III-1

3086 Words
IIIComme vous le voyez, mademoiselle de Norcy était un esprit plein de finesse, d’autant plus appréciable qu’il se tenait dans l’ombre et s’enveloppait de modestie. Il était minuit quand je me retirai. Pour rentrer chez moi, je devais passer devant la maison de madame de Wine. Je vis de la lumière derrière sa fenêtre. Elle veillait encore. À quoi pensait-elle à cette heure ? Je ne pus m’empêcher de la plaindre encore une fois. C’est une triste nuit que la première nuit que passe une femme après une rupture avec l’homme qu’elle aimait, si peu qu’elle l’aimât, et surtout quand veille à côté d’elle la certitude que celui qui l’abandonne passe cette nuit auprès d’une autre femme, sans regret, sans souvenirs, sans remords ! Ne sont-elles pas alors bien excusables, ces pauvres créatures, de croire aux consolations que leur promet un autre amour ? Avez-vous quelquefois songé à la quantité de femmes qui ont dû souffrir ainsi dans le monde ? J’écris ces lignes à onze heures du soir, par une belle nuit du mois de juin, transparente et silencieuse. La lune, calme et pleine, se balance comme un globe d’albâtre dans la limpidité de l’air. Une grande forêt épaissit l’horizon de sa masse sombre, et des brises odorantes entrent à chaque minute par ma fenêtre ouverte, si légères qu’elles ne font même pas vaciller la flamme des bougies, auxquelles viennent se brûler de temps en temps les papillons nocturnes. Tandis que j’écris ce récit d’une douleur, peut-être à quelques pas de moi, sous ces allées ombreuses, passent de beaux et jeunes amants, croyant que l’amour vient d’être fait pour eux, se tenant par la main, se souriant et se promettant de longues et belles années ! En effet, c’est bien là une soirée pour de pareils entretiens. Mais que de soirées pareilles a déjà eues le monde ! que de mains se sont ainsi pressées ! que de serments à mi-voix confiés aux ombres amies ! que d’éternités jurées entre deux baisers ! Qu’est devenu le rêve de chacun ? qu’en retrouvons-nous ? Et puisqu’il devait mourir si tôt, pourquoi le faisaient-ils ? À quoi bon alors ? à quoi bon ?… Mot cruel qu’a trouvé la philosophie envieuse des joies de l’âme, et qu’elle jette tout à coup, avec un éclat de rire, au milieu de nos plus chères et de nos plus bienfaisantes folies. Hélas ! ce n’est que trop vrai : jeune fille, d’autres jeunes filles ont passé comme toi, tenant la main d’un amant ou d’un fiancé ; d’autres ont veillé comme tu veilles, avec de subites rougeurs aux joues et de secrètes espérances au cœur ; comme toi, elles ont attendu un jour qu’elles tremblaient de ne jamais voir venir, et ce jour est venu, et d’autres à sa suite ; et voilà qu’à cette heure, insensibles, froides et défigurées, elles dorment là-bas, dans un des plis de l’horizon ! À quoi bon alors ? Elles ont été heureuses !… quelques-unes. Mais la plupart ont souffert, car c’est la loi commune. Et, en tout cas, penchez-vous maintenant sur leur tombeau et parlez-leur de ce bonheur si grand ; rien ne tressaillira en elles… et la destruction continuera sourdement son œuvre… Donc, à quoi bon rêver, puisque le résultat est certain, puisque le but est limité, puisque la mort est là ? Et cependant, tournez les yeux, et, le long même du cimetière, vous verrez un groupe confiant qui vient demander au voisinage des morts le silence et la solitude dont il a besoin pour aimer à plein cœur. Ici, la mort qui menace la vie ; là, la vie qui raille la mort ! Éternel défi, lutte éternelle où la vie triomphe encore. Eh bien ! croyons, rêvons, aimons, tant que notre cœur bat, que notre esprit pense, que nos yeux voient ! et si la main que nous pressons nous blesse, si la bouche que nous écoutons nous ment, si la mort nous attend au bout de l’allée, il sera toujours temps de nous plaindre, de revenir sur nos pas… et de mourir ! Le lendemain, Jacques m’envoya dire qu’il ne pourrait me voir dans le jour ; mais que, comme il désirait connaître le