Huit ans plus tard :
Pentagone, Washington, D.C. :
Le lieutenant commander2 Joshua Manson coinça son chapeau sous son bras alors qu’il pénétrait dans l’entrée principale du Pentagone et traversait le point de contrôle de sécurité. Il y en aurait plusieurs autres avant qu’il atteigne sa destination. Les mesures de sécurité continuaient d’être renforcées tandis que la guerre contre le terrorisme empirait ; une guerre qu’il avait récemment vue de ses propres yeux.
Il regardait droit devant lui à mesure qu’il progressait dans le couloir, tournant à droite à l’intersection principale. Il passa devant les Bureaux des Employés Administratifs de l’Armée, remarquant les changements qui avaient été apportés au cours de l’année passée. Un rapide coup d’œil à sa montre lui apprit qu’il parviendrait à arriver à l’heure à sa réunion. Il parcourut brièvement du regard les différents membres du personnel qu’il dépassait dans les couloirs, mais ne reconnut personne. Tournant à droite, il se retrouva bientôt devant un escalier qui le ferait descendre de plusieurs étages.
Les incessantes rénovations du Pentagone rendaient difficile l’accès au département de la marine. Il avait abandonné l’idée d’essayer de mémoriser l’agencement intérieur du bâtiment. Chaque fois qu’il pensait avoir tout retenu, il découvrait que le nouveau commandant en chef avait ordonné de faire des changements. Il ne serait pas surprenant qu’un escalier se termine abruptement ou qu’un couloir ne mène nulle part.
— Josh, appela quelqu’un derrière lui.
Il se tourna et vit un visage familier. Il arqua un sourcil en patientant. Ashton « Ash » Haze traversa le couloir dans sa direction, une expression inquiète sur le visage. Le nœud dans l’estomac de Josh commença à se resserrer. Si Ash était inquiet, cela signifiait que tout le monde devrait s’inquiéter. Son ami était connu pour être du genre à ignorer les soucis et à profiter de la vie.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Josh quand il s’arrêta devant lui. Je croyais que tu étais en permission et que tu étais rentré chez toi.
— J’étais chez moi, mais on m’a appelé pour me dire de venir ici, répondit Ash en haussant les épaules. Je croyais que les choses se calmeraient maintenant que l’enquête est terminée.
Les lèvres de Josh se pincèrent fermement.
— Pareil, répondit-il d’un ton léger avant de se retourner pour reprendre sa route. Tu ne m’as pas dit pourquoi tu es là.
Ash haussa les épaules.
— L’assistant de l’amiral Greenburg m’a envoyé une notification. Il n’y avait pas d’explication, elle disait simplement que je devais faire l’honneur de ma charmante présence à l’amiral. J’ai fait beaucoup de choses idiotes dans ma vie, en te suivant, pour la plupart, mais désobéir à un ordre direct d’un amiral n’est pas sur ma liste, rétorqua-t-il avec un sourire décontracté. Et toi ? Je m’attendais à ce que tu sois de corvée de latrines après la façon dont le capitaine Horne t’a démoli.
— Nous… Il nous a démolis tous les deux. Il ne menaçait pas que moi, si tu te souviens bien ? répondit Josh avec un sourire avant qu’il ne s’efface. Il comprend que nous n’avions pas le choix. Notre mission était de protéger l’avion que nous escortions et c’est ce qu’on a fait.
— Mais ça ne veut quand même pas dire que ça n’a pas causé d’incident international, répondit sèchement Ash alors qu’ils tournaient à gauche avant de tourner immédiatement à droite pour rejoindre les bureaux administratifs de la Navy.
Josh hocha la tête avant d’ouvrir la porte. Son esprit repassa rapidement la récente enquête à cause de laquelle Ash et lui avaient été interdits de vol. Ils assuraient un service d’escorte militaire pour un groupe de dignitaires quand deux avions de chasse étaient apparus sur leur radar. Leurs efforts répétés pour prévenir les aéronefs qu’ils devaient s’éloigner s’étaient avérés vains, alors Ash et lui avaient ouvert le feu. Les avions de chasse avaient été volés dans une base militaire secrète en Arabie saoudite. Le problème avait été révélé lorsque les informations du monde entier avaient crié à qui voulait l’entendre que les États-Unis avaient attaqué deux avions de chasse alliés.
