Comme convenu, une heure pile plus tard, une jeune femme aux cheveux noirs habillée d’une élégante robe rouge et perchée sur des talons aiguilles avait fait irruption dans ma chambre. Son regard gris m’avait analysé avec dédain alors que sa bouche avait formée un pli presque dégoûté.
Hummm... Il paraît que je viens de gagner une admiratrice.
- Le Maître a besoin de vous pour le déjeuner, m’avait-elle informée.
- Ah parce qu’il est cannibale aussi ? avais-je répliquée ironiquement.
Elle avait croisée les bras sur sa poitrine menue sans me répondre, attendant impatiemment que je bouge mon cul ce que j’avais fait sans rechigner. Mieux valait ne pas énerver encore plus Mademoiselle Robe rouge; je n’étais pas là pour elle.
Après avoir lissée ma jupe droite, j’étais passée devant elle, la tête haute pour sortir de la chambre. J’avais entendue une porte se fermer sans douceur et des talons claquer bruyamment derrière moi avant que la silhouette longiligne de Mademoiselle Robe rouge ne fasse irruption dans mon champ de vision. Je la suivis docilement dans un dédale de couloirs recouverts de carreaux miroirs turques et d’escaliers en marbre beige avant de déboucher sur une immense salle à manger au plafond blanc parsemé de magnifiques lustres anciens et au sol toujours recouvert des mêmes carreaux miroirs. Au centre, une grande table qui pouvait accueillir au moins 15 personnes se dressait fièrement avec des chaises assorties. Fidel à la ponctualité, Alonzo se tenait majestueusement assis sur l’unique chaise au bout gauche de la table et semblait m’attendre. Dès que nous avons franchies le seuil de la salle à manger, son regard émeraude avait immédiatement cherché le mien avant d’envelopper tout mon corps. Je me sentis frissonner agréablement quand un sourire discret étira ses lèvres comme pour valider ma tenue qui se composait d’une chemise bleu pâle à manches courtes et d’une jupe montante ovale. J’avais beau me répéter qu’il me fallait garder le contrôle de mes émotions mais je ne pouvais m’empêcher de le détailler à mon tour et d’imaginer mes mains sous sa chemise de flanelle noire.
Seigneur!
Je fermai un instant les yeux en secouant la tête de gauche à droite pour chasser les pensées idiotes qui voulaient assaillir mon cerveau et me concentrai sur la table remplie de victuailles de toutes sortes. Sans que je ne m’en rende compte, Alonzo s’était déjà levé pour rejoindre le bout droit de la table et me tirait galamment la chaise.
- Merci beaucoup Elena. Tu peux disposer maintenant, fit il à l’intention de Mademoiselle Robe rouge.
- Bien, Maître, répondît-elle en s’inclinant respectueusement.
Puis sans se retenir de me jeter un regard où transpirait tout l’amour qu’elle avait pour moi (notez bien l’ironie), elle disparut derrière une porte attenante à la salle à manger.
- Veuillez vous asseoir Mlle Hardins, me pria Alonzo.
Je m’exécutai lentement alors que le parfum boisé de son after-shave me titillait les narines.
- Merci, soufflai-je une fois installée.
- Je vous en prie.
Il regagna alors rapidement sa place de l’autre côté de la table donc devant moi et deux serveurs firent leur apparition, prêts à exécuter nos moindres désirs de service. Pour ma part, je choisis des escalopes de dinde frits avec de la crème de maïs, des pommes de terre et des brioches caramel. Je suis gourmande, oui, je sais. Raison pour laquelle la salle de sport a droit à ma présence deux fois par semaine. Lorsque les serveurs eurent finit, ils s’éclipsèrent immédiatement, me laissant seule avec Alonzo dans la pièce.
- Vous allez mieux ? s’enquit Alonzo en me fixant.
- Non, répondis-je simplement en attaquant mon repas avec appétit.
Hum, délicieux!
- Je savais que vous aimeriez. Mes cuisiniers viennent de divers pays et ont suivis une formation très stricte au préalable. Ceci me donne l’occasion de goûter à plusieurs saveurs.
Je faillis lâcher ma fourchette mais je me ressaisis de justesse. Il venait une fois encore de lire dans mes pensées et je n’allais pas lui permettre de se défiler cette fois-ci.
- Ça fait la seconde fois que vous lisez dans mes pensées. Alors, je répète: Qu’est-ce qui se passe ?
- Vous êtes facile à décrypter, c’est tout. Il n’y a pas besoin de télépathie pour comprendre que là, vous avez adorée les escalopes. Vous avez fermée les yeux en mâchant et un petit sourire avait illuminé vos magnifiques lèvres, répondît-il.
