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Les élégances oubliées

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Voyages, cultures, littératures et mythes vous attendent dans ce roman...

Dans ce voyage à Agadir avec Delphine, nous retrouvons Guillaume le poète philosophe, mais aussi les frères Weisz du voyage De Pétra à Jérusalem ou Du Nil à la mer du Nord : Thomas le mélomane et son frère aîné, l’inénarrable Gabin, scientiste athée, veuf inconsolé, imperméable à toute poésie mystique. Cependant, dans cette galerie de portraits centrés sur les types humains définis par les Gnostiques, un nouveau personnage se dessine : la Dame de Versailles, qui propose à Gabin d’autres élégances ontologiques.

Venez faire le grand saut dans la culture, la philosophie et la découverte de contrées lointaines, grâce au roman et à la plume haute en couleurs d'Irène Moreau d'Escrières.

EXTRAIT

La limousine de Thomas se gare devant l’entrée de son immeuble près de la Tour Eiffel, ce 3 mars, pour mener les amis à l’aéroport. L’avion de la Royal Air Maroc décollera d’Orly à midi pour Agadir. Un détour par La Muette est indispensable pour récupérer Gabin, la dame de Versailles et leurs valises...

Le grincheux en polo beige est accompagné d’une petite blonde fluette, veuve depuis 2013, qui, au dire de Thomas, aime nager en piscine. En vérité, elle a surtout suivi des cours de danse classique. Contrairement à l’épouse de Gabin (Faustine disparue en 2011), Lyne Dambremer a toujours un mot souriant, intéressant et bien venu. Pendant le trajet, Delphine est agréablement surprise par la délicatesse de cette « nageuse » aux cheveux d’or, douce et raffinée, qui lui rappelle son amie Laure en fée Clochette.

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteur nous emmène une fois de plus dans un de ses voyages. Infatigable et joyeuse, elle partage avec le lecteur paysages et personnages. Sa plume haute en couleur et la riche bibliographie d’Irène Moreau d’Escrières sauront absorber le lecteur, en attendant avec impatience la parution de son prochain ouvrage.

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2. Guillaume, le philosophe
2. Guillaume, le philosophe Avant de s’envoler pour le Maroc avec les frères Weisz, Delphine passa par la Bretagne pour aider Guillaume à emménager. On a beau lui dire que la Bretagne n’est pas en Loire Atlantique, ce nom la faisait tellement rêver quand elle était petite, que tout ce qui a goût de sel et donne sur l’Atlantique est breton pour elle. Pour évoquer les fééries de Brocéliande, Guillaume a l’habitude de l’accueillir à la gare de Saint-Nazaire en forme de navire, mais un rhume ayant frappé son roi Arthur, elle se précipita à la gare routière pour découvrir un petit car longeant les grèves de sable… et le chemin allait rêvant. Guillaume est l’enchanteur qui a nourri son âme depuis leur rencontre à l’université d’Aix-en-Provence. Poète, il passait les hivers au château de Loches et les étés sur les Côtes d’Armor chez ses grands-parents. Si Delphine est née au chant du muezzin dans l’Orient des légendes, les ancêtres de Guillaume sont les Vikings et les Romains. Sans aller jusqu’à dire qu’il pourrait rivaliser avec Paetus Thraseas contraint par Néron de s’ouvrir les veines, il pourrait, à l’instar des empereurs romains, porter le titre de Pontifex maximus. Philosophe, il connaît les rites et côtoie aussi bien les Évangélistes que les Gnostiques qui ont défini les tempéraments humains. C’est un grand solitaire. Rappelons donc les principes de ces illustres Anciens. Éveillés par les splendeurs de l’esprit (pneuma), les êtres pneumatiques sont les contemplatifs prédestinés au Salut, qui, à l’instar de Guillaume, s’élèvent et nous élèvent vers le Ciel. Les psychiques se manifestent plutôt par les puissances de la psyché. Nous le verrons avec Thomas. Les hyliques, quant à eux, sont les charnels, dont la matière (hylé) est une dérivée. Ils nous ramènent à la Terre. Nous en rencontrerons au cours de ce voyage. Un dicton affirme que l’homme hylique boit du vin, le psychique