Chapitre V

453 Words
VRose Chagrin avait toujours travaillé dans les vitamines. Au collège déjà, elle fournissait des pilules à l’heure des examens. Même s’il s’était avéré que ce n’étaient que des bonbons acidulés, le taux de réussite avait explosé ces années-là. Une compagnie pharmaceutique l’avait repérée. En quelques mois, elle s’était retrouvée responsable des ventes du quartier est de la ville. Comme toutes ses camarades de classe, Rose Chance s’était mariée à peine débarrassée de son appareil dentaire. Mais en prenant le nom de Chagrin, les affaires avaient commencé à péricliter. Les clients nourrissaient des doutes sur l’efficacité d’un produit tonique vendu par une dame dont le patronyme était aussi sombre. On lui avait alors conseillé de se faire appeler Madame Rose. Immédiatement, les pilules avaient gagné de nouvelles vertus, allant de l’antidépresseur au stimulant érotique. Les ventes avaient décollé et ses supérieurs l’avaient propulsée responsable des ventes des quartiers est et ouest. Comme toutes ses camarades de classe, Rose Chagrin avait mis au monde un garçon, puis deux ans plus tard, une fille. C’était ainsi que l’on concevait sa postérité. Hélas, la maternité et les vitamines exigeaient beaucoup de travail et de nuits sans sommeil. Pour tenir le coup, Rose Chagrin s’était mise à avaler différentes petites pilules, puisées dans les cartons qui s’entassaient dans son bureau. Elle avait très vite retrouvé toute son énergie et plus encore. Les ventes avaient doublé. On la nomma responsable des ventes des quartiers est, ouest et sud. Une véritable promotion ! Cependant, entre les enfants et les pilules, Rose Chagrin avait fini par s’effondrer. Un matin, elle ne s’était pas levée. Elle avait fixé le plafond pendant un mois. On lui avait aussitôt retiré la vente des quartiers est, ouest et sud. C’était dommage, il ne lui manquait plus que le nord ! Après de longues semaines de convalescence, elle avait été frapper, tête basse, au bureau de son supérieur. Grâce à son joli sourire qu’aucune grossesse et aucune insomnie n’avait réussi à altérer, on lui avait confié un poste de prospectrice dans le quartier est. Elle s’invitait dans les salons et présentait son assortiment à un cercle de dépressifs, d’anémiques, de surmenés. L’accueil était chaleureux. On l’attendait même impatiemment. Avec quatre emplois cumulés et des traites impayées, on avait plus que jamais besoin de vitamines. Le carnet de commandes débordait. L’économie marchait à plein régime et pourtant, le sourire de Rose Chagrin se rétrécissait de jour en jour. A six heures, elle entra dans le bureau de son supérieur et lui remit les bordereaux. Il les inspecta, en conserva trois, puis jeta les autres dans une poubelle qui en regorgeait. « Vous faites du bon travail, Rose, dommage que la plupart de ces clients soient insolvables. Je pourrais fermer les yeux, leur accorder un crédit, mais je ne crois pas à la magie ni à l’illusionnisme, bien que voir une femme coupée en deux m’ait toujours tenté ! »
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