Le silence dans le salon avait une forme étrange. Il n’était ni pesant ni gênant… juste chargé d’attente. Tous les regards se posaient sur Yannick, comme s’il avait répété un discours et qu’il devait maintenant le réciter sans faillir.
Ses doigts frôlèrent doucement ceux de Mayah sur le canapé. C’était discret, presque imperceptible, mais suffisant pour qu’elle se redresse légèrement, comme pour se rappeler qu’elle n’était pas seule.
Yannick prit une profonde inspiration. Ce n’était pas un garçon enclin au doute, pourtant, ce soir-là, son cœur était lourd. Non pas par peur de l’engagement, mais parce qu’il savait que toute cette mise en scène reposait sur un accord silencieux, presque mensonger. Et malgré cela, les mots qu’il s’apprêtait à prononcer venaient du cœur.
— Monsieur Huseyin, Madame Fatiha, dit-il d’une voix claire, je suis ici aujourd’hui avec ma mère, mon oncle Burak et mon meilleur ami Khalis… pour vous faire une demande officielle.
Il marqua une pause. Le regard de Mayah l’encouragea à poursuivre.
— J’aimerais vous demander la main de votre fille, Mayah, avec tout le respect que cela implique. Elle est une femme exceptionnelle, et je ferai tout pour la rendre heureuse.
Un silence s’installa après ses mots. Un silence sincère, ni froid ni hostile. Il espérait que sa sincérité serait perceptible, même si tout cela allait trop vite.
Mayah, elle, était pétrifiée. Elle aurait voulu se cacher, devenir invisible. Et pourtant, une part d’elle se sentait honorée. Elle avait grandi bercée par les récits de fiançailles arrangées et de traditions à suivre. Désormais, elle vivait la sienne. Ou du moins, une version légèrement modifiée.
Fatiha toussota doucement, tentant de retrouver une contenance. Yannick avait du respect, peut-être même du charme. Mais tout semblait si précipité...
— Yannick, nous te remercions pour cette démarche, déclara-t-elle. C’est rare aujourd’hui de voir un jeune homme venir avec sa famille pour faire les choses dans les règles.
Elle posa les yeux sur sa fille. Mayah paraissait calme, belle comme jamais, et peut-être un peu nerveuse. Mais il y avait chez elle une assurance nouvelle. Jamais encore elle ne l’avait vue aussi déterminée.
— Mais je dois vous demander… êtes-vous vraiment certains, tous les deux, de vouloir cette union ? Ne serait-ce pas un simple coup de tête ?
— Je suis sûr de moi, répondit Yannick sans hésiter. Et je suis prêt à prendre mes responsabilités.
— Moi aussi, ajouta Mayah d’une voix douce. Je sais que ça peut sembler rapide, maman. Mais… c’est ce que je veux.
Ses mots étaient sortis sans trembler, ce qui l’étonna elle-même. Il y avait peut-être une part de mensonge dans ce qu’elle vivait, mais une autre part, plus discrète, y croyait déjà.
Cemal, l’oncle de Mayah, croisa les bras en observant Yannick. Il était encore surpris de cette demande si soudaine, mais quelque chose dans l’attitude du jeune homme le rassurait. Il hocha lentement la tête, puis sourit légèrement.
— Eh bien… on dirait que les jeunes savent ce qu’ils veulent, dit-il en posant un regard attendri sur sa nièce. Si Mayah est sûre d’elle, je ne peux que la soutenir.
Huseyin approuva d’un simple mouvement de tête. Son regard allait de Yannick à sa fille. Il n’était pas homme à exprimer ses émotions facilement, mais il reconnaissait le sérieux dans la voix du garçon.
— Si Mayah est prête, alors nous le sommes aussi, déclara-t-il. Il n’est pas nécessaire d’attendre. Nous allons faire les choses rapidement, comme ils le souhaitent.
Fatiha acquiesça, même si son cœur de mère restait inquiet. Elle jeta un regard à Yannick, puis à Mayah.
— Très bien. Nous organiserons une petite soirée de fiançailles dans les jours qui viennent. Simple, mais dans les règles.
Burak, l’oncle de Yannick, intervint aussitôt, visiblement soulagé par la tournure des choses.
— C’est tout ce qu’on souhaite aussi. Yannick est sérieux. Il saura la rendre heureuse.
Khalis, jusque-là silencieux, posa une main amicale sur l’épaule de son meilleur ami, avec un sourire discret. Il n’avait pas besoin de parler : son soutien était évident.
Mayah, elle, esquissa un sourire. Tout allait trop vite, mais autour d’elle, chacun semblait croire à ce qu’ils construisaient. Alors, elle choisit de se laisser porter.
La gouvernante revint avec un nouveau plateau de thé. Les discussions s’adoucirent. On parlait déjà de date, de robes, de musique. Comme si l’histoire était déjà écrite.