décrypte le symbole, le spirituel contemple la béatitude. Chacun est un peu de tout cela, dirait le sage. Guillaume, qui fréquente aussi les coulisses de la nouvelle physique (susceptible d’inspirer à Delphine une psychologie « quantique »), affirme que prendre conscience de cette « énergie noire » intime est une aurore de délivrance. Quand l’initié reçoit l’éclair, il lui suffit d’écarter quelques tics induits par la funeste éducation moderne pour que l’intellect redevienne transparent à son contenu. Le « saut quantique » libère la conscience ordinaire aliénée, et la rend à la Conscience fondamentale. Quant au psychique, dont le salut est possible au prix d’une discipline et d’une conversion, il conserve la nostalgie de la réalisation spirituelle. C’est le cas de Thomas le mélomane, qui pressent ce manque, alors que son frère Gabin le scientiste, puissamment hylique, nie tout ce qui lui échappe. Même Socrate n’arriverait pas à faire comprendre à ce matérialiste qu’il ne sait pas qu’il ne sait rien. Or, le monde perçu n’étant qu’une infime partie du Tout, reconstruite par notre grille de perception sensorielle, déformée et interprétée par le mental, c’est dire si le résultat n’est que mirage venu parasiter l’aperception du Réel. Cependant, le pur spirituel devant se confronter au matériel, Guillaume fut bien aise de confier à Delphine le soin du déménagement du quartier des Cormiers à celui des lucioles, elfes et vers luisants. Avant le transfert des meubles, tout en écoutant son philosophe commenter les Gnostiques dans son fauteuil, elle ouvrait les cartons de Provence, afin que leur fille Aliénor puisse retrouver ses repères pour ses vacances dans la nouvelle demeure de son père. Le rhume n’empêcha Guillaume ni de l’enchanter, ni de débarrasser les emballages en compagnie d’un travailleur charmant, souffrant d’un tic de l’œil gauche, qui vida la cave et le grenier. Un regard de surface l’aurait catalogué hylique, mais l’évocation de son voyage au Viet Nam fut digne de la saga de Gérard de Nerval. D’un coup de baguette magique, les tableaux de perles encadrèrent la cheminée, le scriban choisit la vue sur flammes, le dos-d’âne rêva sous l’escalier de grimoires, tandis que la statue du chevalier de Malte prit sa fonction de bibliothécaire sur la console. La véranda accueillit le salon de Loches, le canapé Récamier, la table Louis XVI en marbre et bois doré. Guillaume de Moissy était content. Quand les déménageurs se présentèrent aux aurores du jeudi, Delphine acheva son ouvrage en fin d’après-midi, extase où Guillaume l’emmena sur le sentier de Préfailles, au bord de l’océan, là où chante le vent... Ainsi pouvons-nous camper nos personnages. Cependant, après la contemplation du soleil sur la mer et du mimosa blondissant la véranda, l’orage se leva avec le poêle à pellets, censé être un moyen de chauffage pratique et performant. À son dernier passage en Bretagne, Delphine avait accompagné Guillaume conseillé par des spécialistes. Le vendeur avait convaincu le philosophe que ce poêle à granulés s’adapte au conduit de cheminée des maisons traditionnelles. Un réservoir devait garantir une autonomie de chaleur d’une semaine, avec « ordinateur », mot qui avait éveillé la méfiance de Guillaume, sans assombrir son enthousiasme. Or, tout appareil de combustion nécessite l’extraction des déchets ; mais les pellets s’éparpillant à chaque manipulation, cet engin ultra-perfectionné sollicitait jour et nuit un domestique à son service. D’après sa boulimie et ses ronflements, une conscience larvaire habitait ce monstre qui exigea la venue d’un ingénieur. Puis nouvelle panne : un négociateur au téléphone recommanda de nettoyer le robot récalcitrant à coups d’aspirateur. Delphine et Guillaume s’empressèrent de satisfaire l’animal, mais, telles les cendres de Pompéi, la poussière jaillissant des flancs de la bête métallique, ils durent subir le refus de deux robots électriques hypnotisés au château de la Belle au Bois dormant. Sans compter la pyramide de sacs de granulés effondrés au garage. Quelle entité tourmentait ce