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856 Words
2Mémorable, il disait... Ah ça, oui, c’est le mot ! Merci Gilles. Ça restera dans les mémoires, ça, c’est sûr ! Je suis coincé dans la mienne. Mon meilleur ami m’a emmené vivre mon dernier jour de célibat dans un bac à sable. Enterrement de vie de garçon... enterrement tout court ! Comme s’il pensait que j’allais faire des châteaux de sable la veille de mon mariage. Mon témoin... témoin de mon assassinat ! J’aurais dû rester avec ma femme, Gilles n’a jamais su se débrouiller sans moi. J’ai toujours tout organisé, nos sorties, nos rencontres et même notre emploi. C’est moi qui lui ai proposé d’ouvrir notre agence immobilière. Il serait à la rue, en train de faire du porte-à-porte si je ne l’avais pas aidé. Stupide rouquin ! Me voilà coincé sur un lit d’hôpital, dans le coma, alors que lui est certainement en train de se faire mousser par mon entourage et nos clients. À l’heure qu’il est, il prépare ma succession. Le grincement de la porte me sort de ma fureur. Je me concentre, j’écoute attentivement. C’est la seule chose que je peux faire, écouter. Juliette, c’est elle, j’en suis certain. Des pas feutrés, des murmures et un raclement de gorge. C’est tout ce que je perçois. — Tu crois qu’il peut nous entendre ? Ma mère chuchote, la voix emplie de sanglots étriqués. — Je ne sais pas Amélia, je n’en sais rien, répond mon père. C’est fou comme le simple fait de les entendre me donne une force herculéenne. Je me sens comme un jeune enfant égaré venant tout juste de retrouver ses parents. Votre attention s’il vous plaît, le petit Maxime a perdu ses parents, le petit Maxime... C’est bon de les savoir près de moi, si seulement je pouvais... — Je t’avais dit que cette greluche ne lui apporterait rien de bon. Si ça tombe, il a voulu mettre fin à sa vie, râle mon père. — Ne dis pas n’importe quoi Alphonse, il pourrait nous entendre. Je tombe des nues. — Regarde-le, elle a transformé mon fils en légume. Je n’aurais jamais dû t’écouter. Il ne serait pas sur son lit de mort si je lui avais dit ce que je pensais de cette fille ! Mon paternel se lâche beaucoup trop à mon goût. Il reporte la faute sur Juliette, c’est bien lui. Toujours prêt à accuser le monde pour ne pas avoir à accepter les défaites de sa descendance. Maxime Minot, le parfait fils à papa. Heureusement, j’ai tout de même réussi là où lui a échoué. Simple maçon, il ne serait rien sans ma mère. Il n’a fait aucune étude, il sait à peine écrire et apparemment, encore moins réfléchir. — Tu es injuste, crie maman avant d’éclater en sanglots et de se sauver de la chambre. Mon père soupire et j’entends la porte se rouvrir aussitôt. — Qu’est-ce que tu as encore fait papa ? Super. Il y a réunion de famille dans ma piaule. — Ta mère est à fleur de peau, comme nous tous..., poursuit mon père, accablé. Je voudrais me sentir touché par son intonation attristée, mais c’est tout le contraire. J’ai presque envie de dire que c’est bien fait. Accuser ma future femme ne le soulagera pas. Soan claque ses pieds par terre, il s’approche du lit. — Comment il va ? demande-t-il. Surtout, faites comme si je n’étais pas là. Allez-y. N’hésitez pas. J’entends tout. Je ne peux pas bouger, mon cerveau refuse de m’obéir, mais à part ça... tout va pour le mieux. Abruti. — Il est stable. C’est grâce à toi, Soan, tu as sauvé ton frère. J’écoute les imbécillités que sort mon paternel. Soan, le plus froussard des cadets me... sauver ? On aura tout entendu dans cette chambre. Abruti fois deux. — Je n’ai rien fait de spécial. C’est mon frère, j’ai sauté sans réfléchir. Il aurait fait pareil. Baliverne, je n’en crois pas un mot. Soan a toujours paniqué pour un rien. À peine monté sur le rocher, il tremblait comme une feuille. Lorsque nous étions enfants, je m’amusais à lui faire peur. Il partait pleurer dans les jupons de ma mère à la moindre occasion. — Quand il se réveillera, il te remerciera immédiatement, déclare papa, avec fierté. Tu te mets le doigt dans l’œil, papy. Je ne ferai jamais ça. Je les imagine tous les deux, me regardant. Mon père une main dans le dos de mon frère comme signe de soutien et mon cadet, les doigts sur son menton, effleurant sa légère barbe brune. Soudain, les talons de ma mère ressurgissent, suivis d’un pas plus lourd. Plus bourru. La bête et la belle. — Bonjour, je suis le docteur Claude Delaforge, le médecin de votre fils. Le silence règne en maître dans la pièce. Nous sommes tous les quatre pendus aux lèvres de Claude. Ou Claudi pour les intimes. J’attends une sentence, un espoir ou même la plus petite information possible. Tout ce que je veux, c’est savoir combien de temps encore je vais rester dans cet état. En fait, d’ordinaire, je ne prête pas l’oreille aux cancans des autres. Je me désintéresse des dires de mes proches. C’est moi qui parle, eux qui m’écoutent. Alors, en ce moment, ce que je vis est un supplice. Une torture. Immobile, coincé dans mon corps. — Je suis le meilleur médecin de la région. Gaston. Dans la Belle et la Bête, celui qui se la pète, c’est Gaston. — Pour l’instant, nous ne constatons pas d’amélioration depuis son arrivée ici. Mais ça ne saurait tarder, poursuit Claudi, sûr de lui. Trêve de plaisanterie. Depuis combien de temps suis-je là au juste ?
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