Quand il entra dans la pièce, vêtu d’une chemise blanche ouverte sur le col, les manches retroussées, j’étais prête. Du moins, je le pensais.
- Alors ? demanda-t-il en jetant un œil à ma feuille. Il lut. Lentement. Sourcils légèrement froncés. Puis un sourire, sans moquerie, étira ses lèvres.
- C’est plus doux que ce que j’imaginais.
- Tu m’imaginais comment ?
- Explosif. Imprévisible. Tu as ce regard, parfois… comme si tu allais tout faire cramer. alors, je me disais que ça faisais partir de ta personnalité.
- Et tu aimes ça ? Il haussa les épaules.
- Disons que je préfère les gens qui ont encore du feu en eux à ceux qui sont déjà éteints.
- Mais le feu, ça brûle. Et moi, je n’ai pas envie de finir carboniser. Répliquais-je aussitôt. Il se leva, tourna autour de la table.
- Tes points sont justes. On va ajouter les deux listes au contrat final. Il sera prêt ce soir.
- Tu as des questions, je suppose ? Demanda-t-il.
- Plusieurs, oui. Commençons par celle-ci : pourquoi tu fais ça ? Il m’observa longuement.
- Je te l’ai dit. Parce que tu es au bon endroit au bon moment. Et parce que tu n’as rien à perdre. Je me redressai, piquée.
- Tu crois que je n’ai rien à perdre ? Ma dignité peut-être ? Il haussa les épaules.
- Il t’en reste encore ? Elle a été piétinée hier soir, non ? Autant en tirer quelque chose. Je serrai les dents.
Il avait raison. C’était ça, le pire. Il avait raison. Mon nom était devenu un sujet de moquerie publique. Mon père me haïssait pour avoir parlé. Mon compte bancaire pleurait. Mais accepter ce contrat, c’était quoi ? Un aveu de faiblesse ? Une façon de dire que je ne pouvais m’en sortir seule ? Je tournai les pages. Lentement.
- Tu veux un mariage public, mais sans obligations conjugales, dis-je en lisant à voix haute. Pas d’intimité réelle, pas de sexualité, pas d’attente affective…
- Clairement stipulé, confirma-t-il. Ce n’est pas un mariage d’amour. Je relevai les yeux.
- Et si on me pose des questions ?
- Qui est on ? tu n’as pas d’amis. Et si nécessaire tu joues le jeu. Tu souris. Tu tiens ma main si nécessaire. Tu portes un anneau. Et tu gagnes du temps, de la sécurité, et les fonds pour lancer ta propre maison de design. Je n’ai pas d’amis, je ne pouvais même pas le contredire sur ça, comment faire confiance aux gens quand ceux qui sont censées t’aimer le plus sont ceux-là qui t’ont trahis en premier.
Je continuai de lire. Il avait tout prévu : une répartition claire des rôles, une séparation stricte des finances, une clause de confidentialité absolue, et une durée déterminée. Un an. Renouvelable par consentement mutuel.
- Et si je veux sortir de ce contrat avant un an ?
- Tu peux. Mais tu perds tout. Les fonds. Le soutien. Et peut-être un peu de ta crédibilité. Sans oublier un dédommagement d’un montant que tu ne peux pas te permettre de payer. Charmant, pensais-je. Je refermai le dossier.
- Et si tu veux rompre ?
- Pareil. Sauf que moi, j’en ai les moyens. Toi… tu n’as que moi. Je le regardai. Longtemps. J’avais envie de le gifler. De lui dire que je préférais mourir que de dépendre de lui. Mais à la place, j’ai dit
- Est-ce que tu me trouves belle ? honnêtement, je ne sais pas d’où m’étais venue cette question. Il haussa les sourcils, pris de court.
- Ce n’est pas dans le contrat, répondit-il.
- Réponds quand même. Un silence, puis :
- Pas au premier regard. Je souris amer. Quelle façon aristocratique de dire non
- Je sais. Dis-je à mon tour froidement, de toute façon à quoi est-ce que je m’attendais ? Il pencha la tête.
- Mais après… oui. Ton visage est comme une énigme, tu as des traits vraiment fascinants. De plus, tu ne cherches pas à séduire. Tu n’implores pas le regard. Tu existes. Et c’est… perturbant. Je clignai des yeux, c’est quoi ce charabia ? Il ajouta Ce n’est pas ta beauté qui compte. C’est ce que tu représentes. Je soufflai.
- Tu parles comme un recruteur. Pas comme un futur mari. Lâchais-je ne sachant que répondre à ça
- Tu veux que je joue les romantiques ?
- Non. Je veux que tu sois honnête. Cruel, s’il le faut. Mais honnête. J’ai entendu pire que tout ce que tu peux imaginer donc ne pense pas que tu pourras me blesser si facilement. Il se leva.
- Alors voilà ma vérité, Valentina : je ne veux pas tomber amoureux, c’est pourquoi je me fous de ton physique. Ce n’est pas une affaire d’attachement sentimental qui nous lie. Je veux contrôler l’histoire. Et toi, tu es l’alibi parfait. Je le fixai.
- Et si je tombe amoureuse, moi ?, demandais-je honnêtement, car je n’étais pas folle, vue ce que j’ai sous les yeux, il me sera difficile de résister. Il s’arrêta net. Son visage changea. Un éclair. Un pli sur son front.
- Ne tombe pas amoureuse, murmura-t-il. Ce serait une erreur. Je me levai à mon tour. Nos regards se croisèrent, égaux, brûlants, électriques. Et dans le silence tendu, il tendit un stylo.
- Tu signes ? Je pris le stylo. Il était lourd. Orné de ses initiales. Et pendant une longue minute, je le tournai entre mes doigts. Je pensais à mon père. À son rire quand il m’avait volée. Je pensais à ma sœur, à son sourire faux, à sa robe parfaite. Je pensais à moi. À celle que j’avais été. À celle que je voulais devenir. Et j’ai signé, en bas de la dernière page. Sans trembler. Alessandro me regarda. Il ne souriait pas. Il avait juste l’air… attentif et satisfait
- Bienvenue dans le jeu, dit-il. Je me mordis la lèvre.
- Et maintenant ? Il haussa les épaules.
- Maintenant, on annonce nos fiançailles.