Chapitre 4: Luna

2791 Words
Imagine, j’ai fini par me relever, marchant vers le cœur de l’île. Elle était si minuscule que j’en faisais le tour en quelques secondes, Couverte de ce sable noir m’entaillant les pieds à chaque pas. J’ai droit à dix minutes de pause. Je sors à peine de la salle que Victor m’a attendu. — Ne me dis pas que le mec blond aux yeux bleus que je viens de croiser est Simon, le nouveau de l’internat ? — Et si. — Mais tu ne m’avais pas dit qu’il est carrément canon ! Je lève les yeux au plafond. Valentine vient de nous rejoindre. — Ah Valentine, tu ne me croiras jamais. Luna flirte avec le nouveau de l’internat, Simon. — N’importe quoi ! Je ne flirte pas avec lui ! — À peine ! — Bah dis donc Luna, je ne te pensais pas comme ça ! répond Valentine avec un large sourire. — Ce n’est pas vrai ! — Mais bien sûr ! J’abandonne le débat. Sophie, Hugo et Raphaël nous ont rejoints. — Salut ! Alors, les premières heures ? demande Raphaël. — J’ai été viré de cours, répond Victor. — Toi, viré de cours ? Qu’est-ce que tu as fait ? — Ce n’est pas ma faute, c’est Gabin qui m’a donné une catapulte pistolet en origami ! — Mais bien sûr. Je me demande où est passé Simon lorsque je le vois traverser le hall, entouré d’une b***e d’amis. Son bras entoure les épaules d’un garçon de ma taille, roux avec des tâches de rousseur. — Oh, mais peut-être que Simon est gay ! s’écrie Victor. — Qui ça ? demande Sophie, perdue. Tous se retournent dans la direction que Victor indique. — Tu vas nous dire ça à chaque fois que tu trouves un mec beau ? dit Raphaël. — Non mais c’est vrai quoi, j’y crois, un jour, peut-être. Ah oui, simple précision, Victor est gay. — Enfin, de toute façon, Luna le drague déjà. Je ne peux pas respirer tranquillement qu’il revient sur la discussion ! Tous leurs yeux se posent sur moi. — C’est vrai ?! s’écrie Raphaël. Il l’a dit un peu trop fort. Nous avons droit à plusieurs regards qui disent : parle moins fort, on ne veut pas savoir. Même Simon, à l’autre bout du hall, nous entend. Son regard croise le mien et il me sourit. Je le lui retourne. Raphaël, qui remarque tout, se retourne à nouveau vers Simon avant de revenir sur moi. — Et bien, Luna, tu nous caches des choses ! — Ce n’est pas vrai ! On s’est juste croisé par hasard ce matin et on parle comme ça, comme des amis quoi ! — Mais bien sûr. Il me regarde avec un sourire en coin. Je lève les yeux au plafond en soupirant. — Vous avez quoi, après ? Hugo a l’intervention parfaite. J’ai envie de le remercier mille fois de me sortir de cette discussion horrible. — Nous on a arts, répond Victor à ma place. — Sport, lâche Valentine en grimaçant. — Anglais, et toi ? soupire Sophie, ce qui vaut pour Raphaël également. — Histoire géo. La sonnerie retentit. — On se retrouve ce midi, lâche Valentine. — C’est ça, nous répondons à l’unisson. Victor et moi prenons la direction du bâtiment E où nous attend notre salle d’arts – étant en lycée spécialisé dans les arts et le sport. — Décidément, on se croise de partout, aujourd’hui. Je me retourne en sursautant. Simon est juste derrière nous. — Ah, salut Simon ! Luna nous a beaucoup parlé de toi ! se réjouit Victor. — Vraiment ? demande Simon, surpris. — Insupportable ! — Ce n’est pas vrai ! je me défends. — Ah, au fait, je suis Victor. — Ravi de faire ta connaissance, Victor. Simon me regarde encore de son sourire incroyable. — Vous avez quoi ? demande-t-il. — Arts, et toi ? je réponds. — Musique. — Oh mais c’est juste à côté ! s’écrie Victor. — Ouais. Nous arrivons dans le couloir du premier étage. — Tu manges ici, ce midi ? demande Victor à Simon. — Euh oui. — Mais c’est super ! Tu pourrais te joindre à nous ? Je ne me