Mourad était là. Il leva les yeux. Et leurs regards se croisèrent.
Zaynab détourna aussitôt les siens, impassible, le menton haut. Mais elle sentit, sans même avoir besoin de vérifier, que lui continuait à la fixer.
Un homme du service financier commença à parler, une présentation sur des projections de croissance. Elle écoutait à peine. Tout ce qu'elle voulait, c'était que cette réunion finisse au plus vite. Son estomac vide lui rappelait qu'elle n'avait rien mangé. Et la tension qu'elle portait depuis le matin l'étouffait un peu plus à chaque minute.
Quand enfin la séance prit fin, elle se leva d'un bond, referma son carnet et sortit de la pièce avec détermination.
Elle traversait le couloir quand Rashid l'interpella.
- Zaynab, tu vas où comme ça ?
- Déjeuner. J'ai rien avalé depuis hier soir.
Il la rattrapa, sourit légèrement.
- Viens avec moi. Je t'emmène quelque part.
Elle haussa les épaules, accepta sans discuter. À cet instant, elle avait juste besoin de respirer. De se retrouver loin des regards insistants et des tensions familiales.
Ils montèrent ensemble dans le 4x4 noir de Rashid. Direction un restaurant chic, discret, où personne ne viendrait les déranger.
Le restaurant était situé au dernier étage d’un immeuble discret, avec une vue panoramique sur Dubaï. Verrière teintée, ambiance feutrée, serveurs en uniforme sombre qui se faisaient presque invisibles. Rashid l’avait emmenée dans un endroit calme, chic, à l’image de ce qu’elle aimait depuis quelque temps.
Ils s’installèrent à une table près de la baie vitrée. Zaynab retira sa veste blanche qu’elle posa délicatement sur le dossier de sa chaise. Son haut bordeaux contrastait avec la clarté du décor. Elle ne parlait pas encore. Elle observait la carte d’un air absent.
– T’as l’air à bout, souffla Rashid en commandant deux eaux plates au serveur. C’est à cause de Mourad ?
Elle leva les yeux vers lui, légèrement agacée.
– Tout ne tourne pas autour de lui, tu sais.
Il haussa les épaules, un sourire tranquille aux lèvres.
– Peut-être. Mais quand tu l’as vu tout à l’heure, t’as fait comme si t’avais pris une gifle.
Zaynab soupira, reposa la carte.
– J’ai eu une mauvaise matinée, c’est tout. Une embrouille avec ma mère. Et j’ai pas dormi chez moi. Elle l’a mal pris.
Rashid la fixa un instant, puis demanda doucement :
– Tu veux en parler ou tu veux juste manger en paix ?
Zaynab secoua doucement la tête.
– Non, répond Zaynab sans même tourner la tête. Juste manger.
Il hoche doucement la tête, respectant sa volonté sans insister. Le serveur leur apporte leurs plats, et ils déjeunent dans un silence tranquille, presque apaisant. Zaynab avait faim, elle mangeait avec sérieux, sans bavardages inutiles. Une fois le repas terminé, ils reprennent la route pour retourner au bureau, chacun plongé dans ses pensées.
Zaynab poussa la porte de son bureau. Elle se figea net.
Mourad était là, assis sur son siège, comme s’il était chez lui. Elle fronça les sourcils, surprise.
– Qu’est-ce que tu fais ici ?
Il ne répondit pas tout de suite, ses yeux sombres rivés sur elle.
– T’étais où ?
Elle haussa un sourcil.
– Je te dois des comptes maintenant ?
Mourad se leva lentement, sa carrure imposante réduisant la distance entre eux.
– J’aime pas ce genre de comportement, Zaynab.
– Et moi je m’en fiche, répliqua-t-elle sèchement. Je te dois rien.
Un silence lourd s’abattit dans la pièce. Il la fixait, regard noir, mâchoire crispée.
– Pourquoi t’es comme ça avec moi ?
– Parce que t’as profité de ma faiblesse.
Il s’approcha d’un pas, visiblement à bout de nerfs.
– Arrête de dire des conneries, Zaynab.
– Tu veux quoi au juste ? T’es au courant que je t’ai déjà dit que je t’aimais pas ?
Mourad tenta de s’approcher encore, mais elle recula aussitôt, sur la défensive. Il serra les dents.
– Tu te bats contre tes sentiments. Tu crois que je le vois pas ?
Elle éclata de rire, un rire amer.
– Tu sais rien du tout.
– Je te préviens, je vais pas supporter ça longtemps.
– De toute façon, tu veux quoi d’autre ? Ma mère avait raison. T’as offert tout ça… pour obtenir ce que tu voulais.
Sa voix trembla légèrement. Elle détourna les yeux.
– T’as eu ce que tu voulais. Mais t’auras plus jamais rien de moi.
Mourad la dévisagea, choqué.
– C’est quoi ces conneries que tu racontes ?