résultat de ma démarche de la veille, j’allasse le soir au bal de l’Opéra, qu’il y serait. À peine y étais-je arrivé, qu’un domino me prit le bras sans quitter la main d’un jeune homme que je ne connaissais pas, et nous entraînant tous les deux, lui dit : – Continue, comte… Monsieur n’est pas de trop ; d’ailleurs, tu n’as besoin de nommer personne. Il m’était impossible de reconnaître ce domino, qui déguisait bien certainement sa voix. Quant à celui qu’il avait appelé comte, c’était un homme de trente ans à peu près, blond, aux yeux écartés, ce qui donne à la physionomie un air de fausseté mêlée de défiance, car ces sortes d’yeux ont l’air de s’être éloignés ainsi pour voir non plus de face, mais de côté, et en même temps pour échapper aux regards francs et ne pas être vus autrement qu’ils ne voient. Je reconnus à son accent que ce comte était étranger, bien qu’il parlât notre langue aussi vite et aussi correctement que possible. Le comte reprit la conversation, qui, à ce qu’il paraît, n’était qu’à son début quand j’arrivai. – Eh bien ! ce malheureux acteur a manqué de devenir fou ! dit-il. – Un soir qu’elle l’avait applaudi et qu’il avait fini son rôle avant la fin de la pièce, il alla l’attendre à la sortie du théâtre, et s’approchant d’elle au moment où elle allait monter en voiture : « Madame, je vous en supplie, lui dit-il tout bas, laissez tomber votre bouquet ! » Alors, sans détourner la tête, en mettant le pied dans sa voiture, elle laissa tomber son bouquet, que le pauvre garçon courut ramasser sous les roues, au risque de se faire écraser, car la voiture partit en même temps. Cependant je n’affirmerai pas qu’il y ait rien eu entre eux, quoiqu’on l’ait dit. Tout ce que je sais, c’est qu’elle venait au théâtre toutes les fois qu’il jouait, et qu’elle affectait de n’écouter que lorsqu’il était en scène. Cependant, un jour, il a trouvé le moyen de pénétrer dans son parc ; elle l’a reconnu, elle a appelé un domestique et lui a dit : « Demandez à cet homme ce qu’il veut ; c’est de l’argent sans doute, donnez-lui vingt francs. » Le comédien entendit ces paroles, et s’éloigna plus pâle qu’un mort. S’il avait eu de quoi la compromettre après une pareille insulte, il l’eût fait bien certainement. Il n’y avait donc rien, et ce n’était là qu’une extravagance de la grande dame qui s’ennuie. – Mais, reprit le domino, ne disais-tu pas qu’à Hombourg… – Oui, à Hombourg, il y avait en même temps qu’elle le baron d’Ic, un écervelé, charmant garçon du reste. Un jour qu’elle était allée avec plusieurs dames à la promenade, le baron, excellent cavalier, connu pour sa témérité dans les paris de chevaux, passa à cheval. – Baron, sautez donc ce mur, lui dit-elle. Et en même temps elle montrait un mur de près de sept pieds, fermé par une petite porte de bois. – C’est impossible, répondit le baron… avec mon cheval du moins ; mais je parie, s’il ne passe pas, passer, moi, et tandis qu’il tombera d’un côté, aller tomber de l’autre. – Soit. Faites cela. – Mais à une condition. – Laquelle ? – C’est que si je me tue vous viendrez à mon enterrement ; et que, si je me casse un bras ou une jambe, vous viendrez me soigner. – C’est convenu. Toutes les dames supplièrent le baron de ne pas faire cette folie. Il ne voulut entendre à rien. Alors elles se retirèrent, ne voulant pas assister à un spectacle dont elles comprenaient le danger et dont le dénouement les effrayait. Seule, la personne en question resta assise. Le baron était prêt. – Donnez le signal, madame, dit-il. Elle frappa trois fois dans ses mains, le baron enfonça les éperons dans le ventre de son cheval et partit comme le vent. Cependant il était pâle, car il était trop bon cavalier pour ne pas comprendre qu’il jouait sa vie. Arrivé au mur, il enleva son cheval, bête admirable et souple comme l’acier, et pendant une demi-seconde on put croire qu’ils franchiraient ensemble l’obstacle proposé ; mais, malgré la vigueur de l’élan, le cheval