Chapitre 2

2517 Words
Quelque chose clochait.  Droite comme un piquet, j’observais les trois hommes que je détestais le plus dans ce monde pourri. Ils marchaient le long de notre rangée, qui était parfaitement alignée. Ils discutaient à voix basse, dos à nous, afin d’empêcher ceux qui avaient une ouïe fine de les entendre. Je jetai un rapide coup d’œil aux deux personnes qui se trouvaient à ma droite ainsi qu’à ma gauche.  Contrairement à moi qui avait une large capuche qui recouvrait mon visage, la génération suivante qu’ils appelaient les chimères, eux, ne se gênaient pas de montrer le leur. Je pouvais partiellement les comprendre. Chacun d’eux avait hérité d’un gène supernaturel, changeant leurs métabolismes, leurs sens, leur corps, et même pour certains leur moral. Les chimères ont été créées pour protéger, tuer sans poser de question. Ils aimaient dire que c’était pour le bien de l’humanité, mais moi, j’aimais croire que c’était pour leurs biens à eux.  Je ne savais pas quelle mission il leur était donné, j’étais seulement autorisé à participer aux entraînements quotidiens. Tout ce qui se trouvait à l’extérieur des murs de la bâtisse ne me concernait pas. Ils aimaient me le faire croire.  Pourtant, c’est là que la situation n’était pas cohérente.  Aujourd’hui, comme chaque année, une rencontre entre tous les chefs de clan était planifiée afin de faire un topo de leurs situations respectives.  Quelles situations ? Je n’en savais strictement rien.  Mais là n’était pas le problème.  Le problème numéro un concernait le nombre de chimères regroupées pour une simple mission d’escorte. Ils étaient beaucoup trop. Peut-être n’étais-je pas tenue d’être au courant des plans tactiques, mais je n’étais pas stupide pour autant.  Deuxième problème, moi. Ma présence était tout simplement improbable. Ce n'était un secret pour personne, j’étais sans aucun doute un échec pour le grand Alan Buck et son toutou de scientifique, et ce, depuis le jour où j’ai décidé de sacrifier ma liberté pour protéger ma famille.  Les souvenirs de cette nuit passèrent dans mon esprit comme des éclairs dans un ciel nuageux. Le manque que j’avais ressenti à la suite de leur départ n’était rien comparé à ce que ces enfoirés m’avaient fait endurer. Ils avaient tenté de créer un monstre, ils avaient partiellement réussi, puisque mon amour et ma loyauté envers mes sauveurs avaient disparu. Quelque chose de bien plus gros les avait remplacés. La colère.  Je serrai les dents, glissant ma main sous mon manteau afin de frôler l’étui de mon arme. S’il y avait bien une chose de positif que ces emmerdeurs m’avaient donné, c’était l’arme qui m’avait été attribuée depuis le tout début de mon entraînement.  -Nous partons dans dix minutes, cria Marcus, l’homme à la tête de la troupe humaine.  Cet humain avait fait partie des gens qui s’étaient amusés à me torturer pendant des années. Je peux vous jurer qu’il a aimé cela. Le plaisir dans ses yeux quand il abattait le fouet sur moi, je ne pourrais jamais l’oublier. Comme s’il savait que je pensais à lui et sa gorge ouverte devant moi, il posa son regard sur mon visage. Je penchai la tête sur le côté, soutenant son regard.  Je remarquai un muscle de sa mâchoire à se contracter. La main qu’il avait constamment sur l’arme de poing à sa jambe se serra.  Je fis un sourire en coin. Sa peur empestait, et elle excitait mon instinct le plus fort. Celui de l’animal en moi.  Marcus se tourna un bref instant pour parler à un de ses hommes. J’avais beau essayer de tendre l’oreille, je n’entendais rien. Je fus surprise de le voir tourner les talons et se diriger d’un pas ferme dans ma direction, le regard dur. Je ne le lâchai pas des yeux, ne serait-ce qu'une seule seconde.  -Raven, dit-il en s’arrêtant à une bonne distance. Tu es affectée au corps numéro un.  Surprise, je fronçai les sourcils.  -Le corps numéro un ? Vous voulez dire la garde rapprochée ?  Son rythme cardiaque se mit soudainement à accélérer. Encore une fois, un muscle sur sa mâchoire palpita.  -Affirmatif. (Il fit un signe de main en direction des deux hommes à mes côtés.) Accompagnez là.  Ils échangèrent un regard.  -À vos ordres.  Je lâchai le manche de mon arme, laissant mes deux mains de chaque côté de mon corps. Ça promettait d’être intéressant.  ****** **** *** -Vous savez tout autant que moi que c’est impossible que Buck ait demandé à ce que je fasse partie de ses gardes pas vrais ?  Je leur jetais un bref coup d’œil par-dessus mon épaule. Ils échangèrent encore un regard. Je vis la sueur perler sur le front du plus costaud, alors que le plus petit essayait de garder un visage neutre.  -Vous êtes de la deuxième génération n’est-ce pas ? (Je tentai de faire la conversation) je peux le voir que vous n’êtes pas entièrement démuni de vos émotions. Laquelle de vos émotions ont-ils réussi à vous enlever ? La peur ? Le remords ?  Le silence me répondit. Je soupirai, continuant ma marche. Mes doutes furent confirmés quand les deux chimères me poussèrent à tourner l’intersection entre le bâtiment principal, celui où les hauts gradés restaient et celui où les tests physiques étaient réalisés.  Un goût amer me monta à la bouche.  Cet endroit avait été ma maison, mon enfer pendant des années. Ce que j’avais vécu entre ces murs… J’avais encore l’impression d’entendre mes cris résonner, et j’étais sûr que je n’étais pas la seule. Mais encore une fois, personne n’était venu me sortir de cet enfer.  Je fus tirée de mes pensées quand les bruits de leurs bottes contre l’asphalte cessèrent. Je fis de même, gardant une distance entre eux et moi. Certains pourraient dire que c’était un mouvement dangereux de ma part de leur montrer mon dos, mais nous n’étions pas humains, la signification était simple. Je n’avais pas peur d’eux, je ne l’ai considéré aucunement comme une potentielle menace. Juste une nuisance et une perte de temps.  -Fais-nous face, monstre.  Je penchai la tête sur le côté, me tournant à demi afin de voir leur visage.  -Monstre ? (Je tapai ma langue contre mon palais) Ce n’est pas très gentil venant d’hommes qui sont prêts à tuer femmes et enfants seulement parce qu’on leur en donne l’ordre. (Je levai un doigt dans les airs) Attends, je te donne un point ! Nous avons une chose en commun, et je ne parle pas du sang de loup ou d’elfe qui coule dans nos veines. (Ils échangèrent un regard, surpris)  Je leur ris au nez.  -Quoi ? Vous croyez que je ne vous sens pas ? Dois-je vous rappeler ce qui coule dans mes veines ?  Ils se turent. Tout comme les espèces originales, les humains qui ont survécu à l’injection ont eux aussi vécu des changements physiques et psychologiques. Ils avaient développé des caractéristiques propres à leurs espèces respectives. Certains étaient beaucoup plus évidents que d’autres. Ceux qui se tenaient devant moi ne faisaient pas exception. Le plus petit des deux était plus frêle, moins fait en muscle. Les traits de son visage étaient plus prononcés, surtout au niveau du menton et des oreilles. Facile.  L'autre était une montagne de muscles. Les seuls hommes que j’avais vus avec ce type de morphologie étaient les loups-garous. Encore plus facile.  Même si je me trompais, leurs odeurs, elles, ne pouvaient pas.  Je plissai les yeux dans leurs directions. Maintenant, il restait à savoir si ces enfoirés avaient hérité d’un don quelconque. Même si c’était un événement très rare, surtout avec une chimère, il n’était pas impossible que cela arrive. J’en étais la preuve vivante.   -Pourquoi ?  Le demi-loup se mit aussitôt en position d’attaque, les jambes légèrement écartées et les poings en évidence devant lui. L’autre fut hésitant.  -Tu peux encore partir, dis-je en retirant mon manteau, en le déposant bien plier au sol. Je ne te jugerai pas. Au contraire.  Il m’ignora, imitant son coéquipier. Je soupirai, levant mes bras dans les airs afin de m’étirer.  -Je suis toute de même surprise, dis-je en leur faisant face entièrement. (Je perdis mon sourire, les fixant dans les yeux) Qu’ils aient envoyé seulement deux personnes.  Aussitôt, ils foncèrent vers moi, ensemble. Je posai ma main sur le manche de mon arme, un sourire au coin des lèvres.  ******** **** *** -Endormant.  Je frappai l’air avec la lame de mon katana. Le sang de mes victimes vola autour de moi, nourrissant le sol. J’étais déçu. Je n’avais jamais personnellement combattu une des chimères, et j’en avais été curieuse, bien entendu. Je me demandais s’ils valaient vraiment l’argent qu’il avait investi, il valait la peine des horreurs que j’avais vécues.  Je serrai ma main sur le manche de mon arme.  -Pitoyable, murmurai-je.  Un brin de toux interrompit mes pensées. Je penchai la tête vers l’avant, observant le corps à mes pieds. Afin de ce qui en restait.  -Oh, dis-je en m’accroupissant. (Je pris une brève pause, posant mon menton sur la manche de mon épée) J’imagine que tu es reconnaissant n’est-ce pas ? Une autoguérison, une force accrue, de longues griffes tranchantes…  Il geint, levant les yeux dans ma direction. Je penchai la tête sur le côté, observant le reflet jaunâtre dans ses pupilles.  Je jetai un rapide coup d’œil derrière lui. À quelques mètres seulement, le bas de son corps était resté à l’endroit où j’avais pratiqué une incision à partir du bassin. La chimère se servait de ses griffes acérées en les plantant au sol pour tenter de se tirer vers moi.  -Suivre les ordres jusqu’au bout, pas vrai ? Ton état ne va pas te permettre de rester en vie longtemps, au contraire. Ton corps essai de guérir tes organes et les muscles qui sont endommagés, et crois-moi, c’est ce qui va te tuer. Lentement, dans d'atroces souffrances.  Comme pour affirmer mes propos, il s’étouffa avec du sang.  -Tu n’es pas inconscient, dis-je en l’observant à nouveau dans les yeux. Je sais que tu dois obéir aux ordres, mais je sais que tu n’es pas comme eux, tu es un échec toi aussi, comme moi. (Je me penchai encore plus près de son visage) Parce que tu peux ressentir.  Il arrêta soudainement de bouger, gardant ses yeux fixés dans les miens. Quelque chose se mit à luire, quelque chose qui me prouvait que cette chimère n’était pas totalement un monstre.  -Je suis désolé qu’ils t’aient envoyé sur ton lit de mort, mais sache que moi aussi je dois survivre. Peu importe ce que l’avenir me réserve, je vais me battre. J’ai pitié de toi, de ton insouciance, de ta loyauté envers ces enfoirés. (Je soupirai) C’est pour cette raison que je vais t’accorder une mort que tu mérites.  Je levai ma main libre dans les airs, des griffes fourchues firent leurs apparitions.  -Une mort digne d’un duel, dis-je en l’observant dans les yeux à nouveau. Un loup, contre un loup.  Une larme coula le long de sa joue, ses lèvres s'étiraient sur le côté. D’un coup de griffe, je lui tranchai la gorge. Je posai ma main sur son front, l’empêchant de se cogner le crâne contre le sol. Du bout des doigts, je frôlai sa tignasse brune, laissant le haut de son corps se relâcher complètement.  Je me levai complètement, rangeant mon katana dans son étui. Le corps de du demi-elfe se trouvait un peu plus loin, près de son camarade, la gorge tranchée. Leurs mouvements avaient été fluides, mais pas assez pour des chimères bien entraînées.  