Il était un peu plus de vingt-heures quand Sydney finit son premier jour et elle était quelque peu épuisée.
Elle avait appréhendé cette journée depuis son retour mais tout c’était plutôt bien passé. À part l’incident avec la jeune patiente, elle avait passé une bonne journée, avait fait connaissance avec ses nouvelles collègues, avait pris ses marques. La différence entre un hôpital en Australie et ici était assez éloquente mais elle sentait qu’elle s’y ferait très vite. Il lui fallait encore du temps pour s’accoutumer avec son nouvel univers c’est tout mais avec le personnel ç’avait plutôt bien accroché.
En fait, elle l’espérait !
Quand elle repassa les portes coulissantes, elle se figea, s’extasiant à nouveau comme une enfant devant l’étendue blanche à perte de vue.
La neige !
Après avoir passé tant d’années loin d’ici, ce climat était le plus dur pour elle à se réhabituer. Elle se souvenait enfant qu’elle adorait la neige mais à Sydney, il ne neigeait pas. C’était peut-être un peu pour cela qu’elle avait choisi cette période pour revenir. Mais même si elle adorait la neige, elle était plutôt contente de ne pas avoir à le supporter encore que quelques semaines. Elle n’était plus habituée à ce froid.
Un sourire aux lèvres, elle plongea ses mains gantée dans les poches de son long manteau et marcha d’un pas nonchalant. Elle avait envie de prendre un peu son temps avant de rentrer à l’auberge.
Voir un peu la ville nocturne, flânée dans les rues qui commençait à se parer des lumières de fin d’année.
Maintenant qu’elle était installée et avait trouvé du travail, elle devait penser à tenir la promesse faite à sa défunte grand-mère : se réconcilier avec son père.
Chose plus facile à dire qu’à faire.
Son père, elle ne l’avait pas revu depuis que sa mère et elle avaient quitté Londres et étaient allées vivre à l’autre bout du monde, juste après leur divorce. Elle avait dix ans à peine, une jeune préadolescente dans un pays et une ville inconnue qui cherchait ses marques. Elle avait été si malheureuse et en colère que sa mère l’amène loin de tout ce qu’elle avait toujours connu et de ses amis. Elle avait d’ailleurs fait la tête à celle-ci pendant des mois.
Thomas Carlyle lui avait promis de l’appeler et de l’écrit le plus souvent possible. Et, elle s’était accrochée à cette promesse qui était la seule chose tangible dans son monde en bascule.
Cette promesse, il l’avait tenue que pendant la première année puis les lettres, les cartes et les appels se sont fait de plus en plus rare jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de nouvelle. Même pas même à la mort de sa mère survenu quelques années au cours de sa seizième année.
Elle avait cru, naïvement, que son père serait venu la chercher pour la récupérer afin de retourner vivre avec lui en Angleterre mais il n’en avait rien faire. Cela avait été si dur de se rendre compte que son père n’avait plus rien à faire d’elle et de ce qui lui arrivait. Elle était orpheline de mère et il n’avait donné aucun signe de vie. Le numéro qu’elle avait encore n’était plus attribué et il avait déménagé.
Elle avait dû se résoudre, la mort dans l’âme, à aller vivre avec sa grand-mère qui s’était installée, dans une petite ville, à Canberra.
Et durant tout ce temps, toutes ses années, elle avait espéré. Elle l’avait espéré longtemps, très longtemps même jusqu’à ce que l’espoir se transforme en haine. Il n’avait même jamais essayé, tenté d’avoir de ses nouvelles. Rien. Et après toutes ses années, elle le détestait toujours. Et pourtant, elle était là. En mémoire de sa grand-mère.
