Préfacede Daniel Compère
Lors de sa publication dans Le Petit Parisien au début de l’année 1915, Sur les routes sanglantes de Jules Mary est qualifié de « récit de la Grande Guerre ». L’action se déroule en effet pendant le conflit : elle commence début juillet 1914, ce qui permet à l’auteur de mettre en scène la déclaration de guerre, la mobilisation, l’arrivée des soldats face à l’ennemi, les combats en Belgique, et l’épilogue se déroule en octobre 1914 près du village de Vailly dans l’Aisne, non loin du Chemin des Dames (où a eu lieu la première bataille de la Marne, fin août-début septembre 1914).
Jules Mary est bien documenté sur le déroulement des combats des premiers mois de la Grande Guerre. Quelques jours avant la publication du premier épisode de ce roman, Le Petit Parisien précisait, dans son numéro du 26 janvier 1915, que l’auteur est bien informé :
« L’étude constante qu’il faisait de l’Allemagne depuis vingt ans, ses voyages, ses observations, ses renseignements lui montraient l’attaque prochaine, certaine, inévitable et Jules Mary ne craignait pas de l’écrire, mêlant ainsi, à la fiction de ses actions romanesques, le puissant et poignant intérêt d’une préoccupation patriotique […] »
Ce roman nous donne une terrible description des premiers mois de la guerre avec les atrocités commises par les troupes allemandes, les prisonniers fusillés, les civils utilisés comme boucliers humains, les pillages. Mais aussi les horreurs des combats corps à corps, membres coupés, poitrines trouées, lambeaux de chair projetés, etc. Reprenant au début de la troisième partie du roman l’image des Barbares déferlant sur la civilisation, le narrateur souligne le choc que produit cette violence : « L’univers se sentait perdu, sous la férocité allemande victorieuse : il évolua, d’un coup, en six jours, vers d’autres destinées. »
Une autre image marque la quatrième partie de Sur les routes sanglantes, celle des taupes et des araignées pour désigner les premières tranchées qui sont creusées dans l’Aisne en octobre 1914 et des corps qui restent accrochés aux fils de fer…
Dans ce contexte particulier, Jules Mary développe une intrigue complexe comme il aime à en nouer dans ses récits. Nous n’en analyserons pas ici les divers développements, mais nous soulignerons néanmoins la maîtrise narrative d’un romancier qui écrit pendant le déroulement de la Grande Guerre, vraisemblablement fin 1914, et parvient à y situer un récit qui relève tout à la fois de l’enquête policière, du récit d’espionnage, du drame familial et sentimental, et, bien sûr, du roman de guerre.
En ce début de XXe siècle, Jules Mary est un auteur très célèbre. Il est né en 1851 dans les Ardennes et a débuté comme romancier en 1875 avec Amour d’enfant, amour d’homme. Il devient romancier-feuilletoniste au Petit Parisien en 1878, puis passe au Petit Journal en 1885 et connaît la célébrité avec Roger-la-Honte (1886-87), un roman d’aventures policières, genre que Mary va cultiver avec bonheur (Le Boucher de Meudon, L’Endormeuse, Guet-apens, La Pocharde). En 1887, Rouff lance la collection « Les Vaincus de la vie » qui lui est consacrée : Les Pigeonnes (1887), Je t’aime (1888), Blessée au cœur (1894). Au début du XXe siècle, Mary a commencé à développer une fibre patriotique qui s’ébauche dans Les Dernières cartouches (1902) et La Fiancée de Lorraine (1903) et prend une grande ampleur pendant la guerre : Sur les routes sanglantes n’est pas le seul roman que le conflit lui inspire.
Ce roman présente de belles figures de personnages. Entre autres, Rochefière, l’officier français tué dans un train près de Compiègne alors que la guerre va être déclarée, mais aussi sa fille Marie-Blanche et Simon Beaufort. Il faut aussi mentionner les deux fils du banquier Holmutz qui sont « entre deux parties » comme l’indique l’un des chapitres : ils font passer le patriotisme français avant leur devoir filial envers leur père félon.
Une annonce publiée par Le Petit Parisien dans les jours qui précèdent la parution du roman, relie celui-ci au précédent, Soldats de demain (1913-1914), où Mary évoquait « la bataille d’avant la guerre », c’est-à-dire comment le service d’espionnage allemand étendait ses ramifications en France. Le lien repose sur le personnage de César Sanguinède qui y déjouait une tentative de chantage sur un général français montée par l’espionnage allemand et que le lecteur retrouve dans Sur les routes sanglantes où il opère toujours avec efficacité contre les ruses des ennemis.
Sur les routes sanglantes est paru en feuilleton dans Le Petit Parisien du 31 janvier au 14 juin 1915, puis en volume dans la collection « Romans populaires » du Livre national chez Tallandier avec toujours en sous-titre « Récit de la Grande Guerre » (1915) et à la Librairie illustrée en 1916 avec des illustrations de Bombled. Il n’a pas connu d’autres édition depuis.
Première partiePendant qu’on dansait le tango