Je serrai les dents.  Ils avaient envoyé des bébés. Ces enfoirés devaient se douter qu’ils venaient tout juste de mettre les deux chimères en mise à mort. Eux, est-ce qu’ils le savaient ? Peu importe, leurs erreurs avaient été de rester me combattre, et ce, malgré mon avertissement. Je ne pouvais rien faire en ce qui concernait leur loyauté. La solution était pourtant si simple ! Tuer l’enfoiré en haut de la pyramide, et détruire cette organisation une fois pour toutes !  Soudainement, un bruit de moteur retentit en arrière-plan. Une voiture se dirigeait droit vers ma position. Je riais jaune. Le capitaine avait probablement envoyé une équipe pour s’assurer que le travail était fini, ou bien repêcher les corps.  -Bien, dis-je en prenant mon manteau au sol. Il fallait seulement leur montrer ce qu’ils voulaient.  Je levai ma main devant moi en direction des corps. Je fermai les yeux, me concentrant sur les mots qui apparurent dans mon esprit. Du bout des lèvres, je murmurai des paroles. Quand je les ouvris à nouveau, les deux chimères avaient disparu.  Le bruit du camion se fit plus près. J’enfilai rapidement mon manteau, abaissant la capuche sur ma tête. Je me cachai derrière la benne à ordures près du bâtiment principal. Peu importe avec quel type de sang ils avaient été injectés, leurs odorats n’étaient pas aussi puissants qu’un originel. L’odeur des ordures allait camoufler la mienne.  Peu de temps après, un VUS de couloir noir s’arrêta brusquement près de l’intersection. Deux hommes en uniforme descendirent. Je fronçai les sourcils. Des humains ?  -Tu es sûr que c’est ici ?  Je fus capable de voir le nom sur son tag. Melson. Cela ne me disait rien.  Le second, une tablette dans les mains, jeta des coups d’œil autour de lui avant de focaliser son attention sur l’écran à nouveau.  -Les coordonnés GPS me confirment que leurs positions se trouvent bien ici.  Melson soupira, se tournant à demi vers le camion.  -Hey Grincheux, cria-t-il. Ramène ton cul de chimère ici.  Mes muscles se figèrent d’eux-mêmes quand la portière arrière s’ouvrit. Par instinct, je posai ma main sur le manche de mon arme, ne quittant pas une seule seconde la montagne de muscles qui venait tout juste d’émerger du camion. Sa démarche était lourde, sa peau foncée, ses mains devaient faire au moins trois fois ma tête. Mais ce qui me donna la puce à l’oreille était ses yeux. Ils étaient complètement vides.  -Va faire le tour du périmètre, dit Melson en levant la tête pour l’observer.  Grincheux, comme il aimait l'interpeller, ne dis rien, se contentant de marcher droit devant lui.  -Suivons-le, déclara soudainement celui avec la tablette. Il pourrait bien voir quelque chose que nous ne voyons pas.  Aucune chance. La seule manière pour eux d’apercevoir les corps était de pratiquer un sort d’annulation afin de restituer mon sort. Je profitais du moment qu’ils se soient éloignés pour sortir de ma cachette. Accroupi, je rompis rapidement la distance qu’il y avait entre moi et le VUS. Je me couchai sur le dos, roulant sous l’habitacle du véhicule et m’accrocha.  Je portai l’oreille, m’assurant de me hisser avant qu’ils soient à une distance ou que je puisse être visible de leur position. Quand ils furent à nouveau tout près, j’observai les énormes bottes de la chimère qui accompagnait les deux soldats. Un coup de pied de cette chose pourrait bien se retrouver à être fatal. Un sourire malgré moi m’étira sur les lèvres quand le VUS s’affaissa quand il embarqua.  J’avais hâte de le combattre. Et cela pourrait bien être plus tôt que je le croyais. 
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