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Dix ans plus tard :
À l’extérieur de Flagstaff, Arizona :
— Est-ce que tu as besoin de quoi que ce soit d’autre, papa ? demanda Julia Marksdale en entrant dans l’observatoire.
— Non, merci. J’ai tout ce dont j’ai besoin pour le moment, répondit Harry Marksdale d’une voix distraite.
Julia secoua la tête et soupira. Son père avait été distrait cette dernière semaine. Elle gloussa en voyant qu’il avait accidentellement mis les restes de son sandwich dans sa tasse de café plutôt que dans l’assiette. Il était penché sur l’ordinateur devant lui et l’étudiait, les sourcils froncés.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle en s’approchant pour se tenir derrière lui.
Julia regarda son père se passer une main sur le visage et se pencher en arrière pour lever des yeux fatigués vers elle. Il secoua la tête et poussa un soupir las. Elle tendit la main et lui toucha l’épaule quand il ferma les yeux un instant.
— Je ne sais pas, admit-il d’une voix fatiguée, ouvrant lentement les yeux pour la regarder. Ce n’est peut-être rien. Il faut que je prenne d’autres photos et que je les examine.
— Tu étudies toujours le système de Gliese ? demanda Julia, rapprochant une petite chaise en métal pliable de la table où plusieurs ordinateurs différents étaient branchés.
— Oui, répondit Harry en adressant un sourire distrait à sa fille avant de se tourner pour l’étudier un moment. Tu ressembles tant à ta mère quand elle avait ton âge.
Julia résista à l’envie irrésistible de lever les yeux au ciel comme elle le faisait adolescente. Il disait des choses de ce genre plus fréquemment ces temps-ci. Elle commençait à penser que le manque de sommeil lui faisait un peu perdre la tête.
À vingt-deux ans, elle avait l’habitude d’être celle qui prenait soin de lui. Sa mère les avait quittés alors qu’elle avait dix ans. Le désert à l’extérieur de Flagstaff en Arizona n’était pas l’endroit où sa mère, Carry Marksdale, voulait passer le reste de sa vie. Le fait que son père passait plus de temps à regarder les étoiles que son épouse n’avait pas aidé. Quand sa mère lui avait donné le choix de partir ou de rester, Julia avait choisi de rester. Elle aimait le désert et les étoiles autant que son père. En fin de compte, elle soupçonnait sa mère d’avoir été soulagée, car les seules fois où elle entendait parler d’elle, c’était pour son anniversaire.
— Alors, qu’est-ce que tu étudies si intensément ? demanda plutôt Julia en regardant les images floues sur l’écran.
Harry se retourna vers le moniteur et fronça les sourcils.
— Je ne sais pas vraiment, admit-il. Ce n’est peut-être rien. J’attends la livraison d’un nouveau télescope, alors j’espère que ça aidera.
Julia leva les yeux vers le vieux télescope Cassegrain quatorze pouces. C’était actuellement le plus grand télescope que possédait son père. Les deux autres étaient un plus petit télescope de huit pouces et une lunette astronomique. Ils se trouvaient chacun dans un autre plus petit observatoire sur la propriété.
— Je t’aiderai à l’installer demain soir quand j’en aurai terminé avec le cours que je donne, dit Julia avec un sourire. Est-ce qu’il te reste beaucoup de choses à faire ce soir ? J’allais préparer quelque chose pour le dîner.
Harry regarda l’écran d’ordinateur en soupirant avant de lui sourire. L’espace d’un instant, elle vit ses yeux se voiler comme s’il s’était à nouveau perdu dans ses pensées, quelles qu’elles fussent, avant qu’ils ne s’éclaircissent. Son sourire en coin lui dit qu’elle avait remporté la bataille contre les étoiles cette fois.
— Je monterai dans quelques minutes, promit-il avec un sourire affectueux. Je dois simplement tout vérifier une dernière fois avant.
Julia se leva de la chaise et se pencha pour déposer un b****r sur le front de son père. Elle soupira et prit les restes de son déjeuner dans le vieux café. Un petit rire lui échappa quand elle vit la grimace qui traversa son visage.
— Si tu ne viens pas, je reviendrai, dit-elle en secouant la tête. Je t’aime, papa.
— Je t’aime aussi, ma chérie, répondit distraitement Harry, déjà perdu dans ce qu’il faisait.
Julia regarda une dernière fois l’écran d’ordinateur, un pli lui barrant le front. Son père était un excellent astronome. Non seulement il enseignait l’astronomie et dirigeait le programme du planétarium avec les étudiants de premier cycle de la Northern Arizona University1, mais il avait aussi une impressionnante installation privée. Elle avait récemment terminé son doctorat en astronomie et physique, enseignait à l’université et travaillait comme bénévole à l’observatoire Lowell. Son amour de l’univers avait été nourri par les histoires fascinantes que son père lui avait racontées quand elle était enfant.
— À tout de suite, papa, dit-elle à nouveau.
* * * *
Harry regarda fixement les photos affichées sur l’écran avant que son regard ne se pose sur les images brillantes qu’il avait imprimées plus tôt. Il avait déjà oublié sa promesse à Julia de ne pas être très long. Prenant l’oculaire dont il se servait pour grossir les objets sur la feuille devant lui, il se pencha en avant et regarda la tache sur la photo. Il fit de même avec la centaine d’autres photos qu’il avait prises ces derniers mois.
— Demain, j’aurai une meilleure occasion de voir ce que tu es, murmura-t-il, se refonçant dans son siège et fixant l’écran d’ordinateur du regard.
Il se leva avec raideur de sa chaise lorsque son estomac gronda, et se tourna vers la porte. Il reviendrait pour quelques heures après le dîner. Le télescope et la caméra étaient déjà installés. Il n’aurait plus qu’à traiter les images le lendemain.
Marquant une pause à la porte de l’observatoire, il laissa son regard dériver une dernière fois vers les images. Il y avait quelque chose ; quelque chose qui n’était pas naturel et pas censé être là. Il le sentait en son for intérieur. Il devait seulement trouver plus de preuves.