Vésuve, révolte domestique, voire cet ensorcellement ? Par miracle, Guillaume dénicha un balai de Cendrillon, mais il regrettait l’achat de la Bête ronchonne (lui qui aime tant le silence), et songeait déjà à s’en débarrasser. Avec l’énergie de l’esclave chargé de l’alimenter à l’aide de sacs de trente kilos, ce monstre de fer dévorait des tonnes de granulés. Après les avoir chargés à bout de bras toutes les 22 heures, il fallait les transporter du garage en suivant le couloir pour aboutir au salon, déverser le contenu dans un caisson de métal noir, constitué de quatre bacs à porter à hauteur de la gueule du mastodonte, lui donner la becquée, balayer sa niche, et faire la toilette de la monstruosité gloutonne. Delphine était terrifiée à l’idée que Guillaume se soit procuré moult ouvrages pour l’élevage des poules et l’achat d’un silo de paysan, lui qui passe son temps à philosopher. Thomas le mélomane avait prévenu Delphine : - Dis à ce poète écolo qu’il se méfie de ses projets paysans. Les poules, ça se nourrit ; le pire, ce sont les excréments qui se solidifient en distillant des odeurs d’ammoniaque. Il n’aura jamais fini de gratter les crottes à la pioche, ton philosophe ! Ceci, pour dire que les âmes emprisonnées dans un corps asservi par les puissances planétaires doivent s’affiner en accédant à la Gnose. Certains, obsédés de besoins terrestres, ne peuvent y parvenir, par incapacité au divin, la sagesse n’étant pas un savoir qui ne ferait fonctionner que le cerveau analytique et ne concernerait que le monde empirique des poêles, des poules et des cochons. Son caractère en appelle au maître intérieur. Pour cela, il faut se libérer des tâches envahissantes et se contenter de peu. Ainsi, la Gnose qui connut son apogée au IIe siècle de notre ère ignorait-elle les poêles à pellets de notre temps ultra-robotisé. L’être humain étant chair pénétrée du Souffle, l’initiation était vécue par le cœur où siège l’intuition de la Réalité suprême. Longeant le bord de mer, tandis que le vent l’écoute, Guillaume entretient Delphine de ces merveilles. L’Esprit de Dieu insuffle la grâce à la créature inachevée afin que le corps devienne spirituel. Selon les Pères de l’Église, l’union du corps, de l’âme et de l’esprit fait l’homme parfait. Ainsi les initiés se reconnaissent-ils par une aperception du Réel, « visible et invisible », contrairement aux hyliques{1} qui restent cantonnés aux données empiriques de la vision mécaniciste, technologique ou matérialiste. La question est de savoir si le poêle à pellets, constitué de fer et d’un cœur d’ordinateur, peut, à force de réclamer sa nourriture, manifester une conscience spirituelle. Au matin du départ de Delphine pour Paris, bien que le monstre eût été deux fois toiletté la veille, le poêle à pellets se mit à renâcler, sa baisse de température nécessitant, une fois de plus, la venue du spécialiste. Il fallut lui rouvrir le bec, réutiliser les aspirateurs et, à la vue de la poussière, nul n’aurait manqué de se pencher sur cet être volcanique qui risquait de faire rater un train. En une demi-heure, Delphine et Guillaume durent respirer autant de particules qu’un mineur six mois sous terre. Guillaume contacta le magasin pour se débarrasser du dinosaure bourdonnant. Il y aurait matière à demander une enquête sur ces nouveautés sophistiquées qui se prennent pour des petits Golem à pollution. Bref, en ce matin de mars, face au jardin auréolé du mimosa fleuri, la véranda commence à chauffer au soleil, et si le mystique désire l’absolu pour se fondre dans le Souffle, Guillaume est le chevalier caressant la rose sous mille ans d’étoiles. L’enchanteur va retrouver ses grimoires. Il recommande à Delphine d’être à l’écoute, et, comme à son habitude, lui tend un petit mot. - Puisque tu résides dans le désert, tends l’oreille au roulement sourd du char de l’officier romain qui, pour quelque mission énigmatique, s’est enfoncé dans l’abîme du désert. On a retrouvé les traces de son passage. Je veux croire qu’il s’est soudainement donné à l’inconnu, renonçant à tout, se vouant à l’aventure