− Tout est de ma faute, Dr Rivalti, lança l’élève-infirmière.
Levant la tête du rapport circonstanciel de la patiente ayant fait un arrêt cardiaque, le Dr Raffaelle Rivalti, chef clinique des urgences, scruta les deux femmes arrêtées, devant lui. Jodie, la jeune élève-infirmière et Sydney la nouvelle infirmière fraichement arrivé le matin même et qui avait procédé à l’intubation providentielle.
Elle devait vraiment être nouvelle pour ne pas qu’il l’ait remarqué plus tôt. Il connaissait certes chaque membre de son équipe et ceux de l’hôpital mais c’était autre chose qui le lui avait fait remarquer. Ses magnifiques yeux plein de défi, qu’elle avait levé vers lui lorsqu’il avait fait éruption dans le box, d’un bleu fond de mer qui lui avait rappelé la mer de sa Toscane natale et puis cette chevelure.
Elle avait une couleur de cheveux assez intriguant, un blond rappelant la couleur du miel avec quelques mèches châtaines et roux. Elle les avait noués en queue de cheval mais cela n’empêchait pas d’attirer les regards. Il se les imaginait bien ondulant au gré du vent ou étalé le long de ses épaules. Cela devait être un spectacle magnifique.
Agacé par la tournure de ses pensées, il détourna les yeux. Qu’est-ce qui lui prenait d’être animé par de telles pensées au sujet d’une collaboratrice fraichement débarquée ? Ce n’était vraiment pas le moment de se livrer à des réflexions fantasques, inutile et non appropriées. Il avait un service à faire tourner.
Il devait être reconnaissant à la jeune infirmière de son arrivée car le service avait bien besoin d’infirmière et tout à l’heure elle s’était montrée efficace et très compétente. Elle avait agi la tête froide sans avoir peur alors qu’elle commençait aujourd’hui, ne connaissait personne et rien du tout à l’hôpital.
− Sans l’aide de l’infirmière Sydney…
− Je sais Jodie, la patiente serait peut-être morte, dit-il l’interrompant. Je vous remercie Mlle Carlyle de votre aide mais vous êtes nouvelle et il y a des règles à suivre dans cet hôpital. Vous n’étiez pas habilité à utiliser le matériel médical surtout en ne connaissant par les antécédents médicaux de la patiente que vous avez intubée. Heureusement que vous êtes une excellente infirmière et ce que vous avez fait lui a sauvé la vie. Et, je dis bien heureusement.
− J’ai fait ce qui était…
− N’essayez pas de vous justifier, Mlle Carlyle, dit-elle l’interrompant. Ce que vous avez fait était au porteur mais risqué. À part cela, je vous dis bienvenue dans l’équipe des urgences du Westside Hospital. Vous pouvez disposer mesdemoiselles. Il y a des patients qui vous attendent.
Les deux jeunes femmes lui lancèrent des excuses et s’en allèrent.
Grace Maxwell, qui était restée dans son coin tout au long de la discussion, daigna un regard sur les jeunes femmes qui décampaient derrière sa paire de lunette accrochée à une chaine, et poussa un soupir en se tournant vers Raffaelle.
− Ne crois-tu pas avoir été sévère avec elles surtout avec la nouvelle infirmière ? lança-t-elle sur un ton de reproche. Elle a sauvé la vie d’une patiente.
Raffaelle se passa une main dans ses cheveux déjà bien ébouriffé et Grace se surprit à imaginer elle aussi passer sa main dans cette épaisse crinière châtaine aux mèches rebelles.
Elle le savait bien que toutes les infirmières du service - et pas seulement de ce service - craquaient pour le beau médecin italien. Elle aussi aurait été comme elles si elle l’avait connu vingt-cinq ans plus tôt mais aujourd’hui elle ne pouvait qu’observer ses jeunes gens et ce médecin qu’elle appréciait vraiment. Même s’il était parfois un peu grognon. En fait pas parfois, tout le temps.
− Je suppose, dit-il d’un ton calme, avec son indéniable accent italien qui fascinait tant.
− Tu as l’air fatigué, Rafe. Tu devrais prendre du repos.
Raffaelle haussa les épaules, lui jeta un regard de ses yeux gris-vert puis pencha la tête sur un autre dossier qu’il s’efforça de lire.
Il savait très bien qu’il était allé un peu trop loin avec les deux jeunes femmes mais en tant que chef il devait être implacable.
Et puis, il y avait aussi cette histoire. Cela ferait bientôt cinq ans et la date de ce funeste jour approchant à grand pas cela le rendait très irascible. Comment oublier ce jour où il l’avait trouvé baignant dans une mare de sang ? Mais comment oubliés que peut-être sans ce qu’il avait eu à faire et dire ce soir-là, Sandra n’aurait pas perdu leur bébé et n’aurait pas ensuite tenté de se suicider.
La culpabilité lui collait à la peau.
Il pensait avoir mis toute cette histoire et les souvenirs s’y rattachant derrière lui mais cette date butoir avait l’art de raviver la douleur. Et les souvenirs.