suis pas attendue à ce que Victor aille jusque là. — Avec plaisir ! Est-ce que ça vous dérange si mon meilleur ami vient aussi ? Je ne me suis encore moins attendue à ce qu’il accepte. — Aucun problème, répond Victor. Le regard de Simon croise encore une fois le mien. — Bon, ma salle est là. On se revoit ce midi. — C’est ça, répond Victor. Simon s’éloigne et disparaît dans sa salle. — Il est génial ! se réjouit Victor, tout excité. Nous entrons à notre tour dans notre salle de cours. Le prof ne nous voit pas, concentré sur son ordinateur. Nous nous asseyons à notre place habituelle, au fond de la classe, contre la fenêtre. — Luna, ça se voit qu’il y a quelque chose entre vous ! me dit Victor une fois que nous sommes assis. — Il n’y a rien du tout, je réponds. — J’ai bien vu comment il te regarde ! — N’importe quoi. Le cours commence et je sors mes affaires. Le prof commence par nous expliquer le sujet du jour : réaliser une œuvre artistique qui représente la personne qui compte le plus pour nous. Décidément, ça fait beaucoup de coïncidences. — Tu vas faire qui ? Ah non, laisse-moi deviner. La personne que tu as rencontrée ce matin même ? me dit Victor. — N’importe quoi ! Je vais dessiner Hayvil. — Et même pas moi ! J’en suis vexé, là. Il affiche un sourire moqueur. — Et toi, tu vas faire qui ? — Tous mes amis. Je ne peux pas choisir. — Ça ne m’étonne pas de toi ! — Hé, vous avez des feutres ? nous chuchote Margaux à la table d’à côté. — Quelle couleur ? demande Victor. — N’importe. Victor sort de sa trousse un feutre bleu. — Attrape ! Il lui lance en cloche le feutre qu’elle rattrape à la volée. Nous l’applaudissons doucement pendant qu’elle s’incline en signe de reconnaissance. Je sors une feuille, un crayon, une gomme, et me mets au travail. Je réfléchis à la façon dont représenter mon chien de façon artistique pour qu’il y ait une histoire derrière tout ça. Un pont, avec Hayvil qui m’attend de l’autre côté, entouré de fleurs et de beau temps, pendant que de mon côté, je laisse l’ombre de mes parents derrière moi. Voilà un travail qui me motive. Je commence par le paysage et utilise de l’aquarelle pour représenter la nature. — Tu nous fais l’œuvre d’un grand peintre là ou quoi ? me murmure Victor, émerveillé. — Ça se pourrait, je réponds. Je tourne la tête pour admirer son œuvre. Il a commencé par dessiner six silhouettes – Valentine, Raphaël, Sophie, Hugo, lui et moi. — Tu vas faire quoi, exactement ? — Une fête de Noël entre amis. Un rêve qui ne se réalisera jamais. Son regard s’attriste. Je pose ma main sur son épaule, comme pour le consoler. — Mais si, après le lycée, quand on ira tous vivre dans des appartements pour étudiants. — On se séparera tous. Il n’a pas tord. Je laisse retomber ma main et soupire. — Rien est impossible. — Hmm, donc c’est possible que des gnomes bleus fans de bières existent ? Je fronce les sourcils. Est-ce une coïncidence ou est-ce que tout ça n’est qu’une plaisanterie depuis le début ? — Comment tu sais ? — Haha, très drôle. Je viens d’inventer ça. Je ne réponds rien, perplexe. — Au fait, tu as fait quoi, à ton pull ? demande-t-il en retrouvant son sérieux. J’ai complètement oublié la marque dans mon pull qui a effilé la laine. — Ah, ça, c’est Hayvil, ce matin. — Et bah ! Ce n’est pas souvent qu’il est v*****t ! — Ça va, c’est parce qu’il avait faim. — Il voulait te manger, alors ! Je ne réponds rien et me concentre sur mon dessin. Je vais dessiner le pont, mon chien, l’ombre de mes parents, puis moi, au crayon, avant de les colorer aux marqueurs pour les faire ressortir. Je commence par le pont. — Alors Luna, tu dessines quoi ? Je lève les yeux sur Clay, affalé sur ma table, en train de