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2769 Words
Ma 206 et moi se garons sur le parking de Lidl en ignorant les bruits qu’elle fait, parce que de toute manière, on n’a pas l’argent pour y remédier. Je place une clope entre mes lèvres avant toute chose. J’allume ma cigarette et après m’être examiné dans le rétroviseur du pare-brise, je sors de la caisse dont je claque la portière derrière moi. Il y a du monde autour de mon ami. Il a sûrement une idée derrière la tête. Je pensais qu’il m’invitait juste à sortir boire un verre, c’est quelque chose qu’il fait souvent. Il aime me faire sortir de chez moi, car il sait combien l’enfer y règne. Martial est peut-être un meilleur ami, je n’en sais rien. Comment on sait ça, au juste ? Il répond quand je l’appelle, même si je ne l’appelle jamais. Il m’écoute quand j’ai des choses à dire et si jamais j’ai besoin de quelque chose, je sais que je peux compter sur lui. Martial, c’est aussi le mec populaire, l’ami de tout le monde, l’extraverti. Celui qui sait s’imposer dans une pièce remplie de gens. Il respire la confiance ou du moins, laisse penser qu’il est confiant et qu’il n’a peur de rien. C’est un truc qu’il essaie de m’enseigner. Impose-toi, Lillian ! Arrête de faire le mec timide et réservé ! On n’a pas le temps ! La vie est trop courte, frérot ! Et il a sûrement raison, mais moi, je ne suis pas comme ça. J’aime bien être dans mon coin. J’aime bien quand on m’ignore. Je ne veux jamais faire partie des grandes discussions. Ça ne m’intéresse pas de savoir qui a baisé qui la veille au soir, ni qui a emmené qui chez lui en rentrant de soirée. Je ne suis pas ce type. Moi, je prends ce qu’il me faut pour survivre et je continue ma vie en espérant que la prochaine soirée soit meilleure. Je n’ai pas le temps et puis, ce n’est certainement pas chez mes parents que j’inviterais quelqu’un… J’ai eu des filles dans ma vie. Des jolies, des douces, des gentilles, des moins gentilles, des tarées, des qui crient fort, des qui frappent même… J’ai eu tout et son contraire. Des douceurs qui me rassuraient et des brutes qui me faisaient penser à ce que mon père peut faire subir à ma mère. Ah ouais, il n’y a pas que les hommes. Certaines femmes sont des saloperies aussi. Pas toutes, bien entendu, mais j’en ai rencontré pas mal et je crois que dans le fond, j’ai besoin de ce chaos pour me sentir vivant. Je sais, je sais, peut-être qu’un jour, je tomberai sur la personne qui me fera comprendre que le chaos, c’est bien cinq minutes, mais en attendant, je suis là. Je tape ma main dans celle de Martial qui me fait le tour des gens en sa compagnie. Beaucoup trop de prénoms, j’ai oublié la moitié déjà. Je m’attache les cheveux et je prends une latte de ma clope. La nuit est tombée, il pleut délicatement. Loin d’être agressive, la pluie me fait du bien à ressentir. J’aime ça. Le reflet des lampadaires allumés sur le béton mouillé, le bruit des pneus de voitures qui passent pleine balle sur la route pas loin, la buée sortant des bouches qui papotent autour de moi, les yeux rougis de certains, les joues pour d’autres et le nez légèrement rosé d’Amélie, la petite meuf de Martial. Je l’aime bien Amélie, quoique, je ne lui parle jamais. En vrai, j’aime bien sa présence. Elle ne m’a jamais fait souffler à l’entente de son prénom. Elle n’est jamais très investie non plus. Elle est comme moi, discrète, mais un peu moins. Martial doit l’aider à se dévoiler et en même temps, la chance d’avoir un homme qui prend toute l’attention, ainsi, elle peut rester dans son coin sans qu’on lui demande ce qui cloche chez elle ce soir. – C’est la meuf de ton pote, hein, me dit Nicolas. – Ô, ta gueule, je souffle. Nicolas, je ne l’aime pas et