Et pourtant, sous cette façade bien ordonnée, chacun gardait en lui des doutes bien réels.
Neslihan la mère de Yannick était restée silencieuse tout au long de la rencontre. Elle observait, en retrait, sans commenter ni interrompre. Ses traits demeuraient impassibles, mais ses pensées tourbillonnaient. Elle ne croyait pas vraiment en cette union, en tout cas pas comme les autres y croyaient. Et pourtant, elle voyait bien que Yannick ne comptait pas reculer.
Une chose était désormais certaine : ce n'était pas Jamsine qu’il allait épouser. C’était bien Mayah.
Lorsque la réunion toucha à sa fin, chacun repartit. Sur le chemin du retour, la mère de Yannick ne dit toujours rien. Ce n’est qu’une fois rentrée chez elle qu’elle appela Mia et Sonia deux femmes très proches de la famille, dont Sonia, surtout, celle qui avait été choisie depuis longtemps pour Yannick.
Les deux femmes l’écoutèrent en silence pendant qu’elle leur expliquait ce qu’il s’était passé. Sonia, étonnée, demanda aussitôt :
— Et moi, dans tout ça ?
La mère de Yannick lui lança un regard calculateur, presque froid.
— Ne t’inquiète pas, ma fille. Mayah sera la première. Mais toi… tu seras la deuxième.
Sonia n’eut pas besoin de poser plus de questions. Elle savait ce que cela voulait dire. Dans cet univers, tout n’était qu’une question de stratégie, d’ordre, de patience.
Et si Yannick l’ignorait encore, sa mère, elle, avait déjà tout prévu.
Ce soir-là, après le départ des invités, Mayah quitta la maison discrètement. Elle avait donné rendez-vous à Jordan dans un petit restaurant discret, loin des regards familiers. Lorsqu’il la vit arriver, vêtue sobrement, le visage fermé, il comprit aussitôt que quelque chose n’allait pas.
— T’as une sale tête… Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il en s’asseyant en face d’elle.
Elle inspira longuement, cherchant les bons mots.
— Je vais me marier, Jordan.
Il la fixa, les yeux écarquillés.
— Quoi ? Tu… t’es sérieuse là ? C’est une blague ?
— Non, murmura-t-elle. C’est avec Yanncik.
Jordan recula légèrement sur sa chaise, abasourdi.
— Attends, attends… Tu vas vraiment l’épouser ? Ce même Yanncik que tu considères comme ton frère ?
Elle hocha lentement la tête.
— C’est un mariage arrangé. Un faux mariage… mais officiel aux yeux de tout le monde.
— Un faux mariage ? répéta-t-il, incapable de masquer son incrédulité. Pourquoi tu ferais un truc pareil ?
— C’est compliqué, Jordan. Je ne peux pas tout t’expliquer maintenant. Mais je te fais confiance. Ne dis rien à personne, surtout pas sur notre fausse union à nous.
Il resta silencieux un instant, la regardant comme s’il essayait de deviner ce qu’elle lui cachait vraiment. Puis, contre toute attente, il sourit.
— D’accord. J’dirai rien. Même si franchement, tout ça me dépasse.
Mayah soupira de soulagement.
— Merci. Vraiment.
De son côté, Yanncik était allé voir Jasmine. Elle l’avait fait entrer dans son salon sans un mot, méfiante. Elle avait déjà entendu des rumeurs.
— Je suppose que t’es venu m’annoncer une mauvaise nouvelle, dit-elle froidement.
Yanncik ne chercha pas à tourner autour du pot.
— Je vais me marier avec Mayah.
Jasmine blêmit.
— Tu te fous de moi ? Après tout ce qu’on s’est dit, tu me plantes comme ça ?
— Écoute-moi. Ce n’est pas un vrai mariage. C’est temporaire. Une sorte d’arrangement familial. Mais ça doit rester entre nous.
Elle le fixa longuement, blessée, mais curieuse.
— Et moi, je suis censée faire quoi ? Attendre ? Te regarder jouer au couple avec une autre ?
— Non, répondit-il d’une voix ferme. Je veux que tu sois patiente. C’est la seule manière pour qu’on puisse être ensemble plus tard. Tu seras la deuxième.
Jasmine fronça les sourcils.
— La deuxième ? Tu parles comme ta mère, maintenant ?
Il détourna les yeux, mal à l’aise.
Malgré tout, après un long silence, elle finit par hocher la tête.
— Très bien. Mais ne me mens plus jamais.
Yanncik promit, même s’il savait qu’il allait devoir mentir encore… beaucoup.
Les choses s’étaient enchaînées à une vitesse vertigineuse. À peine deux jours après les fiançailles, un mariage avait été célébré. Luxueux, mais discret. Très privé. Seules les deux familles étaient présentes. Pas d’amis, pas d’invités, pas de caméra indiscrète. Juste eux, les principaux concernés, liés devant la loi et les regards silencieux de leurs proches.
À suivre...