Mourad lisait dans ses yeux une fatigue mêlée de fierté. Elle n’avait pas fui la confrontation. Elle l’avait affrontée seule.
— Pourquoi ? demanda-t-elle doucement.
— Parce que c’est entre moi et toi. Pas entre toi et elle.
Mara se leva brutalement.
— Mourad, tu ne vas pas…
Il leva la main sans même se tourner vers elle.
— Maman. S’il te plaît.
Ce "s’il te plaît" était une manière élégante de dire : tais-toi.
Il reporta toute son attention sur Zaynab.
— Tu aurais pu répondre autrement. Tu aurais pu chercher à plaire. À t’adoucir. Mais tu n’as pas menti. Tu ne t’es pas excusée d’exister. Et j’ai entendu.
Il marqua une pause. Zaynab le regardait, toujours droite.
— Je préfère une femme que je dois comprendre, à une femme que je peux contrôler.
Cette phrase, il ne la dit pas fort. Mais elle suffit à faire frissonner Mara.
Zaynab baissa légèrement les yeux, pour la première fois.
— C’est toi que ça concerne, pas elle. C’est pour ça que j’ai parlé.
— Je sais, murmura-t-il. Et je suis désolé que tu aies eu à le faire.
Un silence s’installa. Dense. Puis Bella Dior intervint enfin.
— Peut-être qu’on pourrait sortir un moment, dit-elle doucement à Mara, sans lui laisser le choix.
Mara ne bougea pas tout de suite, puis obéit. En silence.
Zaynab et Mourad restèrent seuls dans le salon.
Il lui tendit la main.
— Viens. On a besoin de parler. Toi et moi. Sans témoins.
Le moteur de la Bentley ronronnait doucement alors qu’ils roulaient sans destination précise dans les rues paisibles, loin de la villa. Mourad tenait le volant d’une main, l’autre posée négligemment sur sa cuisse, les yeux rivés sur la route. Zaynab, silencieuse, observait le paysage défiler derrière la vitre. Elle ne parlait pas. Elle ne bougeait presque pas. Pourtant, l’air vibrait entre eux.
Il finit par rompre le silence.
— Tu ne l’aimes pas, hein.
Elle tourna la tête vers lui.
— Elle non plus ne m’aime pas.
— Ce n’est pas une excuse, Zaynab.
— Je n’en cherche pas.
Mourad hocha légèrement la tête. Il savait. C’était ce qu’il appréciait, et ce qui l’agaçait chez elle. Elle n’implorait rien. Elle assumait.
— Tu as été dure, lâcha-t-il.
— Elle aussi. Simplement plus… silencieusement.
Il acquiesça encore. Elle ne mentait pas.
— Tu penses vraiment ce que tu as dit ? Que tu n’es pas amoureuse de moi ?
Elle détourna les yeux, regarda dehors. Un instant, il crut qu’elle n’allait pas répondre.
— Je pense que ce n’est pas une bonne idée d’aimer quelqu’un comme toi.
— Pourquoi ?
— Parce que tu es tout. Et rien. Tu donnes, puis tu retires. Tu fais rêver, puis tu fais peur. On croit pouvoir te suivre, mais on finit toujours par courir derrière toi.
Elle se tourna vers lui.
— Et moi, j’ai passé ma vie à courir. Alors non. Je ne t’aime pas. Pas comme on attend que je t’aime. Mais je te respecte. Et je t’admire, parfois. Et ça, crois-moi, c’est déjà beaucoup.
Il serra un peu plus le volant, les mâchoires contractées.
— Et si je t’aimais, moi ? demanda-t-il calmement.
Elle haussa les épaules.
— Ce ne serait pas suffisant.
Le silence retomba, plus lourd encore. Puis il s’arrêta sur le bas-côté. Coupa le moteur.
— Regarde-moi.
Elle obéit.
— Tu crois que je suis facile à aimer ?
— Non. Mais tu as été aimé. Trop. Mal. Ou pour de mauvaises raisons.
Il se pencha légèrement vers elle, le regard dur et brûlant.
— Alors toi, t’aimerais comment ?
Elle ne bougea pas. Son regard soutint le sien.
— Avec les yeux ouverts. Sans peur. Et sans laisser personne choisir à ma place.
Un souffle. Puis un murmure de sa part.
— Tu n’as pas peur de moi ?
— Non. Mais je sais que je peux tomber. Et ça, c’est encore pire.
Il la regarda longtemps. Puis, sans prévenir, il attrapa son visage entre ses mains et posa ses lèvres sur son front. Longuement.
— Tu vas finir par m’aimer, Zaynab. Même si tu le refuses. Même si tu t’en défends. Tu le feras.
Elle sourit doucement, presque triste.
— Et toi, tu vas finir par comprendre que je ne suis pas à prendre. Je suis à mériter.