pourtant, j’aime tout le monde. Nicolas, c’est un Nicolas. Vous savez, les narcissiques pervers ? Ceux qui font tout pour que vous soyez à leur merci et qui, du jour au lendemain, vous jettent en vous disant qu’ils n’ont jamais rien fait de mal. Ceux qui voient toujours les femmes comme des objets sexuels, la preuve, avec lui, on ne peut pas regarder une femme sans s’imaginer la retourner dans tous les sens… – Cela-dit, je te comprends, il reprend, moi aussi, je rêve de la retourner, la petite ! Qu’est-ce que je disais… Je regarde Martial qui a l’air d’avoir entendu ce qui vient d’être dit, mais qui préfère se retenir de tout saccager maintenant. Il est comme ça. Il attend la goutte de trop avant de casser des gueules. – En attendant, c’est ta mère que j’ai baisé avant d’être avec elle, dit Martial. Ça fait écarquiller les yeux de tout le monde, Amélie la première. Elle n’avait rien entendu, elle, puisqu’elle était concentrée sur son iPhone 14. – Pourquoi tu dis ça ? Elle demande justement à Martial. Mon ami ne se prononce pas. Il fixe Nicolas qui décide de prendre ça à la rigolade pour détendre l’atmosphère, mais Marti est loin de rigoler. – Bref, dit Nico. On va où ? Martial dit qu’il a reçu une alerte au sujet d’une rave organisée dans un coin paumé d’un village pas loin. Un village pas loin, à Lille… J’espère qu’on ne va pas me demander de prendre ma voiture, parce que jusqu’à preuve du contraire, l’essence, ce n’est pas de la pisse. – C’est à quinze-vingt minutes, mais… d’ici à ce qu’on arrive là-bas, ça peut prendre une demi-heure voire quarante-cinq minutes, dit Martial. Donc, démerdez-vous pour les voitures, moi, je prends Lillian avec moi ! Trop cool. Je savais qu’il ferait en sorte de me faire éviter de prendre la voiture et si jamais, il m’aurait certainement donné l’argent pour l’essence (même si j’aurais refusé), mais c’est sympa de sa part de toujours penser à moi dans ce genre de moments. Tout le monde se disperse, Amélie, Kévin, Liam, Martial et moi, se dirigeons vers la voiture de Monsieur. Une Audi. Nous n’avons pas les mêmes moyens et puis, il profite, c’est normal. Je grimpe derrière, côté droit et à la fenêtre. Liam s’installe à côté de moi, puis Kévin sur la gauche. Devant ce sont Martial et Amélie. Mon ami met le contact et sursaute d’entendre la musique retentir dans la voiture. Ça fait rire tout le monde, puisque nous avons tous été pris de court. La honte, j’ai le cœur qui bat vite. Amélie ouvre un peu sa vitre, je l’imite. J’ai chaud. – Le Nicolas de ces morts-là, dit Martial, lui, le jour où je vais l’avoir dans les mains, je crois qu’il va regretter de m’avoir croisé… Ouah. C’est ça aussi, Martial. Il se bat. Il aime ça, je crois. Ça nous arrive de le faire pour déconner, mais en général, on se fait vraiment mal. Après, j’aime me mettre à l’épreuve avec lui. Je sais que c’est toujours de bonne guerre et c’est rare que l’on en vienne à ne plus déconner. J’adore Martial, en vrai. Il pleut averse et nous arrivons pile quand ça arrive. On peut déjà sentir les vibrations et entendre le son des amplis s’étouffer au loin. Bordel, qu’est-ce que j’aime ça. Je place ma capuche sur mon crâne et je regarde droit devant. Des gens courent à la recherche d’un abri, d’autres pour aller rejoindre les ravers. Elle est belle, celle que je vois plantée là, à me regarder comme si j’étais le mec le plus incroyable qu’elle ait jamais vu. Les cheveux teints en rouge vif, une tenue gothique, des collants effilochés volontairement sur les jambes, des Dr. Martens aux pieds. Une mini-jupe noire sur la taille, un corset noir sur le buste, une veste de jogging sur les épaules. Je dois avoir l’air d’un con, moi, dans mon jean et mes pompes usées. Martial tape sa