de l’Autreté comme mirage spirituel. Sa course n’a pas de fin, et les gens du pays entendent claquer son fouet qu’ils assimilent à quelque djinn. Surtout ne trahis pas la poésie qui conduit au Désert. Quant à Delphine, avant de partir retrouver les frères Weisz pour un voyage à Agadir, elle a rappelé à Guillaume l’exorcisme universel : déposer du sel de Guérande devant portes et fenêtres de sa nouvelle demeure. Du reste, pour mettre en évidence les vertus du bon sel de mer et du baptême, leur fille Aliénor a pratiqué ce rituel après le départ de sa colocataire Sahar de Marrakech, ennemie jurée de Déborah{2}, qui craint cette rivale marocaine comme le choléra. Pour Delphine, un roman est en cours. En effet, Guillaume sait qu’à chaque pérégrination, en plus d’un récit de voyage, Delphine ramène un grain de sable, pétale, coquillage, herbe de soleil, pour nourrir son coffret de baraka, en verre bleu orné de fleurs de lys, sa magie remonte à la préhistoire. Ainsi, parallèlement à ce voyage au Maroc, se déroule l’itinéraire de Déborah en Terre Sainte, accompagnée de Bruno, l’ami idéal. Elle désire se défaire de l’emprise de son dentiste amoureux, mais surtout de sa rivale, Sahar Djemoul qui fréquente le cabinet dentaire. Dans ses bagages, des amulettes la protègent et, contre le mauvais œil, elle a emporté le livre de magie de l’ange Raziel. Elle doit prier les anges-médecins contre les puissances démoniaques de Lilith, mère de tous les démons, ignorant que les Évangiles aussi s’accordent à dire qu’ils sont « légion », tels les djinns du monde m******n, qui vont plus vite que la pensée. Mais Déborah a fort à faire pour fuir son dentiste marié, qu’elle aime éperdument et qui, fasciné par sa beauté qu’il compare à celle de la reine de Saba, ne peut ou ne veut divorcer de son épouse légitime, mère de ses enfants. Hélas, Déborah s’est abandonnée au docteur Haljoumi qui lui a recommandé de prendre conseil auprès du rabbin Nachshon. Ce gourou financier la recevra dans ses bureaux de Natanya pour chasser les entités qui hantent son esprit. 2.Thomas le mélomane et le bon sens Tandis que la plume de Delphine inspirée épouse les nuages, le paysage défile derrière la vitre du train qui file vers Paris. Entre deux déménagements, à peine a-t-elle pu lire un sermon de Jean Tauler avant de s’endormir. Entre les électriciens d’Orange et les tracas du poêle à pellets, ce fut bonheur de ranger les bibliothèques, avant la promenade à Pornic, au bord de la mer où chante le vent. Mais le train arrive déjà à Paris-Montparnasse… Ce soir à l’Opéra Garnier, près de Thomas le mélomane, Delphine découvre Le Chant de la terre, sur la musique de Gustav Mahler. Les danseurs évoluent sur de vieux poèmes chinois, psalmodiés par un ténor qui suspend le temps. La brise du printemps proche souffle sous les étoiles de Paris en fête quand ils se rendent au restaurant. Pour l’heure, l’idée du voyage au Maroc enchante Thomas curieux de découvrir la « Dame de Versailles » qui accompagne son frère aîné, veuf depuis quatre ans, mais la Bretagne nourrit le cœur de Delphine... en ce moment, la nuit est venue sur la véranda que chauffait le soleil matinal, la pluie conte fleurette au feuillage, la fleur se parfume sous l’étoile. Habillé de mimosa, le petit bourg s’apprête au minuit des songes, Guillaume lit à la lumière de sa lampe en écoutant le ver luisant… À la table du Bar des Théâtres, Thomas avoue que son frère aîné, carnivore à plein temps et veuf depuis quatre ans, ne semble pas prêt à la théologie. L’un de ses amis n’y a rien trouvé d’accommodant. La dernière fois que Delphine l’a côtoyé à l’île Maurice, Gabin le suspicieux l’a sommée d’expliquer le verbe « croire ». Patiemment, elle dut creuser l’abîme entre « croire » en un dogme ou autre « science », et vivre l’expérience ineffable de la foi. Curieusement, Thomas lui prêta main forte. D’ordinaire, par plaisir, il réfute, surtout quand il s’agit de réfléchir. Il a horreur des philosophes. Mais, par-dessus tout, il craint la lecture d’un récit de voyage poétique, dans lequel il apprendrait