heurta des genoux, retomba les jambes et le poitrail ensanglantés, et vint rouler sur le chemin. Quant au cavalier, avec une agilité inconcevable, il avait quitté les étriers et sauté par-dessus le mur. Les dames s’étaient rapprochées, la curiosité l’avait emporté sur la crainte. On cria bravo, mais rien ne répondit. Alors on se regarda avec émotion et l’on alla ouvrir la porte pour voir ce qui s’était passé. Le baron était étendu de tout son long, évanoui et un bras cassé. On le transporta à son hôtel. Quand il revint à lui, elle était à son chevet, et le soigna, ainsi qu’elle s’y était engagée, jusqu’à parfaite guérison, c’est-à-dire trois semaines. – Mais rien ne prouve qu’elle ait été la maîtresse du baron. – Rien ne le prouve, mais ce n’est pas douteux. D’ailleurs, quand le bruit en a couru, elle ne l’a démenti en aucune façon, se contentant de répondre que, lorsqu’on a perdu un pari, il faut le payer. À Vienne, quand il y avait bal à la cour, elle s’enveloppait d’une fourrure et s’en allait à pied, au bras de quelque officier, au milieu des gardes, d’où elle se moquait tout haut des femmes qui descendaient de leur voiture, mais de celles-là seulement dont elle avait à se plaindre ; et pendant que celles-ci, arrivées dans le salon, racontaient qu’elles venaient de la voir, dans la cour, se livrant à ses inconvenances accoutumées, elle apparaissait tout à coup comme un démenti vivant, coiffée, habillée, transformée en un quart d’heure, belle, hautaine, entourée !… Enfin, partout où elle a passé – et par la position de son mari elle voyage beaucoup – en Italie, en Autriche, en Angleterre, elle a laissé une histoire à raconter sur elle. La voilà à Paris maintenant, et sa nouvelle liaison fait assez de bruit, je crois. C’est décidément une folle. Elle est ici cette nuit avec sa belle-sœur ; en passant à côté de moi, elle m’a appelé par mon nom, tout haut, au risque d’être reconnue, et elle m’a jeté son bouquet que voici, et que je t’offre, mon charmant domino. – Merci, je ne veux pas des restes de cette dame, si grande dame qu’elle soit. Et maintenant, il faut que je parle à monsieur ; je te retrouverai là tout à l’heure. Et le domino m’entraîna, ne cherchant plus à déguiser sa voix ; je reconnus madame de Wine. – Vous avez entendu ? me dit-elle. – Oui. – Savez-vous de qui parlait cet homme ? – Non. – De la nouvelle maîtresse de Jacques. Ainsi voilà pour qui Jacques m’a abandonnée ! Croyez-vous que l’avenir me vengera ? – Et quel est ce monsieur ? – C’est un Russe ; il se dit l’ami de la duchesse, et il parle d’elle dans les termes que vous venez d’entendre ; il se dit l’ami de Jacques, et il écrit la lettre anonyme que j’ai reçue hier, car c’est lui qui l’a écrite, je le jurerais ; enfin il se disait mon ami, et c’est lui qui a présenté Jacques à cette femme. Il avait l’air de ne pas savoir tout à l’heure à qui il parlait, mais il le savait. C’est bien un Russe, allez. Jacques est ici, je l’ai vu ; d’ailleurs, puisque la duchesse y est, il doit y être. Je le plains, il y a une douleur pour lui au fond de cet amour. L’habitude seule le tenait à moi, a-t-il dit ; la vanité seule l’engage à cette femme, croyez-le bien. Un jour il regrettera l’habitude. Dites-le-lui. Adieu. Madame de Wine me serra la main, me quitta, prit le bras d’un jeune homme qui l’attendait près de la porte, le prit de façon que je le visse bien, descendit le grand escalier et disparut avec son nouveau compagnon. Je crois qu’elle était bienheureuse d’avoir un masque sur la figure, car, pendant qu’elle me parlait, malgré son air d’indifférence et même de pitié pour Jacques, je lisais à travers ce masque une agitation égale à celle de la veille. Tout en réfléchissant ainsi, je regardais un masque qui, vêtu d’un pourpoint de satin bleu en loques, d’un maillot en tricot chocolat, d’un petit manteau à la Henri III couvrant à peine une épaule d’un morceau de velours orange, coiffé d’une perruque Louis XIV