Ça aurait été bien si les médias avaient pu raconter l’histoire en entier plutôt que celle qui créerait le plus de controverse afin de pouvoir vendre du temps publicitaire, pensa amèrement Josh.
Leurs vies, à Ash et lui, étaient « en pause » depuis six mois, en attendant que l’enquête soit terminée. Afin de cacher les problèmes de sécurité, les vrais détails des découvertes étaient scellés. Malheureusement, Ash et lui étaient tous les deux interdits de vol jusqu’à ce que le Sénat dévoile les conclusions définitives.
Josh s’approcha du bureau d’accueil et tendit son badge de sécurité à la femme qui y était assise. Elle le passa dans la machine avant de prendre celui que lui tendait Ash. Elle resta silencieuse pendant plusieurs longues minutes alors qu’elle regardait fixement l’écran d’ordinateur devant elle, puis elle leur adressa un bref sourire poli.
— Je vais prévenir l’assistant de l’amiral de votre présence, dit-elle. Asseyez-vous.
Josh hocha brièvement la tête tandis qu’Ash lui fit un de ses signes de tête décontracté à la « c’est un plaisir de vous rencontrer ». La femme ignora ostensiblement le sourire aguicheur d’Ash et se reconcentra sur ce qu’elle faisait avant qu’ils n’entrent. Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de Josh à la vue de l’expression peinée de son ami. Il n’avait pas manqué la légère marque de bronzage autour de l’annulaire de la main gauche de la femme ni l’air légèrement hostile dans ses yeux marron foncé.
— Je dois perdre la main, se plaignit Ash en allant s’asseoir à côté de Josh.
Ce dernier se pencha en arrière et ferma les yeux un moment. La douleur lancinante dans sa tête empirait. Il avait pris l’avion tôt ce matin-là et n’avait dormi que quelques heures. Il entrouvrit une paupière et vit l’air calculateur dans les yeux d’Ash alors qu’il fixait la réceptionniste.
— Oublie, murmura Josh. Les hommes ne sont pas dans ses bonnes grâces en ce moment.
Ash se pencha en arrière et croisa les bras. Josh sentait qu’un pli barrait maintenant le front de son ami tandis qu’il regardait fixement la femme. Il jeta un coup d’œil à Josh et se renfrogna.
— Bon, comment tu le sais ? grommela Ash.
Josh secoua la tête, ouvrit les yeux et braqua son regard sur son ami.
— On pourrait croire que tu aurais appris à chercher les indices, répondit-il sèchement. L’annulaire de sa main gauche a encore la marque de bronzage et la trace de son alliance. Elle vient de la retirer. Je suppose que si tu regardais dans le tiroir de son bureau, ou encore mieux, dans la poubelle, tu la trouverais.
— Elle l’a peut-être enlevée pour se laver les mains et elle a oublié de la remettre, déduisit Ash.
Josh secoua la tête.
— Non, elle l’a enlevée délibérément. La trace sur son doigt montre qu’elle ne l’enlevait pas souvent. Elle est aussi plus maquillée que d’habitude. La photo sur son badge et celle sur le mur derrière le bureau montrent qu’elle ne met généralement que peu de maquillage. Sa lèvre inférieure est également gonflée, comme si elle l’avait mordue à maintes reprises, et ses yeux sont rouges car elle a pleuré. En plus, elle a récemment changé la photo sur son bureau. Elle y avait une photo de son mari avant. Maintenant, il y a une photo d’un chien, mais elle est tordue sous le verre. Si tu regardes attentivement, tu verras une tache d’encre dessus. Le chien n’est pas à elle, au fait. Il n’y a pas de poils de chien sur son uniforme, ajouta-t-il.
— Parfois, je déteste vraiment ta capacité à remarquer jusqu’au moindre détail. La chasse n’a plus rien d’amusant avec toi, marmonna Ash avant de regarder à nouveau la femme. Quels autres indices tu as vus, Sherlock ?
Un petit rire échappa à Josh et il secoua une nouvelle fois la tête.
— Elle a pincé les lèvres quand tu lui as souri. Je te jure, si elle avait un flingue, tu aurais une bastos dans le cul à l’heure qu’il est, dit-il. Non, je suspecte son mari de s’être finalement fait prendre la main dans le sac pendant qu’il la trompait et qu’elle l’a jeté dehors.