mâcher un chewing-gum et s’amusant à faire le tour de la classe en quête d’inspiration. Je pince les lèvres et me retiens de lui lancer un regard noir. Il observe un long moment mon dessin avant de rire amèrement. — Sympa l’ambiance, ici. Je ne réponds pas. Il finit par s’en aller. — Insupportable, celui là ! bougonne Victor une fois que Clay est assez loin pour ne pas nous entendre. Je soupire pour confirmer ses dires et n’ajoute rien. La sonnerie retentit. Cours suivant : histoire géo. Le prof d’arts nous autorise à laisser notre dessin non fini dans la salle, puis Victor et moi partons, nos sacs sur l’épaule. Je suis presque surprise de ne pas recroiser Simon. Nous nous dirigeons lentement vers le bâtiment D, en direction de la salle d’histoire géo. Nous ne tardons pas à entrer dans la salle pour nous asseoir à nos places choisies par la prof, cette fois, et où je suis au troisième rang, à côté de Clay. Je passe l’heure à me dandiner sur ma chaise, gênée par le bruit insupportable que fait mon voisin en mâchant son chewing-gum. Il passe son temps à rigoler en lançant des boules de papier à d’autres élèves de la classe. Je le connais depuis le collège et je l’ai toujours détesté, tout comme il me déteste. Il finit par lever la main. — Clay ? — Luna m’a dit qu’elle a vraiment une envie pressante depuis vingt minutes et elle ne peut pas se retenir car elle a certains...problèmes, vous voyez ? Et elle n’osait pas lever la main. Quel idiot ! Il n’empêche, louper cinq minutes de cours ne me dérange pas plus. — Et bien, va aux toilettes, Luna, plutôt que de devoir le crier à tout le monde. Franchement, ça me fait un peu honte. Je me lève en sentant tous les regards sur moi. Mes yeux croisent ceux de Victor qui ne dit rien. Son regard semble si lointain et si froid. C’est à ce moment-là que je sens tous ces regards glaciales sur moi. Avec tant de haine. La panique commence à remonter dans mon cerveau, alors je m’empresse de quitter la salle, rouge de honte et de mal-être étouffant. Je ne réfléchis pas vraiment et prends la direction de ce qu’il me semble être les toilettes. J’ai une soudaine envie de pleurer. Je me sens si seule, si jugée et si repoussée. Ce qu’il vient de se passer me rappelle le collège, lorsque j’ai perdu mes amis les plus proches, que je ne suis devenue que le fantôme du collège, à moitié absente, seule, pendant que les autres crachaient dans mon dos. C’est dur à encaisser. Je suis peut-être un peu trop sensible. Les larmes me montent aux yeux et j’ai du mal à respirer. Tout devient flou autour de moi. Une main saisit soudain mon poignet. Je me retourne, les larmes roulant sur mes joues. Je ne vois que ces regards froids et distants qui me disent de m’en aller. — Luna ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Toutes mes pensées s’en vont. Je suis au milieu d’un couloir, et Simon me regarde, l’air inquiet. Il est partout, il me suit, ce n’est pas possible ? Je baisse la tête, embarrassée. — Rien, ça va. Ma voix se brise. — Tu n’es pas obligée de le dire, après tout… Je sèche mes larmes de ma main libre. Simon réalise qu’il tient toujours mon poignet, et il me relâche. Son expression a vraiment changé, comparé aux autres fois où il me souriait. Là, il a l’air presque aussi mal que moi. — Qu’est-ce que tu fais là ? — Va te rafraîchir le visage, au moins. Il commence à partir, alors je le suis. — Tu n’as pas répondu à ma question. — J’ai dû accompagner un ami à l’infirmerie parce qu’il a vomi de partout. D’où mon tee shirt dégueulasse. Et sur le chemin du retour, je t’ai croisée. J’ai bien crû que tu allais tomber par terre. Tu m’as fait peur. Je ne remarque que maintenant la tâche de vomi sur son tee