Le bruit des vagues effaçait le monde autour d’eux. Mourad avait conduit jusqu’au bord de mer, sans un mot. Il s’était garé près d’une plage presque déserte, où la lune déposait des reflets d’argent sur l’eau noire. Zaynab était descendue sans poser de question. Elle aimait l’océan. Et ce silence-là, entre eux, n’était pas une fuite. C’était une tension qui cherchait où éclater.
Ils étaient restés là, debout face à l’horizon. Un moment. Long. Intime. Sans gestes inutiles.
Puis, doucement, Mourad s’était rapproché. Très près. Il n’avait pas demandé. Il n’en avait pas besoin. Il avait simplement glissé sa main derrière sa nuque, et ses lèvres avaient trouvé les siennes.
Elle n’avait pas répondu immédiatement. Elle l’avait laissé faire. Elle avait gardé les bras croisés, le cœur calme en apparence. Mais à l’intérieur, tout vibrait. Et quand enfin elle avait cédé, que sa bouche avait répondu à la sienne, c’était sans retenue. Brutal, brûlant, inévitable. C’était trop. Et trop bon.
Elle détestait ça.
Elle adorait ça.
Le b****r s’intensifia. Son corps tout entier lui disait oui, alors que son orgueil hurlait le contraire. Elle voulait le repousser. Mais elle ne le pouvait plus. Pas encore.
Et quand elle sentit qu’elle perdait prise, elle recula, haletante.
— Je vais rentrer.
Il ne répondit pas. Il la regarda un moment. Ses yeux, sombres et froids comme le ciel au-dessus de l’eau.
— Monte.
Elle obéit. Le trajet jusqu’à la voiture se fit sans un mot.
Installée côté passager, elle fixait la route, le regard fuyant. Mourad ne disait rien non plus. Mais soudain, il bifurqua. Changea de direction.
Zaynab fronça les sourcils.
— C’est pas le chemin de la villa.
Pas de réponse.
— Où tu m’emmènes ? répéta-t-elle.
Toujours rien. Juste le silence et ses doigts crispés sur le cuir du volant.
Quelques minutes plus tard, la Bentley s’arrêta devant une imposante résidence. Son cœur rata un battement. Elle reconnut immédiatement la façade.
Sa villa.
Celle qu’il lui avait offerte. Celle où elle n’avait jamais mis les pieds, pas encore.
Elle le regarda, interdite.
— Qu’est-ce qu’on fait ici ?
Il coupa le moteur. Sortit. Fit le tour. Et ouvrit sa portière.
— Descends.
Elle obéit, à contrecœur. Elle savait. Elle le savait. Même si elle posait encore des questions.
Il la prit par la main, la fit entrer. Tout était déjà prêt. Meublé. Parfumé. À son goût.
Il ne dit toujours rien.
Dans le salon, il l’attira contre lui. Ses bras l’entourèrent, ses lèvres retrouvèrent les siennes. Cette fois, elle répondit sans attendre. Le b****r fut plus fiévreux, plus possessif. Il l’embrassait comme si elle lui appartenait déjà. Et elle, elle l’embrassait comme si elle oubliait tout ce qu’elle voulait refuser.
Il la souleva. Elle glissa les bras autour de son cou, surprise, mais pas fâchée.
— Mourad... qu’est-ce que tu fais ? murmura-t-elle.
Il ne répondit pas. Il monta l’escalier, la serra contre lui comme un trésor, et l’emmena jusqu’à la chambre principale.
Sa chambre.
Le lit était immense. Le décor feutré, chaleureux. Tout avait été préparé pour elle. Depuis longtemps.
Il la posa au sol. Elle recula d’un pas, incertaine. Son souffle était court. Sa peau brûlait encore de ses baisers.
— Mourad...
Il s’approcha à nouveau. Son regard était intense. Il ne tremblait pas.
— Je prends ce qui est à moi.
Mourad la fait allongée doucement sur le lit, sans la lâcher du regard. Ses mains glissèrent le long de ses bras, remontèrent jusqu’à sa nuque. Il l’embrassa avec plus de lenteur cette fois, plus de profondeur. Il se pencha sur elle, son corps recouvrant le sien, et la chaleur entre eux devint presque insupportable.
La tension montait. C’était viscéral, magnétique, un jeu dangereux qu’ils alimentaient tous les deux sans mot. Les baisers s’intensifiaient, plus fiévreux, plus pressants. Elle sentait son souffle sur sa peau, la fermeté de ses gestes, et la manière dont il la regardait... comme si elle était déjà sienne.
Mais soudain, Zaynab tourna le visage, posant une main sur son torse.
— Je me suis promis... de me donner seulement à l’homme qui allait me marier.
Un silence.
Mourad la fixa, les yeux sombres, le souffle court.
— Je t’ai demandé en mariage. Tu as refusé.
Leurs regards se croisèrent. Longtemps. Trop longtemps.
Il y avait dans le sien quelque chose d’amer et de fier. Dans le sien à elle, un trouble qu’elle ne voulait pas nommer. Ils savaient. Ils savaient tous les deux qu’ils se désiraient.
A suivre