Ash soupira.
— Je déteste l’admettre, mais tu as probablement raison… une fois de plus.
Il poussa un petit grognement lorsque le téléphone sonna et que la réceptionniste décrocha. Elle cracha quelques mots crus avant de raccrocher le téléphone avec un léger fracas.
— Bien sûr, je reste ouvert à l’idée de l’aider à oublier sa déception amoureuse. Je sais très bien réconforter les gens.
Josh était sur le point de répondre quand la porte menant aux bureaux internes s’ouvrit soudain. Un jeune yeoman3 à l’air crispé se tenait sur le seuil. Josh se leva au moment où l’homme se tourna vers eux.
— Commandant Manson, Commandant Haze, l’amiral Greenburg est prêt à vous recevoir, dit le jeune homme.
Ash se leva derrière lui. Le yeoman resta immobile alors qu’Ash et lui passaient la porte. Une fois qu’ils furent entrés, l’homme pivota sur ses talons et les guida à travers une série de bureaux intérieurs jusqu’à ce qu’il s’arrête devant la somptueuse porte en bois sombre sur laquelle se trouvait le nom de l’amiral Greenburg. Le yeoman l’ouvrit et annonça leur arrivée.
Josh entra le premier, suivi par Ash. Il entendit le petit bruit sec quand l’assistant personnel de l’amiral ferma doucement la porte derrière eux. Son ami et lui restèrent au garde-à-vous jusqu’à ce que l’amiral lève enfin les yeux plusieurs minutes plus tard. L’esprit de Josh passa rapidement en revue toutes les explications possibles de leur présence, à Ash et lui. Chacune d’entre elles le menait à la même conclusion : ils étaient tous les deux sur le point de voir leur carrière prendre une direction différente de celle à laquelle ils s’attendaient — et cela n’allait probablement pas être un changement positif.
Du haut de ses trente ans, Josh avait treize ans d’ancienneté dans la Navy. Il prévoyait de faire les trente années complètes. Son espoir de rejoindre le programme spatial quelques années plus tôt avait lentement disparu après plusieurs lettres de rejet, mais son amour de l’aviation était toujours aussi fort. Bien qu’il soit un excellent pilote, sa tendance à faire les choses à sa façon lui avait attiré des ennuis plus d’une fois, même s’il avait eu raison la plupart du temps.
— Repos, finit par dire l’amiral Greenburg avec un signe de tête. Asseyez-vous.
Josh s’assit dans l’un des luxueux fauteuils qui avaient été placés devant le bureau et Ash prit l’autre. Il resta crispé sur son siège en attendant que l’amiral prenne la parole. Son regard se posa rapidement sur le dossier ouvert sur le bureau de son supérieur. S’il devait deviner, ce dossier concernait soit Ash soit lui.
L’amiral Greenburg se carra dans son siège et les étudia attentivement pendant plusieurs longues secondes, puis se pencha à nouveau en avant. L’expression sur son visage montrait clairement qu’il n’aimait pas ce qu’il avait sous les yeux ; un autre signe que cette entrevue n’allait pas être plaisante.
— Vous avez tous les deux postulé au programme spatial à plusieurs reprises, pourquoi ? demanda franchement Greenburg.
Josh fronça les sourcils. Il ne s’était pas attendu à une telle question. Il n’était pas souvent pris au dépourvu, mais le début de cette conversation l’avait certainement surpris.
Il haussa les épaules.
— Vous savez que mon père faisait partie du programme spatial, dit-il. Il a participé à trois missions dans l’espace. Cela me semblait simplement naturel de marcher sur ses traces.
Greenburg se tourna vers Ash.
— Et vous ? demanda-t-il.
Josh sentit son ami lui jeter un rapide coup d’œil avant de se reconcentrer sur l’amiral. Une partie de lui voulait sourire à Ash. Il se demandait comment son ami allait répondre à la question : honnêtement ou s’il offrirait une réponse politiquement correcte. Connaissant plus que bien Ash, il doutait que son ami soit capable de se retenir de mettre les pieds dans le plat.
— Josh m’a parié que je ne serais pas accepté, admit Ash.
Ouep, la vérité à chaque fois, pensa Josh.