Il prit son verre de vain et le porta à la bouche sans me lâcher du regard alors que moi, j’étais stupéfaite sur la manière dont il venait de décrire mes gestes. À croire qu’il analysait minutieusement tout ce que je faisais. Je repris néanmoins ma fourchette tranquillement sans lui accorder la moindre attention puis une question me vint à l’esprit.
- Mademoiselle Robe rouge vous appelle «Maître», pourquoi ? demandai-je alors.
- Mademoiselle Robe rouge ? fît-il amusé. Son prénom c’est Elena.
- Elle semble vous témoigner beaucoup de respect tout comme elle me porte aussi un grand amour, repris-je en faisant fi de sa remarque.
Alonzo fronça les sourcils, ayant certainement compris l’ironie qui se cachait à la fin de ma dernière phrase. Il reposa son verre de vin mais ne s’attaqua toujours pas à son repas.
- C’est une obligation pour elle et elle n’est pas la seule. Je ne veux pas entrer dans les détails parce que cela relève d’une vie privée que vous n’êtes pas prête de découvrir. Mais je comprends qu’elle ne veuille vous porter dans son cœur; elle doit se faire des idées qui sont plus ou moins vraies.
- Comme ?
Il s’adossa confortablement dans son siège en reprenant son verre de vin. Son regard était tellement ancré au mien que j’avais l’impression qu’il était entrain de me déshabiller de l’intérieur. Il était à quelques bons mètres de moi mais c’était comme si je l’avais tout prêt de moi.
- Parlez-moi de vous.
J’haussai un sourcil avant de boire une gorgée de mon verre de vin.
- Vous n’avez pas répondu à ma question précédente, dis-je.
- Parce que la réponse était sans importance, répliqua t-il en reposant son verre vide sur la table.
Aussitôt, un serveur apparut et remplit copieusement le verre du liquide rouge aux senteurs de raisins et d’alcool avant de disparaître encore une fois. C’était fou comme ils étaient zélés, ces serveurs. Je voyais Alonzo, la mine dure, leur donner des ordres et je me dis que ça ne devrait pas être facile de lui désobéir. Son aura dominante et sa carrure imposante intimaient au respect mais moi, je n’étais pas dans son jeu.
- Je pensais que vous savez tout sur moi, finis-je par lâcher après quelques minutes.
- C’est exact! Mais j’aime vous entendre parler. Ce ne serait pas ennuyeux que vous me dîtes ce que je sais déjà. Vous avez une très belle voix. Avez-vous fait du chant par le passé ?
Mes joues avaient sans mon accord prises une couleur rosée alors que je portais mon verre de vin à mes lèvres pour cacher le trouble qu’avaient suscité le compliment d’Alonzo en moi.
Seigneur, cet homme allait me rendre folle!
- Non, je n’ai jamais fait du chant auparavant, répondis-je dans un souffle.
- Vous auriez due vous y mettre alors. Je suis persuadé que vous aurez excellé dans ce domaine, dit-il.
- Mes parents sont morts dès mon bas âge. J’ai grandie en famille d’accueil et ce n’était pas le genre de famille où les tuteurs satisfaisaient aux désirs des enfants qu’ils accueillaient. Même si j’avais voulue faire du chant, ils ne m’auraient pas permis.
- Je n’ai jamais compris ce genre de folie là. S’ils ne sont pas prêts à aider les orphelins alors pourquoi se proposent-ils de les accueillir ?
- L’argent, répondis-je évasive.
Je repoussai mon plat, ayant finie de manger et je m’adossai à mon tour dans mon siège en croisant les jambes sous la table. Alonzo quant à lui continuait à siroter sa boisson que je me demandais comment il faisait pour être encore lucide. Avalez deux verres de vin alcoolisé et à jeun en plus, c’était vraiment courageux.
- Vous n’avez pas touché à votre repas, lui fis-je remarquer.
- Je ne mange pas. Je voulais juste vous tenir compagnie à table pour que vous ne vous sentez pas seule.
Je fus tentée de relever sa première phrase mais pour une raison inconnue, j’ai préférée me taire.
«Je ne dors pas»
«Je ne mange pas»
Il disait ces phrases avec tout le naturel possible que j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose caché derrière elles. Mais quoi? Je savais pas. Alonzo aimait parler sans rien dévoiler. Seulement, il laissait son interlocuteur deviner que ses phrases étaient pleines de sous-entendus sans pour autant les mettre sur la voie. Il savait jouer avec la curiosité des autres.
- C’est très gentil de votre part, dis-je simplement.