surmontée d’une couronne de roses, le visage couvert de rouge et de noir, méconnaissable enfin, agitait ses grands bras nus et haranguait la foule avec un esprit charmant et dans des poses d’une souplesse et d’une grâce parfaites. Cet homme s’amusait réellement. Heureux homme ! Je me sentis toucher au bras, je me retournai, c’était Jacques. – Sais-tu quel est ce grand diable ? me dit-il. – Non. Il me nomma un de nos amis qui devait se marier dans trois semaines, qui se mariait par amour, car il apportait par ce mariage à une jeune fille qui n’avait rien cinquante mille francs de rente surmontés d’une couronne de baron. Et voilà ce qu’il faisait en attendant ! Il y a une chose qu’on n’expliquera jamais : c’est l’homme. – Maintenant, me dit Jacques, nous avons à causer ; viens avec moi. Nous nous fîmes ouvrir une loge, et nous nous y installâmes. Je lui racontai alors la scène de la veille, et ce qui venait de se passer. – En croyant me jouer un mauvais tour, ce Vladimir m’a rendu un grand service avec sa lettre anonyme. Elle me dispense de toute explication et de tout mensonge. – Quel est ce Vladimir ? – C’est ce Russe que tu as vu tout à l’heure. Tous les Polonais s’appellent Stanislas, tous les Écossais Mac Donald, et tous les Russes Vladimir ; sache cela une fois pour toutes. – Mais ton Vladimir me fait l’effet d’un drôle ? – Non. Il se croit méchant, il n’est qu’ennuyeux ; il se croit fin, il n’est que faux ; il se croit homme, il n’est que Russe. Il se trompe de moitié en tout. – Que regardes-tu ainsi ? demandai-je à Jacques dont, tandis qu’il parlait, le regard se fixait sur une loge. – Je cherche à reconnaître l’une de ces deux femmes. Et des yeux il me montra une loge de la galerie avec deux dominos tout pareils. – L’une des deux est elle… mais laquelle ? C’est honteux de penser que je ne le devine pas, d’autant plus qu’à visage découvert sa compagne lui ressemble peu ! Au même moment, l’une de ces deux femmes, comme si elle eût deviné ce que nous disions, prit son masque par la barbe, le fit glisser de haut en bas, le temps qu’il fallait pour être reconnue, et le remit en souriant de loin à Jacques. – L’imprudente ! murmura-t-il ; toujours la même ! Elle est enchantée de ce qu’elle vient de faire. L’as-tu vue ? – Oui. – Elle est belle, n’est-ce pas ? – Elle le paraît. Elle s’est démasquée assez pour être reconnue, mais pas assez pour qu’on la connaisse. – Ah ! que j’aime cette femme, mon ami !… Madame de Wine dit que c’est de la vanité. Si la vanité donne de pareilles jouissances, qu’est-ce donc que l’amour ? Oh ! non, ce n’est pas de la vanité ; car cette femme, je voudrais l’enfermer entre quatre murs, la cacher aux yeux de ce monde qui l’admire, ne voir qu’elle et qu’elle ne vit que moi. Quelle nature délicate, franche, dévouée, obéissante, originale ! Tiens, je vais t’en donner une idée. Je l’ai connue aimant les bals, passant les nuits, courant le monde, enfermant sa vie dans ses cartons, et s’en revêtant avec ses robes. Un soir… mais, au fait, il est bien plus simple que je te raconte tout, depuis le commencement, et tu verras quelle foi on peut ajouter à ce que tu viens d’entendre dire. Nous avons du temps devant nous ; nous savons ce que c’est que le bal de l’Opéra ; personne n’entrera dans notre loge ; je suis ici par ses ordres, je ne la quitte pas des yeux et je parle d’elle… C’est là de la fidélité, ou je ne m’y connais pas. Pendant ce temps, le bal croisait ses mille couleurs, bondissant, hurlant dans la poussière lumineuse et sous une musique éclatante. Les épaules nues, les groupes libertins, les danses obscènes, passaient devant nous et presque à portée de notre main. Cependant nous nous isolâmes facilement dans tout ce bruit ; le spectacle que nous avions sous les yeux sembla s’éloigner de nous et ne fit plus bientôt que servir de fond animé, d’accompagnement en sourdine, au récit intime que Jacques allait me faire. Il reprit donc : – Tu sais maintenant