– Tu sais très bien ce que je dis, murmura-t-elle.
Elle contourna le bureau et s’assit lentement sur le rebord, le regard fuyant.
– Sors d’ici. Je veux plus jamais que tu t’approches de moi.
Il resta figé quelques secondes, déstabilisé, furieux, perdu. Puis il tourna les talons et sortit sans un mot.
Dès qu’il referma la porte, Zaynab craqua. Les larmes coulèrent sans qu’elle puisse les retenir. Une rage sourde grondait en elle, contre lui, contre elle-même, contre tout ce qu’elle n’arrivait plus à contrôler.
Les jours passaient et Zaynab ne s’adressait plus la parole à Mourad. Ils se croisaient parfois au bureau, sans un mot. Par moments, elle n’y allait même pas, préférant sortir avec Maysa. Ensemble, elles passaient leurs journées à faire du shopping, tester de nouveaux restaurants ou s’adonner à des activités entre filles. Le soir, elles sortaient danser, retrouver un peu de légèreté.
Ce soir-là, ils avaient prévu un dîner avec Sami. Zaynab était resplendissante. Elle portait une mini-robe blazer blanche, structurée et élégante, dont le décolleté audacieux attirait naturellement les regards. Ses cheveux étaient relevés en une coiffure faussement négligée, et à son bras pendait un sac de luxe assorti à sa tenue. Elle était divine.
Ils montèrent tous les trois dans la Ferrari de Sami. Direction un restaurant chic, prisé des grandes familles de Dubaï.
À leur arrivée, un serveur s’avança aussitôt pour les conduire à leur table. Mais en traversant la salle, ils tombèrent sur une vision qui figea brièvement Zaynab.
Mourad était déjà là. Installé à une grande table avec Khoudia, Mara, Bella Dior et Saran. Khoudia était assise très près de lui, presque collée, comme si elle tenait à ce que tout le monde le voie. Mourad, lui, avait levé les yeux et fixait Zaynab sans détour. Le regard lourd.
Sami et Maysa saluèrent poliment Mourad. Zaynab, elle, ignora tout le monde, à l’exception de Bella Dior à qui elle adressa un bref signe de tête.
Mara, avec son éternel sourire contrôlé, lança calmement :
– Vous pouvez vous joindre à nous si vous voulez.
Zaynab ne répondit pas. Elle avait compris le jeu. Une provocation déguisée sous la bienséance. Sans un mot, elle suivit le serveur jusqu’à leur table. Elle s’assit avec élégance, croisa les jambes, et se concentra sur le menu.
Sami et Maysa s’installèrent à leur tour.
– Il a fallu qu’on tombe sur les Al Fayed, soupira Maysa, en consultant la carte.
Elle jeta un coup d’œil vers la table voisine avant de murmurer :
– T’as vu comme Mourad a l’air proche de sa femme... pour quelqu’un qui voulait te choisir, il a vite tourné la page.
Zaynab ne leva même pas les yeux.
– Les hommes mentent. Faut éviter de les croire.
Sami, assis à côté d’elle, tourna lentement la tête dans sa direction, la fixant avec attention.
Elle éclata d’un rire léger.
– Quoi ? T’as l’air surpris.
Mais au fond, elle ne riait pas vraiment.
Les commandes passées, les plats arrivèrent rapidement. L’ambiance autour de la table de Zaynab était détendue, même si l’ombre des Al Fayed à quelques mètres de là continuait de peser. Chacun faisait mine de profiter du dîner, mais les regards s’échangeaient discrètement.
Soudain, Khoudia et Mourad se levèrent de leur table. En passant près de celle de Zaynab, Khoudia s’arrêta un instant. Elle leur lança un sourire faussement aimable, presque venimeux.
– Bon appétit, souffla-t-elle avec un petit clin d’œil.
Puis elle ajouta, comme si cela allait de soi :
– Mourad m’accompagne aux toilettes.
Zaynab ne broncha pas, mais intérieurement, elle sentit le pic bien placé. C’était clair, Khoudia jouait sur le même terrain que Mara. Elle aussi cherchait à provoquer.
Ce qui choqua pourtant Zaynab davantage, c’était l’apparence de Khoudia. Elle portait une jupe serrée au niveau des hanches, un haut ajusté, et ses cheveux bouclés retombaient librement sur ses épaules. Aucun voile. Rien qui ne rappelait la jeune femme discrète et pudique que Mourad prétendait apprécier.
Zaynab posa calmement sa fourchette et la regarda, l’air intrigué.
– Depuis quand tu ne te couvres plus la tête ?
Khoudia, toujours souriante, se retourna légèrement vers elle.
– Je ne l’ai jamais été, répondit-elle sans gêne. Je me couvrais parce que Mourad aime ça. Mais il m’a dit qu’il m’aime aussi sans... alors je ne porte plus.
Un silence s’installa.
A suivre