shirt et la légère odeur qui me donne la nausée. — Ah oui, en effet. Tu devrais changer de tee shirt, l’odeur est horrible. — Merci de le confirmer, mais je n’ai pas de tee shirt de rechange. Je grimace. Sa présence me fait du bien, malgré l’odeur horrible, il me remonte le moral. Nous arrivons devant la porte des toilettes. — Bon, je t’attends là. — Tu ne laves même pas ton tee shirt ? — Comment je pourrais ? Je n’ai pas de lessive non plus, même si maintenant, je songerai à en amener. — Si tu le passes dans de l’eau et du savon, peut-être que l’odeur partira un peu ? Il hausse les épaules. — C’est vrai. Simple précision : les toilettes des étages sont mixtes, il n’y en a qu’un par bâtiment et par étage. Nous entrons tous les deux dans les toilettes. Je me rends compte que sans contexte, c’est un peu étrange. Je me passe de l’eau sur le visage au lavabo. Ça me fait d’autant plus de bien. Lorsque je relève la tête, Simon commence à enlever son tee shirt. — Euh, je vais attendre dehors, je marmonne, devenue rouge comme une pivoine et fuyant son regard. Je m’interdis de le regarder et fixe le sol. Je quitte les toilettes et souffle une fois que je n’ai plus à m’interdire de regarder je ne sais quoi encore. J’attends, appuyée contre la fenêtre face à la porte. L’image des regards froids me revient en tête. Ça en devient un cauchemar. Simon ressort des toilettes, le tee shirt trempé. — J’ai essayé de le sécher au truc pour sécher les mains, mais ce n’était pas pratique. Je ris. — Tu crois que tu seras admis en cours ? — Mais oui, j’expliquerai en détails ce qu’il m’est arrivé. Enfin, sans dire que je t’ai vue. Tu vas mieux au fait ? — Oui, merci. — Et je n’ai pas le droit de savoir ce que tu fais ici et pourquoi ça n’allait pas ? — Je ne sais pas comment t’expliquer. — Je ne te force à rien. Mais tu peux essayer. Enfin, si tu en as envie. Je te dis si je suis complètement largué. Je réfléchis un moment. — Au collège, j’ai perdu tous mes amis proches. Et j’ai un peu...vrillé. J’étais un peu comme le fantôme du collège, presque jamais là. — Tu séchais. — Exact. Et j’étais toujours seule dans mon coin. C’était dur, surtout quand on m’ignorait et qu’à chaque fois que je voulais m’exprimer, il y avait ces regards froids qui ne donnent que l’envie de disparaître. — Je comprends. Il m’est arrivé un peu pareil. — Et là, je suis à côté de quelqu’un que je déteste, Clay. Il a levé la main pour dire à la prof que je voulais aller aux toilettes, ce qui était complètement faux, mais de façon à se moquer de moi. Donc je suis partie...mais on m’a regardée de cette même façon, si froidement, comme si j’ai fait une grave erreur. — Donc ça t’a rappelé le collège, tu as commencé à paniquer, et tu es partie comme ça, sans rien dire. — On dirait que tu as assisté à toute la scène ! — C’est parce que ça m’est déjà arrivé. Donc je comprends parfaitement. Enfin, maintenant, je m’en fiche, du regard des autres, c’était plutôt au collège et en primaire. — Là, je t’admire. Il tourne la tête pour me sourire. Encore ce regard qui me cuit sur place. — Elle est où, ta salle de cours ? demande-t-il. — Ah, j’ai histoire géo. C’est juste au bout du couloir. Nous arrivons en silence devant la porte fermée. — On se revoit dans cinq minutes. Bon courage. — Merci ! Je toque à la porte tandis qu’il s’éloigne. La prof m’ouvre. — Ah, Luna, tu as bien pris ton temps ! — Désolée, madame, j’ai eu quelques imprévus. J’entre dans la salle puis elle referme la porte derrière moi. Victor me lance un regard inquisiteur tandis que je retourne à ma place pour seulement cinq minutes restantes, sous les yeux moqueurs de Clay.
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