comment je vivais avec madame de Wine. J’étais toujours à la piste d’impressions qu’elle ne pouvait me donner. Elle partit pour Bagnères au mois de juin, et moi je restai à Paris. Tu as vu comme elle s’en plaignait il y a deux jours encore. De ton côté, tu étais en voyage ; je me trouvai donc assez seul. C’est alors que je fis la connaissance de Vladimir. Il fut ce que sont au premier abord, mais ce que restent rarement après, ses compatriotes. De la politesse, de l’esprit, de l’élégance, du luxe, du savoir-vivre, ils en ont tant que tu en voudras, plus que nous peut-être ; mais ils ne sont que saupoudrés de civilisation, et la nature primitive reparaît bientôt au contact de la civilisation réelle ; alors, on les trouve encore ignorants et barbares comme les peuples qui commencent, et déjà corrompus et dangereux comme les peuples qui finissent. Je te le répète, le premier abord est sympathique. Vladimir voulut devenir mon ami ; il ne pouvait se passer de moi, me demandait conseil dans tout ce qu’il faisait, m’appelait son frère, parlait de moi partout, m’adorait enfin, ou du moins paraissait m’adorer. Je ne suis pas d’une nature très expansive ; je n’ai pas la vanité de croire que je puisse inspirer de si brusques passions, surtout aux hommes. Cette promptitude, cette exagération dans l’amitié, le sentiment qui, à mon avis, demande le plus d’hésitation, commencèrent à me faire douter qu’elle fût sincère, et, pour ma part, je m’en tins aux relations superficielles. Cependant madame de Wine revint, et je lui présentai Vladimir. Je te laisse à deviner les compliments qu’il lui fit ; il devint son courtisan le plus assidu, lui dit combien il m’aimait et l’assura de son dévouement. Je repris ma vie accoutumée, avec Vladimir en plus, et nos rapports diminuaient même un peu quand un matin, que je déjeunais chez lui, il me dit : – Vous m’avez présenté à une charmante personne ; je vous dois la pareille. J’espère, d’ici à peu de jours, vous présenter à une amie à moi. Elle est encore à Bade ; mais elle va arriver. Ah ! vous verrez là une femme originale et spirituelle, un peu folle… Et là-dessus il me raconta toutes les histoires qu’il a racontées tout à l’heure, et qu’il va colportant partout. – Mais, ajouta-t-il, que ceci reste entre nous deux, car c’est ici qu’elle viendra, vous comprenez que personne ne doit le savoir. Il me disait cela d’un ton à me faire supposer qu’il était l’amant de cette femme. Par discrétion, je ne le lui demandai pas. Il y a des choses que la vanité laisse entendre, mais que la délicatesse la moins exagérée doit se refuser à dire. Je lui avais fait connaître madame de Wine : il croyait me devoir la même preuve de confiance en me faisant connaître sa maîtresse. Ses rapports avec l’une étaient sous-entendus comme mes rapports avec l’autre ; voilà ce que je supposai tout de suite, et je n’ajoutai pas d’abord une plus grande importance à cette présentation. Quinze jours après, je reçus de lui une lettre qui m’invitait à déjeuner le lendemain avec la personne en question, arrivée depuis trois jours. Le rendez-vous était à midi. À onze heures et demie, j’arrivai chez Vladimir. – À peine vous avais-je quitté hier, me dit-il, que j’ai rencontré la duchesse. Elle est à Paris depuis deux ou trois jours, sans son mari, et elle ne me l’avait pas fait dire. Je l’ai grondée, en ajoutant que je ne lui pardonnerais que si elle venait déjeuner chez moi aujourd’hui. Elle a accepté. Alors, je l’ai prévenue qu’il y aurait un de mes amis, dont je ne me sépare jamais, et que qui veut me voir doit le voir aussi. Je lui ai dit tout ce que je pense de vous ; j’ai terminé en lui apprenant votre nom. Dès qu’elle l’a entendu, elle a montré la plus grande curiosité de vous connaître. Ainsi, mon cher, vous voilà en bon chemin ; mais rappelez-vous que, sorti d’ici, vous ne la connaissez pas, car c’est en cachette qu’elle vient.
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