- Je suis toujours gentil. C’est vous qui vous obstinez à voir le méchant en moi.
Je levai les yeux au ciel sans répondre et il sourit. L’ambiance était désormais un peu détendue et ça me plaisait bien.
- Donc, les familles d’accueils perçoivent des sommes sur chaque enfant qu’ils gardent? fit-il pour revenir à notre précédent sujet de discussion.
- Oui, en effet. Mais malgré qu’ils ne l’utilisent pas sur les enfants à leur charge, ils vous rabâcheront quand même la même maudite phrase, répondis-je avec une pointe de dégoût.
- Laquelle?
- «Croyez-moi, ce n’est jamais suffisant».
- Néanmoins, il y a de ces familles là qui sont très accueillantes n’est-ce pas ?
- Oui, mais comme vous l’aurez déjà compris, elles sont peu nombreuses. Moi, j’avais pas eue cette chance là. La famille où j’étais me considérait plus comme une domestique que comme une enfant. Je faisais tout ce qu’il y avait comme travaux et je dormais à même le sol. Le seul avantage que j’ai eue, c’est d’avoir été scolarisée.
- Pourquoi ne pas avoir essayée de changer de famille d’accueil ? s’enquit-il.
- Ce n’était pas à moi que revenait ce droit. Et je craignais aussi de tomber sur une autre famille encore pire. Bref, je n’avais pas le choix. C’était soit ça, soit la rue.
Je vis Alonzo serrer les poings avant de vider d’une traite son verre. Le même serveur revint aussitôt mais il lui fit un signe négatif de la tête alors il se contenta de commencer à débarrasser la table. Deux de ses collègues le rejoignirent bientôt dans la tâche. Je les regardais ramasser et aligner professionnellement les assiettes d’argent en prenant soin de ne laisser aucune trace sur la nappe blanche brodée de petites fleurs.
Lorsqu’ils furent partis, Alonzo sortit de table pour venir à mon niveau.
- Veuillez bien vous lever. Nous allons entamer la visite de la villa, me dit-il en me tendant galamment la main.
Je l’ignorai en me levant mais mes jambes, désobéissantes soient-elles, refusèrent de m’accorder le peu de contrôle qui me restait. C’est ainsi que je me retrouvai à trébucher maladroitement en manquant presque de faire tomber mon siège. Heureusement que les bras du jeune homme devant moi étaient actives et qu’elles avaient sues me retenir à temps avant que je ne m’écrase lamentablement au sol.
Et merde!
Penchée vers l’arrière, le cœur battant, je fixais Alonzo qui me tenait par la taille et dont le visage était penché sur le mien. Son visage était inexpressif mais son regard était profond et ce que j’y lis ne me surpris pas puisqu’il m’avait déjà prévenue : du désir. Soudain, je fus comme transportée dans une autre dimension comme s’il y avait que ce regard vert et moi. J’étais hypnotisée alors que mes narines étaient envahies par les senteurs boisées de l’after-shave d’Alonzo. Mon cœur s’emballa lorsque son visage se mit à réduire le peu d’espace qu’il y avait entre nos lèvres. Son souffle chaud vint alors s’écraser sur mon visage alors que sa main qui me tenait par la taille envoyait des décharges électriques partout dans mon corps. Il frôla avec sensualité mes lèvres avec les siennes encore humides et fraîches du vin qu’il avait bu et je fermai instinctivement les yeux. J’essayais en vain de reprendre le contrôle de mes pensées et de mes gestes mais j’avais l’impression d’être spectatrice de mon propre corps qui ne demandait qu’à ce que le bel Apollon devant moi m’embrasse. Et alors que je crus qu’il allait exaucer ce vœu, il s’était déjà écarté sans pour autant me lâcher. J’ouvris immédiatement les yeux et cette fois-ci, il ne me fixait pas, au contraire, il semblait fuir mon regard.
- Reprenez votre équilibre et allons-y, lâcha t-il froidement.
Encore troublée, je me redressai pile au moment où il me lâchait et sans un mot, il me précéda vers les escaliers....
Hi hihi!!! Je vous assure que moi aussi j’ai crue qu’il allait l’embrasser. Oh le s****d!
Désolé pour les publications espacées. Je suis en pleine semaine de composition et c’est difficile de partager mes journées entre les révisions, l’école et l’écriture.
La semaine prochaine, j’essaierai d’être plus régulière.
Sous la demande d’une lectrice, j’ai décidée de consacrer le chapitre suivant au Point de vue d’Alonzo. J’espère vivement qu’il vous plaira.
Bisous bisous!
Freetop812.