qu’une conférence sur la Gnose eut lieu à Messine en 1966. Cela ne l’intéresse pas. Si, pour certains, Jésus est une incarnation de l’Être suprême accomplissant les prophéties de l’Ancien Testament, Thomas doute de l’historicité du Christ. Tels ceux qui oublient l’étincelle divine en ce « noble fond de l’âme » dont parle Jean Tauler, Thomas ne croit en rien. Son frère Gabin est pire encore. Pour nos lecteurs qui ne connaîtraient déjà les frères Weisz, résumons leur cas. Il est de notoriété publique que Thomas le franc-maçon interdit aux « profanes » la moindre évocation du Grand Architecte ou de quelque dessin intelligent dans la Création. Sa notion d’initiation laïque s’appuie sur un humanisme athée, fraternel et égalitaire, mais tous ceux qui n’ont pas suivi le rituel n’ont à ses yeux aucune légitimité pour évoquer la franc-maçonnerie de la République. Même s’il a prêté serment sur la Bible démocratique, il se rit des rites de ses ancêtres juifs, à commencer par ceux que son neveu Bruno a retrouvés : il s’apprête d’ailleurs à un voyage en Israël en compagnie de la belle Déborah. Delphine s’intéresse à ce périple, et compte bien en faire un nouveau roman... Thomas est manichéen : d’un côté les pragmatiques qui mangent et votent bien, de l’autre de « naïfs écolos végétariens et terroristes islamistes ». Il affirme n’aimer ni les casquettes néo-fascistes ni les barbus orientalistes. S’il milite pour l’égalité fraternelle, il réfute ce concept au quotidien, les uns étant « initiés » à une Loge, montrant patte blanche en gants blancs, les autres « profanes » ennemis sur le trottoir, surtout du Front National ou à burqa. Thomas se moque donc de son neveu qui mange kasher, fidèle aux prescriptions alimentaires des règles de la cacherout ; mais si les coutumes alimentaires reflètent l’identité des peuples, consommer la poule ou l’oie était proscrit par les collèges druidiques. Lors de son voyage en Écosse{3}, il n’a pas daigné être éclairé par Fabrice Chêne-Lierre sur le lièvre lié au dieu Lug et au culte de la lune, l’œuf de la déesse-poule. L’animal lié au clan rend sa consommation interdite. Le refus de la chair animale est aussi l’un des interdits que respectent les Sikhs, en référence à sa Seigneurie le Livre Guru Granth Sahib, qui enseigne la pitié envers les créatures et le refus de leur mise à mort. Lors d’un voyage au Rajasthan{4}, Thomas apprit que ces meurtres sont comparés à l’oubli de Dieu. Gu étant « l’obscurité », ru « la lumière », le guru amène le disciple « de l’obscurité à la lumière ». N’est-ce pas son programme franc-maçon ? Pour l’heure, il apprécie son repas au Bar des Théâtres, écoutant d’une oreille les élucubrations de sa compagne. Au regard des Amérindiens qui évitent de manger leur animal totem en dehors du rituel, Thomas n’est donc pas un « initié », alors, « juif », il ne l’est pas plus. Par ailleurs, si l’initié est celui dont le penchant va au mysticisme, le végétarisme de l’hindouisme va de pair avec la non-violence. Si la caste des brahmanes est dite « pure », c’est par rapport aux « démons », explique Delphine, mais Thomas s’en moque. Le grand Apollonius de Tyane préconisait le végétarisme. Soit. Nourri de légumes, il refusait les boissons alcoolisées, condamnait le luxe et la décadence. Et après ? Ses disciples le comparèrent à Jésus-Christ. D’accord, mais pour Thomas-le-carnivore, en dehors de Darwin, ni les gnostiques, ni les Pensées de Pascal n’attirent sa table de chevet, de sorte qu’il n’aime pas citer : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Inutile de lui expliquer que certains facteurs influencent nos perceptions de la vérité, notre mentalité étant conditionnée par l’époque où nous vivons. Ayant vécu « en deçà des Pyrénées », Thomas a constaté que les choses en Espagne ne sont pas uniformes, ni chez les femmes, ni dans sa Loge. Il voudrait voir tout le monde adopter le bon sens, « la chose du monde la mieux partagée », car dans le Discours de la méthode, Descartes affirme que les hommes doivent se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature par le progrès des techniques ». Delphine rappelle à Thomas que le grand Apollonius aux longs cheveux, allant pieds nus, souhaitait à la ville d’Éphèse « une couronne de citoyens vertueux plutôt que des bâtiments, portiques ou poulies », contrairement au frère de Thomas, Gabin le technicien, qui sévissait lors du voyage en Terre Sainte{5} et marchait en Méphisto en louant les citernes. L’aîné de la fratrie a oublié que Montaigne se demandait quelle est « cette vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà », puisque « chacun appelle barbare ce qui n’est pas de son usage ». Gnosticisme, soufisme, zoroastrisme, Kabbale hébraïque ou chrétienne ne sont pas au menu des interrogations des frères golfeurs qui se piquent d’avoir tout compris devant un bon repas. Par ailleurs, ils regardent de haut le dieu qui, tel Osiris, meurt et ressuscite dans l’eucharistie. Si « le roi est mort, vive le roi », inutile de vouloir faire comprendre le concept de royauté à des républicains qui s’en moquent. Impossible d’envoyer sonner à leur porte l’ermite de Parzival pour éclairer l’histoire de la Chute d’Adam, le meurtre d’Abel par Caïn, et leur expliquer le caractère pécheur de l’humanité et son éloignement du Ciel. Thomas appelle le serveur pour commander un nouveau verre de vin. Que s’est-il passé dans la famille ? se demande Bruno avant de prendre l’avion pour Israël. Le fils de Gabin et de Faustine est conscient que le Ciel ne s’obtient pas par la Finance. Il trouve curieuses les réactions de ses proches vis-à-vis du religieux. Quand le Graal l’appelle, l’initié est libéré de sa haine de Dieu, ce qui n’est le cas, ni de son père Gabin, ni de son oncle Thomas. Ce dernier ne parle ni l’hébreu ni le haut-allemand, quoique ayant épousé Brunhilde Rosenfeuer, et il n’aime pas vraiment croiser son ex-épouse qui lui a donné quatre enfants admirables. Toute noblesse et distinction, elle chante à merveille le poème de Friedrich Rückert, mis en musique par Gustav Mahler, et sa beauté a tant de charme que d’aucuns la comparent à Marlène Dietrich dans Le Jardin d’Allah. Bref, Thomas le bon vivant a organisé ce voyage au Maroc avec son frère Gabin, veuf de Faustine depuis août 2011{6}, accompagné de la « Dame de Versailles », Lyne, une amie de longue date, que Delphine ne connaît pas encore. Or, Thomas se méfie de sa plume et, depuis qu’il a lu le portrait de Faustine dans De Pétra à Jérusalem, il lui reproche les exécrations posthumes. Ayant vécu une passion avec une panthère espagnole, épouse d’un avocat d’affaires, chaque conversation avec lui risque de se transformer en corrida. Longtemps il a rêvé de belles écervelées qui ruineraient sa sérénité, mais il est fier de préciser que les créatures qui s’y sont essayées n’ont pas fait long feu au pied de son coffre-fort. Après avoir bu les bons vins et lu Isaac B. Singer, Nobel de Littérature 1978, Thomas aime à citer en yiddish : schlemiel, « simple d’esprit » et schnorrer, « mendiant ». Mais il ne faut surtout pas suggérer que les lettres hébraïques sont sacrées, que la moindre erreur de point ou d’accent peut détruire la Terre. Il ne supporterait pas que son neveu consulte le grand rabbin de Berditchev ou un shadchan, l’entremetteur entre les familles juives pour trouver une épouse convenable. Moins encore, affirmer que l’on ne « doit pas croire les superstitions, mais qu’il est plus sûr de les respecter », comme le conseillait Yehoudah ben Samuel de Ratisbonne. Plus encore le mettent en colère les superstitions, comme s’imaginer que pour se prémunir des dibboukim, il faut placer le soir sous l’oreiller une pièce d’argent gravée de versets hébreux, car si le m******n met un feuillet imprimé d’une sourate sous la tête du dormeur, Delphine glisse sous son édredon, non pas de l’ail, mais la photo du Padre Pio, ou la médaille miraculeuse. Bref, Thomas n’a pas besoin d’un Grand Architecte, prêtre, rabbin ou mufti, pour arriver au 33ème degré. Sous le regard scintillant de la Tour Eiffel dans la nuit, il hèle un taxi.

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