C’était tout aussi bien ; Ash n’était pas un très bon menteur. Il était un sacré bon pilote et ami, cela dit. C’était grâce à cela qu’ils excellaient en équipe.
— Il a donc perdu ce pari. Vous devez tous les deux vous présenter au Centre spatial Lyndon B. Johnson demain matin, déclara l’amiral Greenburg.
Josh cligna des yeux, surpris. Ash inspira brusquement. Josh se pencha en avant et fixa l’amiral d’un air déconcerté.
— Pourquoi ? demanda-t-il franchement.
L’amiral étudia de nouveau son visage dur pendant plusieurs longues secondes avant de répondre. Ses lèvres étaient pincées. Josh jeta un autre coup d’œil au dossier sur le bureau de l’amiral. Le sous-titre « Famille » était écrit en grosses lettres et en gras en haut de la page. Ni lui ni Ash n’avait de parents vivants. C’était un point commun qui les liait. Ash avait été adopté par une femme âgée, mais elle était décédée voilà presque cinq ans.
— Pour une mission top secret, déclara l’amiral. On m’a demandé de choisir deux candidats qui seraient assez fous pour participer à une mission suicide. Vos noms sont ressortis. Vous découvrirez les détails à votre arrivée demain matin. Mon assistant a pris toutes les dispositions. Vous pouvez partir.
Josh se leva lentement de son siège quand l’amiral ferma le dossier devant lui. La porte s’ouvrit immédiatement, presque comme si le yeoman était resté à écouter derrière. Ash se leva à côté de lui et lui lança un regard déconcerté avant d’adresser un salut à l’amiral et de tourner brusquement les talons. Josh fit de même et le suivit d’un pas plus lent. Il s’arrêta à la porte en entendant son nom.
— Commandant Manson, appela Greenburg.
Josh se tourna.
— Oui, Amiral ? répondit-il.
Celui-ci se leva de son siège et le contourna pour venir se tenir à l’angle de son bureau. Josh remarqua qu’il avait les deux dossiers à la main. Ses yeux remontèrent vers le visage de l’amiral.
— Je connaissais votre père. C’était un homme bien et un excellent astronaute. Il aurait été fier de vous. Quoi qu’il arrive, ne déshonorez pas sa mémoire, ni moi, ordonna Greenburg.
Josh regarda fixement l’amiral un instant avant de répondre.
— Oui, Amiral, dit-il doucement.
Sortant du bureau, il traversa à grands pas le couloir où Ash l’attendait, une expression perplexe sur le visage. Ils attendirent impatiemment alors que l’assistant de l’amiral tendait à chacun un paquet avant d’expliquer qu’ils prendraient un avion militaire pour Houston à cinq cents heures le lendemain matin.
Ils restèrent tous deux silencieux jusqu’à ce qu’ils aient quitté le bureau. Ash lui saisit le bras une fois qu’ils furent dans le couloir. Josh se tourna pour regarder le visage sombre de son ami.
— Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? demanda Ash en levant l’enveloppe. Je croyais qu’on allait se faire enguirlander comme pas possible, et au lieu de ça, ils nous envoient soudain rejoindre le programme d’entraînement des astronautes. C’est quoi ce bordel ?
— Je n’en sais pas plus que toi, Ash, répondit Josh, les sourcils froncés, avant de baisser les yeux vers le dossier, puis de relever la tête.
Ash poussa un long soupir et le regarda d’un air renfrogné.
— Quand tu es pris par surprise, je sais qu’on est dans la merde, marmonna-t-il en se détournant. J’ai besoin d’un verre.
— Tu n’es pas le seul, dit Josh. J’ai une chambre au Plaza. On se retrouve au Boundary à mille neuf cents heures.
— Ça me va, répondit Ash tandis qu’ils traversaient le point de contrôle de sécurité. Et, Josh…
Celui-ci s’arrêta et se retourna devant les marches.
— Ouais, répondit-il.
Ash lui adressa un petit sourire.
— Je m’attends à ce que tu découvres ce qui se trame, mec. Tu sais que je n’aime pas être pris par surprise par des conneries de ce genre, répondit-il d’un ton moitié taquin, moitié sérieux.
— Moi non plus, rétorqua Josh avant de se tourner. Mille neuf cents heures. Ne sois pas en retard !