Quand elle pensait qu’il y a encore un an elle célébrait avec elle l’obtention de son diplôme d’infirmière. C’est à cette période que sa grand-mère avait commencé à insister pour qu’elle reprenne contact avec son père mais elle avait toujours refusé. Mais à son tour, la mort avait emporté la vieille femme huit mois plus tôt. Crise cardiaque. Une mort si subite qu’elle l’avait laissé dans un dénuement moral très grand. Elle se retrouvait seule dans un pays qui n’était pas vraiment le sien. C’est vrai qu’elle avait toujours aimé vivre à Sydney mais elle avait toujours ressenti ce manque. Un manque qui avait empiré après la mort de sa grand-mère.
Souvent, elle se disait bien que sa grand-mère devait savoir qu’elle allait mourir sinon pourquoi avoir tant insisté les semaines précédentes pour qu’elle lui promette de reprendre contact avec son père s’il lui arrivait malheur.
Eh bien, la voilà de retour en Angleterre, dans sa bonne vieille terre natale.
Elle savait de sa grand-mère que son père vivait toujours à Londres mais où, elle ne savait plus trop. Elle ne devrait pas avoir du mal à retrouver Thomas Carlyle. En fait, elle l’espérait. Elle se mettrait à sa recherche un peu plus tard. Là, elle était épuisée et voulait se reposer.
Poussant un soupir, elle observa la vapeur blanche qui se forma près de sa bouche et sourit.
− Attention !
Quelqu’un lui agrippa fortement le bras et la tira vers l’arrière.
Sydney eut à peine le temps de voir une voiture passée devant elle et entendre le conducteur rouspéter à son encontre avant de disparaître dans une ruelle.
Ça avait été moins d’une, se rendit-elle compte, le cœur battant follement.
− Pour une infirmière, vous êtes très imprudente, lui lança la même voix d’un ton de remontrance.
Les notes de sa voix, à l’accent si particulier, la firent se tourner brusquement, se retrouvant face au Dr Rivalti qui la regardait avec ses yeux froids. Cela la ramena à ses années de lycées et à ses éprouvants moments où elle finissait dans le bureau du proviseur après avoir faire quelques bêtises. Elle avait beau être en colère d’être ainsi tenue, et quelque peu en état de choc d’avoir manqué de se faire renverser, elle avait dû mal à se détacher de ses yeux verts-marron qui la fixait. Elle qui les imaginait plutôt noirs fut surpris par l’intensité de ce vert sombre mêlés d’éclat marron encore plus sombre.
Baissant les yeux, elle fixa la main gantée du médecin qui lui agrippait toujours le bras assez fortement d’ailleurs.
− Londres est une ville différente de Sydney surtout en hiver, Mlle Carlyle.
Il lui parlait comme s’il était en train de sermonner une gamine. Elle lui était reconnaissante de lui avoir évité un fâcheux accident mais elle ne lui permettait pas de lui parler ainsi. Relevant la tête, elle lui jeta un regard noir et tira d’un coup sec son bras pour le libérer.
− Je sais parfaitement cela, Dr Rivalti, dit-elle sur un ton polie mais dur. J’étais plongée dans mes pensées et je n’avais pas vu la voiture. Je vous remercie de m’avoir secouru avant que le pire n’arrive.
Surpris par son ton, Raffaelle scruta la jeune femme. Un port de reine qui le fusillait de ses yeux, qui jetaient des éclairs.
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
− Espérons qu’au travail vous ne serez pas aussi tête en l’air, à penser à on ne sait quoi ou qui, dit-il d’un ton sarcastique.
Sans lui laisser le temps de répondre, il s’éloigna vers un énorme 4x4 noir, monta et démarra.
Sydney regarda la voiture s’éloigner quelques instants plus tard et grimaça.
Quelle malchance ! Il avait fallu que la personne qui lui porte secours soit son supérieur hiérarchique qui non seulement était arrogant mais détestable. Et là elle venait de lui faire une impression pas favorable.
Poussant un soupir, elle reprit sa route, accélérant le pas pour rejoindre la station de bus et se retrouver au plus vite au chaud.