main sur mon épaule et c’est comme s’il me sortait d’une scène au ralenti. D’un coup, le déluge. La pluie qui se fracasse sur le parking sauvage et boueux. Le bruit de la musique électronique au loin. Les jeux de lumières. La fille a disparue. p****n, fais chier. – Allez ! Lance mon ami. On n’a pas le temps ! On y va tous, malgré que tout le monde n’est pas encore arrivé. On se retrouvera sûrement là-bas, de toute façon. Je regarde Amélie, accrochée à son mec, craintive à l’idée de goûter au sol vaseux et boueux, je la comprends. Elle est toute jolie, ce serait dommage de se salir avant que tout le monde ait pu la voir ainsi. – Hé, pose son bras sur mes épaules Liam, ça te dit on se fume un joint bien chargé ? Il propose. – Je bosse demain, je dis pour me donner une raison. – On s’en fiche ! Il lance. Tu crois que Martial va rester ici une heure et nous ramener au bercail !? Je n’avais pas pensé à ça. Comment vais-je justifier mon absence à mon chef ? p****n, quel débile. – Vas-y ! S’écrie Liam. On n’a qu’une vie, Lillian ! N’fais pas le mec, t’as vus ! T’as vus… Je regarde autour de nous, me mettant à tourner sur mes pompes, manquant de me rétamer quand mes pieds s’emmêlent de s’être enfoncés dans la boue. Seigneur, j’adore ça. J’adore l’ambiance. J’adore le mouvement. J’adore les gens autour de moi. On dirait l’une de ces scènes de films, dans Blade Runner, les anciens, les classiques, les vrais. Je suis aux anges, dans les raves. Des mecs taguent des piles de, je ne sais quoi qui a été posé là. Des filles s’amusent avec le feu, faisant surgir parfois les flammes de leur bouche. Ouah. Il y a de tout. Il y a même des gens qui ont trouvé à faire une buvette où tout le monde peut aller se servir à boire. C’est géant. Tout ça, c’est qu’éphémère, demain, il ne restera que les traces de nos folies sur la terre. Il n’y aura plus un bruit, plus un humain. Juste le silence et le néant total. – Lillian ! J’entends résonner la voix de Martial. Il me pointe du doigt quelque chose ou quelqu’un, je tourne la tête sur ma droite et je la vois la fille aux cheveux rouges. Seigneur. Je suis amoureux pour la soirée. Comment je vais faire ? Je n’ai pas ma voiture… – Tiens ! Me tape l’épaule Liam. Je regarde sa main, un joint entre les doigts, je me saisis de ce dernier pour tirer dessus comme si ma vie en dépendait. Ouah. C’est du bon. C’est même du sacrément bon. Je reprends une bouffée et je rends le joint à Liam. J’enfonce mes mains dans les poches de ma veste, marchant vers la fille aux cheveux rouges, les gouttelettes de pluie s’écoulant le long des mèches noires dépassant de mon front. Qu’est-ce qu’elle est belle, p****n. Pas un mot, rien du tout, dès que j’arrive, elle danse, comme si, c’était ce qu’elle voulait, finalement, danser avec moi. Je la regarde faire le temps d’un moment suspendu. Quand elle pose ses mains sur mes épaules, je sors les miennes de mes poches et je la regarde tirer ma capuche en arrière pour qu’elle puisse voir à quoi je ressemble réellement. J’enfonce mes mains dans mes cheveux que je secoue sur mon crâne avant de les plaquer derrière, puis, elle me lâche. Elle continue de danser, ses mouvements se fondant dans le rythme de l’électronique que diffusent les amplis. Je suis amoureux. – Comment tu t’appelles ? Elle me demande. – Lillian, et toi ? Je questionne. Elle étouffe son rire. – La fille aux cheveux rouges, elle dit. Elle penche la tête en arrière, fermant les paupières pour que les gouttes de pluie puissent tomber sur son visage sans heurter ses yeux. Je la regarde sans dire mot. Elle est magnifique et elle pose ses mains sur mes épaules, rouvrant les yeux pour me regarder. – Tu t’appelles juste Lillian ? Elle demande. Pas de secret, pas