Chapitre 2: Luna

2491 Words
Imagine, il n'y avait pas une seule vie, à part moi, à cet endroit. La plage était de ce sable noir tranchant, Les arbres étaient couchés et morts, Le soleil ne faisait qu'une ombre à travers les épais nuages gris. Je suis toujours sur le banc, dehors. Mon chien me fixe avec de grands yeux. Je cherche mon téléphone dans ma poche pour regarder l'heure mais me rappelle que je l'ai laissé dans ma chambre. Le soleil n'est pas complètement levé. De toute façon, Valentine serait venue me réveiller, si c'était l'heure d'aller en cours. Je traîne des pieds pour retourner jusqu'à ma chambre, Hayvil sur mes talons. Je croise Victor dans les escaliers. - Ah, Luna, je te cherchais. Valentine m'a dit que tu t'étais endormie et qu'il ne fallait pas te déranger, donc bon. Ça va être l'heure d'y aller, tu viens ? - Ouais, je dois juste passer dans ma chambre ramener Hayvil et prendre mon sac, et j'arrive. - Je t'attends en bas des escaliers ! J'acquiesce et poursuis mon chemin dans le couloir. Je crois là Valentine. - Ah, Luna ! Bien dormi ? - Ouais, on peut dire ça. - Tu t'es fait quoi, au bras ? Je suivis son regard sur la marque d'ongles enfoncés dans mon pull. November. Comment c'est possible ? - Oh, ce n'est rien, c'est Hayvil, ce matin. Bon, je vous rejoins en bas des escaliers. Valentine n'insiste pas plus et répond vaguement avant de s'éloigner. J'examine de plus près la marque des ongles de November. À l'endroit exact où elle m'a enfoncé ses ongles dans mon rêve. Je décide de ne pas trop y réfléchir et marche jusqu'à la porte de ma chambre que j'ouvre. La pièce est plongée dans l'obscurité, je n'ouvre jamais les volets car j'ai une vue sur le lycée. J'ouvre légèrement quand je ne suis pas là pour Hayvil, mais autrement, non. J'allume la lumière de la chambre tandis que mon chien se précipite dans la pièce. J'entrouvre les volets avant de m'emparer de mon sac de cours et de mon téléphone. Je passe le sac sur mon épaule, dis au revoir à Hayvil, puis repars en fermant la porte derrière moi. Je traverse pour la troisième fois de la matinée ce couloir flippant puis redescends les escaliers. Valentine et Victor m'attendent. J'allume l'écran de mon téléphone pour voir l'heure. Sept heures cinquante. - Allons-y, soupire Valentine. Les autres sont partis avant nous pour rejoindre d'autres amis. Nous commençons à partir lorsque je me rappelle une chose. - Oh non ! J'ai oublié de remplir la gamelle de Hayvil ! Ne m'attendez pas, j'y retourne. Valentine soupire avant de bredouiller un « D'accord. ». Je fais demi-tour et reprends le chemin inverse. Heureusement, nous ne sommes qu'à deux minutes. Je me dépêche de monter les marches quatre à quatre. Je suis tellement précipitée que je ne vois pas que quelqu'un arrive vers moi. Et lui non plus, apparemment. Nous nous percutons de plein fouet et je manque de m'étaler par terre. Il me rattrape de justesse. Je lève les yeux pour le dévisager et m'apprête à m'excuser. - Désolé, j'étais sur mon téléphone, je ne t'avais pas vue... - C'est moi qui suis désolée, je devrais regarder où je vais ! Attends, je ne t'ai jamais vu ici ? - Euh...je suis nouveau dans l'internat. - Ah, donc c'est toi. Tu t'appelles ? - Simon. Simon Engvall. Et toi ? - Luna Châtelet. Je l'observe plus en détails. Il me dépasse d'au moins dix centimètres. Il est plutôt pâle, mais naturellement, et a des cheveux blond courts et des yeux bleus. Il est en tenue de sport et prend un air décontracté. C'est étrange, j'ai comme l'impression de l'avoir déjà vu, de lui avoir déjà parlé, pourtant, je suis en même temps sûre que ce n'est qu'une impression. - Bien, j'ai été enchanté de te rencontrer, Luna. On se recroisera sûrement un jour. - De même. Il me sourit. Il est typiquement le gars qu'on pourrait trouver dans des films américains, populaires, que tout le monde aime. Et malheureusement, ça me fait de l'effet. Je me ressaisis lorsqu'il s'éloigne et poursuis mon chemin jusqu'à ma chambre. Je regarde rapidement l'heure sur mon téléphone. Il est huit heures. Donc Simon est du genre à arriver en retard en cours ? Je tourne la poignée de la porte de ma chambre. Elle ne veut pas s'ouvrir. Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ? Évidemment, comme je suis partie, le gardien a dû fermer ma porte à clés alors qu'il doit la fermer à huit heures et quart au cas où on oublie quelque chose. Sans doute un débutant ! J'essaie de forcer bêtement, puis rage en donnant des coups de pieds dans la porte. - Besoin d'aide ? Je sursaute et me retourne. C'est Simon. Il n'est pas parti ? - Euh... Il n'attend pas ma réponse et sort de nulle part une aiguille. Il l'insère dans la serrure et la trafique pendant quelques secondes, puis la porte s'ouvre. - Merci beauc... Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que Hayvil me saute dessus. Je suis tellement prise par surprise que je tombe à la renverse. La honte. - Tu as un chien ? La chance ! Il s'appelle comment ? Je me dégage de Hayvil et me redresse. - Hayvil. Simon me tend la main. Je la prends et me relève. - Merci. - C'est normal. C'est un très beau prénom, Hayvil. Il me fixe de ses yeux bleus absorbants. J'ai l'impression d'y voir un océan magnifique et qui n'est jamais coupé par la moindre terre. Je me ressaisis et détourne les yeux pour me focaliser sur la raison de mon retour. - Merci. Je me hâte de trouver le sachet de croquettes de Hayvil et lui remplis sa gamelle. Lorsque je referme la porte derrière moi, Simon n'a pas bougé. - Tu m'attends, en plus ? C'est trop gentil pour moi, là. Je ne sais plus comment te remercier, à force. Il rigole. - Je t'ai un peu retardée donc je te dois bien ça. Enfin, sauf si je t'insupporte, évidemment, je serais contraint de m'en aller. - Non non, il n'y a pas de problème. Ça me fait de la compagnie. Nous commençons à marcher dans le couloir. - Il est flippant, ce couloir, fait remarquer Simon. - Tu vas devoir le traverser tous les jours, pourtant. - Malheureusement. Nous parvenons aux escaliers et les descendons lentement, même si nous sommes vraiment en retard, pour le coup. Simon regarde l'écran de son téléphone. - Huit heures cinq. Un peu en retard, mais bon, ça va. - Un peu ? - Oh, tu sais, c'est habituel. Je ne fais pas exprès, mais je pense que c'est dû au peu de motivation d'aller en cours. - Tu veux dire que tu arrives tous les jours en retard ? - Hum, ça dépend des jours. Une fois, j'étais presque à l'heure, à huit heures deux, mais sinon, en général, j'arrive jusqu'à deux heures de retard, on va dire. Ou sinon je ne viens pas. - Tu sèches les cours ? - Avant, surtout. Ça nous fait un point en commun. - Enfin, je veux dire, je ne vois pas l'intérêt de faire de la physique chimie quand on veut faire de la musique ou du sport. - Tu fais de la musique ? - De la guitare. Et de la musique électronique. Et du basket. Et toi, tu fais quoi, dans ta vie ? - Euh...de la danse. Et je dessine. - Intéressant. Nous sommes à présent sur le chemin du lycée. Le soleil s'est levé, et on le voit à peine à cause des nuages gris qui surplombent le ciel. C'est la première fois depuis longtemps que je parle de ce que j'aime faire, dans la vie. Nous venons d'arriver devant le portail fermé. Simon sonne à l'interphone. - Oui ? - Bonjour, nous sommes deux élèves légèrement en retard. - Encore toi, Simon. Dépêchez-vous d'aller en vie scolaire. Le portail s'ouvre. - Après toi, me dit Simon. - Me voilà flattée, je réponds. - Tu n'en a pas l'air, en tout cas. Je ne réponds pas et m'engouffre par le portail. Simon me suit. - Bienvenue à notre soixante douzième jour ici, déclare-t-il. - Tu comptes les jours ? - Non. Le hasard fait bien les choses ? - N'importe quoi ! Ma réponse le fait rire tandis que nous entrons dans le bâtiment. - Tu commences par quoi ? me demande-t-il. - Français. Et toi ? - Maths. Horrible. - Bon courage. - À toi aussi. Nous arrivons au bureau de la vie scolaire. Hélas, c'est Marion qui est là. - Et m***e, pas elle, marmonne Simon. - On l'a le mercredi et jeudi en surveillante à l'internat, je lui chuchote. Nous nous arrêtons face à elle. - Luna Châtelet. Et Simon Engvall. Voilà qui ne m'étonne pas ! C'est quoi, votre excuse, encore ?! - C'est de ma faute, j'ai retardé Luna. - Tu n'as aucune excuse, toi. Et Luna non plus, donc. Si je vous revois encore une fois en retard, vous devrez nettoyer tout l'internat mercredi après-midi ! - Mais... - Pas de mais ! Allez en cours. Nous faisons demi-tour et nous éloignons. - Elle est encore là demain matin, faut pas que j'arrive en retard. Tu me réveilleras de force, si tu vois que je ne suis pas parti. Je ne veux surtout pas laver l'internat. - On est bien d'accord. - C'est ici que nos chemins se séparent. Passe une bonne journée, Luna. - Toi aussi. Nous partons chacun vers notre bâtiment : B pour moi, et C pour Simon. Je me dépêche d'aller dans ma salle de français. La porte est fermée, donc je toque. La prof, Madame Péteur - beaucoup se moquent d'elle - m'ouvre. - Assis-toi. L'avantage, c'est que même si vous arrivez cinq minutes avant la fin du cours, elle ne vous dira rien. Madame Péteur est une prof peu respectée dont les cours sont très ennuyants et vous donnent encore plus envie de dormir dès huit heures du matin. Je me dirige vers ma place, au fond de la salle, contre la fenêtre, à côté de Victor. - J'ai bien crû que tu ne viendrais pas. Pourquoi est-ce que tu as pris autant de temps ? - Désolée, j'ai rencontré Simon, le nouveau de l'internat. - Ce n'est pas vraiment le moment de faire des rencontres, à huit heures du matin, un lundi, alors que tu es en retard pour les cours. - Je sais bien ! - Alors, il est comment ? - Ne m'en parle même pas. - Oh, ça veut dire qu'il est pas mal ? - Hum hum, Luna et Victor, au fond, nous coupe Madame Péteur. - Désolée, madame, je réponds. - Tu nous raconteras tout ce midi ! me chuchote Victor. Je lève les yeux au plafond et regarde l'heure. Huit heures vingt. Victor et moi arrêtons de discuter pendant un moment. Je me perds dans mes pensées en regardant par la fenêtre. J'ai presque oublié le rêve étrange de ce matin. Du moins, je ne sais pas vraiment si c'est un rêve. De toute façon, je n'y retournerai plus. - Luna ! me chuchote Victor. Je tourne la tête vers lui. Il est en train de faire une catapulte avec sa pochette cartonnée et s'apprête à catapulter un bout de gomme sur nos voisins de devant, Jordan et Gabin. Il lève le doigt, puis l'élastique de la pochette se détend en effectuant un « Dong » retentissant. Le bout de gomme s'envole et atterrit dans le dos de Gabin qui se retourne en souriant. - Tu pourrais faire mieux, Victor. - Hum hum ! Victor ! Donne-moi cette pochette cartonnée tout de suite ! intervient la prof. - Karma ! chuchote Gabin avant de se retourner vers le tableau. Victor tend sa pochette cartonnée à la prof qui la saisit avant de repartir devant le tableau d'une démarche mal assurée. Dès qu'elle tourne le dos, Gabin et Jordan se tourne vers nous. Le premier tend à Victor un pistolet en origami avec un avion en papier. - Ça, ça marche vraiment. Victor arque un sourcil. - De l'origami ? Peu convaincu, il s'empare de la catapulte version 2.0. Nos voisins de devant se retournent face au tableau, l'air de rien. Madame Péteur écrit au tableau. C'est alors que Victor vise son dos avec son pistolet en origami. Et il tire. L'avion s'envole et survole toute la classe avant de s'écraser dans le dos de notre prof de français. - Purée, ça marche vraiment ! s'écrie Victor un peu trop fort. La prof se retourne et fusille Victor du regard. - Tu es viré de cours ! - Le rêve, marmonna Victor. Il se lève de sa chaise, range ses affaires puis prend son sac sur son épaule et quitte la salle. - Bien, je disais, reprend Madame Péteur. Je ne suis pas la suite du cours. Trente minutes d'ennui. Trente minutes de t*****e. Trente minutes à ne rien faire. Je sors de mon sac mon livre préféré. Le dernier cadeau de mon père. Le seul livre que j'ai. Nos étoiles contraires de John Green. Un livre que j'ai lu une vingtaine de fois. Il me fait penser à mon père, uniquement parce qu'il a eu un cancer, comme les personnages principaux. Et il en est mort. - Luna ? Je détourne mon regard de la fenêtre. Jordan et Gabin se sont tournés vers moi. - X au carré part en forêt. Mais quand il en ressort, il ne reste plus que x. Pourquoi ? - Il s'est pris une racine ? - Bravo, tu es la seule parmi trente personnes à avoir trouvé. - Hum hum, au fond de la classe, vous voulez être virés aussi, peut-être ? coupe la prof. Tout le monde parle dans la classe, mais elle ne remarque que nous quatre, à chaque fois. Jordan lève les mains d'un air innocents, puis son ami et lui se retournent face au tableau. À ce même moment, Madame Péteur se prend un avion en papier dans la tête. Je tourne la tête vers la provenance de l'avion. C'est Clay, un des élèves perturbateurs de la classe. - Clay ! Tu es viré de cours aussi ! s'énerve la prof. Le concerné pouffe de rire, suivi par ses amis, puis quitte la salle. Je croise son regard juste avant qu'il ne disparaisse. Et m***e. Il va embêter Victor. - C'est chaud pour Victor, ça, je marmonne. Jordan se tourne vers moi. - Ne t'en fais pas, on a Marion, aujourd'hui, me répond-il. Il n'a pas tort. Je garde mes craintes pour plus tard. Je retourne dans mes pensées et contemple le paysage par la fenêtre. Je soupire lorsque la sonnerie retentit dix minutes après.
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