pour se glisser sur la chaise à côté de moi.
— C’est sûr que son copain l’a larguée ce week-end, me chuchote-t-il.
Je souris en me retenant de rire. Clay est en train de se faire savonner par Marion, et il a arrêté de rire débilement. Tous deux finissent par quitter la salle, direction le bureau du principal. Tout le monde souffle dès que Marion est partie.
— Et bien, j’ai l’impression qu’elle est encore plus énervée que d’habitude, me dit Simon.
— Oh non, elle est toujours comme ça, à l’internat.
— Elle devrait changer de métier, franchement.
— C’est clair.
Je suis déstabilisée par son regard qui reste rivé sur mon visage.
— Pourquoi est-ce que tu es en internat ?
Je ne me suis pas attendue à cette question. C’est pourtant ce qu’on me demande souvent.
— Et bien…mon père est décédé et ma mère ne voulait plus de moi. Donc j’ai dû venir ici.
— Tu n’as personne d’autre, dans ta famille ?
— Si, ma grand-mère. Je passe les week-ends chez elle, mais tu sais, avec la vieillesse, ça lui arrive même d’oublier mon nom.
— Hmm, je vois.
— Et toi ?
Je remarque une once de tristesse dans son regard qu’il tente de dissimuler.
— Mon père est parti quand j’avais huit ans. Et ma mère ne s’occupait plus de moi.
— Pourquoi ?
Il soupire. J’ai touché un point sensible.
— Je n’aime pas trop en parler. Mais je vais te le dire, même si on ne se connaît que depuis ce matin. Après le départ de mon père, ma mère s’est effondrée. Elle a été virée de son entreprise, et elle passait ses journées dans le canapé ou au bar à boire constamment. Et pendant ce temps, moi, je me faisais harceler à l’école parce que j’étais en sous poids car je ne savais pas vraiment cuisiner, à neuf ans. J’ai dû me débrouiller seul pendant des années, puis ma mère a été envoyée en hôpital psychiatrique. Alors, je suis ici.
— Et le reste de ta famille ?
— En Suède. J’ai un grand frère, là-bas. Ils ont préféré rester dans notre pays d’origine. Et comme je ne sais pas parler suédois et que j’aime bien ici, et bien, j’ai choisi de rester.
— Je comprends.
Je ne sais pas quoi ajouter.
— Qu’est-ce que tu aimes dans la vie ?
Cette fois, je ne m’y suis attendue encore moins. C’est la première fois depuis de nombreuses années qu’on ne m’a pas posé la question. D’autant plus que comme je l’ai dit, je ne parle jamais de moi. Enfin, presque jamais.
— Je l’ai déjà dit, dessiner, la danse…
— Je ne parle pas de ça, mais de tes goûts. Genre la bouffe, les livres ou même des films.
— Ah…et bien...les glaces à la vanille.
— Même pas au chocolat ?!
— Je préfère la vanille.
— Pauvre chocolat.
— Sinon, à part ça...les fraises aussi. Et les beignets de calamar.
— Qu’est-ce que tu préfères ?
Je réfléchis un instant.
— Les sorbets citrons.
— Tu me croirais si je te disais que j’adore les sorbets citrons ?
— Ça dépend.
— Et bien, je suis aussi un grand fan de sorbets citrons.
Un autre point en commun. Peut-être que nous ne sommes pas tellement différents, au final.
— Quoi d’autre ?
— Hum...le livre que je lis en boucle depuis des années ?
— Qui est ?
— Nos étoiles contraires.
— Tu parles de l’histoire de deux personnes qui ont le cancer ? La seule fois que j’ai essayé de le lire, je me suis arrêté au moment où j’ai commencé à verser une larme. Trop horrible pour moi.
— C’est le dernier cadeau de mon père. Il est décédé d’un cancer.
— Oh. Je suis désolé.
— Tu n’y es pour rien.
Il me fixe encore une fois de ces yeux dans lesquels on se perd et de ce regard qui me fait fondre sur place. La sonnerie retentit, mettant fin à notre discussion. Simon se lève et passe son sac sur son épaule.
— Et bien, nous nous recroiserons peut-être un jour. C’était un plaisir de discuter avec toi.
— Merci bien, de même.
Il quitte la salle au moment où je passe mon sac sur mon épaule.