de… tu sais, mystères ? – Je devrais ? – C’est excitant, l’inconnu. Seulement pour elle. – Tu ne me reverras jamais, elle dit. En tout cas, pas comme tu me vois aujourd’hui, elle souligne. Tu peux être qui tu veux, ici, pas vrai ? – Tu as quel âge ? Je demande. – Dix-huit, vingt, trente, cinquante-deux… Qui sait ? Questionne la miss aux cheveux rouge. Elle s’éloigne, comme si, finalement, je l’ennuyais. Je piétine sur moi-même pour chercher après mes amis et dès que je retrouve Martial, je m’approche de lui. Liam me donne son joint que je fume volontiers, les yeux clos, dansant au rythme de ce que j’entends. Quelle transe que d’être dans ce genre de soirée. La musique. Les ravers. L’ambiance. Je veux crever en faisant ça. C’est hors du temps. C’est chaque pulsation que mon cœur fait. Ça y est, je décolle, après le troisième ou quatrième roulé. Les bières, l’alcool, je ne sais pas ce que je bois, mais j’y suis et c’est trop bien. Elle revient la fille aux cheveux rouge. Plus belle qu’il y a trois heures. Elle me regarde, elle sourit, elle touche mon épaule, laissant sa main glisser sur mon torse et elle s’en va encore. Je regarde Martial que je vois sourire du coin de la bouche. Il penche la tête sur la droite et va savoir pourquoi, je l’imite. On se sourit et sans savoir ce qu’il lui prend, d’un coup, il attrape mon cou pour m’embrasser. Je le repousse en riant doucement. Je suis peut-être défoncé, mais à ce point ? Et puis, Amélie ? Les sourcils froncés, je le regarde se rendre compte de ce qu’il vient de faire, il tape ma joue et il se met à rire doucement. – Ce n’est pas sorcier, qu’il me dit. Mais ce n'était pas ça, le truc, si ? Il voulait m’embrasser, non ? Pas me donner une leçon, pas me montrer comment faire. Il sait que je sais le faire. – À quoi tu joues ? Je demande. – À rien, il prétend. Détends-toi ! Et elle est où, Amélie ? Je cherche. Je trouve. Je la vois avec Kévin en train de s’échanger leur salive. – Tu es encore là, revient la fille aux cheveux rouge. On dirait que tu as vu un revenant ! – Je veux rentrer chez moi, je lui dis comme si elle allait pouvoir m’aider. – J’suis pas taxi, hein ! Elle lance. Elle s’éloigne en sautillant au rythme de la chanson qui débute. Quand le drop arrive, elle est complètement possédée. Plus elle danse, plus elle s’éloigne et plus, elle s’en va vers des gens qui comme moi, sont toujours contents de la retrouver. – T’as rien vu, vient me dire Amélie. Je te jure que si tu balances quoi que ce soit à ton pote, je lui fais croire des choses que tu ne peux même pas imaginer ! Elle lance. – Vu quoi ? Je demande. Kévin tape ma joue et elle, elle s’éloigne. Je suis défoncé. J’en ai marre, ça y est, ils ont tout gâché. Je veux rentrer chez moi, mais comment je suis censé aller le dire à Martial après ce qu’il vient de se passer ? – Ramène-moi chez moi, s’te plaît, je dis à mon ami. Je suis crevé et je bosse demain. – On commence tout juste à s’amuser ! Lance Liam. Fais pas chier, Lillian ! – Ouais, écoute-le, dit Martial, on commence juste à s’amuser ! Mais il y a une descente et on le sait qu’à partir du moment où la musique est coupée. Je regarde Martial alors qu’autour de nous, tout le monde s’agite pour fuir afin de ne pas se faire attraper par la police sur place. – Ce n’est pas ce que tu voulais ? Il demande. – Que tu me s***s la queue ? Je questionne. Ou rentrer chez moi ? – Les deux, il dit. Il est défoncé. Plus que moi, on dirait. Et on se fait tous les deux attraper. Je le vois se débattre et s’enfuir, moi, je suis déjà foutu. Je vais passer le reste de la nuit en garde à vue et je devrais rentrer chez moi en étant de nouveau au chômage, c’est super.
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