Poussant un soupir, il leva un regard vers Grace qui discutait maintenant avec une des infirmières-puéricultrices. La jeune indienne leva vers lui un regard et lui sourit dévoilant de jolies fossettes. Répondant à son sourire, il retourna à la lecture de ses dossiers.
Il n’y avait rien de mieux au monde que le travail pour vous libérer l’esprit de vieux et pénibles souvenirs.
Et, il avait un service à faire tourner pour se laisser appesantir par tout ça.
***
− Il est toujours aussi… autoritaire le Dr Rivalti ? demanda Sydney à la demi-douzaine d’infirmière avec qui elle se trouvait dans un coin de la salle d’attente.
− Et là, tu ne l’as pas vu de mauvaise humeur, s’empressa de dire Jodie.
Sydney avait maintenant tronqué son jean et son chemisier par sa tenue d’infirmière. Après sa petite intervention, Grace l’avait présenté aux autres infirmières et promis de rencontrer la chef des infirmières qui n’était pas encore présente.
Pour le moment tout allait bien, elle discutait tranquillement avec ses nouvelles collègues qui s’étaient présentées et heureusement qu’elle avait la mémoire des visages.
Toutefois, elle ne pouvait s’empêcher de penser à comment le chef clinique leur avait passé un savon à elle et Jodie. Ce n’était pas comme si elle ne savait pas ce qu’elle faisait. Elle était aussi qualifiée que les infirmières qui travaillait déjà ici.
Elle était habituée à côtoyer les médecins, ses supérieurs hiérarchiques qu’elle n’appréciait pas toujours, mais à cet instant précis, elle s’était sentie étrangement intimidée par le regard qu’il avait posé sur elle plus qu’en colère. Il était vraiment beau avec cette chevelure brun châtaine et ses yeux d’un fascinant et magnétique gris-vert. Et, il avait un bel accent montrant que l’anglais ne devait pas être sa langue d’origine. Secouant la tête, elle se somma de se ressaisir. Elle n’était pas là pour admirer un médecin, aussi bel homme soit-il, elle était là pour travailler.
Ce premier jour de travail avait été des plus stupéfiants pour elle. Elle qui pensait rester dans son coin et observer tout avant de pouvoir faire son entrée dans cette nouvelle vie avait vite déchanté.
Son entrée dans la vie hospitalière londonienne avait été assez mouvementée, éprouvant même, mais elle était bien contente d’avoir faire montre preuve de son talent.
− Excuse-moi de demander cela mais ton bronzage, il est vraiment magnifique ! Tu dois me donner l’adresse de ton salon de beauté car moi aussi j’aimerai avoir moins ce teint terne, lui demanda Thelma une autre infirmière.
Un petit sourire aux lèvres, Sydney observa la jeune infirmière. La jeune femme était très belle et son teint lui allait à ravir.
− Cela va être un peu compliquée, je crois, répondit-elle avec une petite moue. Faudrait pour cela que tu ailles à l’autre bout du monde, en Australie.
− En Australie ! Pourquoi ça ?
Elle se retint de rire face aux regards des infirmières l’entourant.
− Parce que jusqu’à un mois, c’est là-bas que je vivais.
− Tu es australienne et pourtant tu n’as pas d’accent, intervint Lisa, une autre infirmière.
− Parce que je ne suis pas australienne, dit-elle avec une moue, se rappelant la même remarque de ses anciens camarades d’école à Sydney.
Elle n’avait aucune envie de parler de sa vie mais elle était la nouvelle et il valait mieux ne pas avoir trop de secrets avec ses nouvelles collègues. Et, il était connu que dans le monde médical qu’il n’y avait pas plus accro aux ragots que les infirmières. Elle allait donc leur fait la version courte de la vie de Sydney Carlyle.
− En fait, je suis née ici même en Angleterre, à Londres, commença-t-elle, mais enfant ma mère et moi sommes allé rejoindre ma grand-mère qui vivait en Australie. J’y ai vécu là-bas très longtemps et je ne suis rentrée qu’il y a quelques temps d’où le fait que j’ai encore mon" bronzage". Et hélas, je n’ai pas réussi à prendre l’accent australien, finit-elle sur une note d’humour.
− Tu vivais en Australie. Waouh. Et où ça ? Demanda Thelma.
− À Sydney, dit-elle avec un petit sourire, mais j’ai toujours eu la nostalgie de ma terre natale.
Sydney savait à quoi rimaient toutes ses questions devant le personnel. C’était une manière de la présentée et de tisser des liens.
− Une Sydney vivant à Sydney, reprit une des élèves infirmière en riant.
Sydney avait plusieurs fois eu à faire à cette comparaison mais cela l’amusait plus que l’irritait.
− Arrêtez de la charrier, lança Mia en regardant sa montre.
− Est-il vrai que les animaux les plus venimeux au monde se trouvent en Australie ? demanda Lisa, une autre élève infirmière, de sa voix fluette.
Sydney acquiesça de la tête avec un sourire.
− Mesdemoiselles, leur lança Grace qui venait d’apparaître de nulle part. Assez de bavardage. Allez au travail.
Avec des petits rires, elles se dispersèrent dans le service.