Pas cette fois

3047 Words
- À quoi bon Tony? À chaque foutu mois, c’est la même déception ! - Hannah, tu es triste et irréfléchie présentement. On en reparlera plus tard. Je m’écarte de lui. Ses yeux sont tristes, mais ses lèvres sont serrées, probablement de déception. Je secoue la tête. - Je peux pas revivre ça Tony, pas une autre fois ! Je croyais… j’étais tellement certaine que c’était la bonne. - C’est pas grave ma belle, on a encore des années pour avoir un bébé. Il me sourit, mais ses yeux restent tristes. Il a beau essayer de me réconforter, je sais à quel point il rêve d’être papa. Et moi, je suis incapable de lui donner un enfant. Il m’embrasse le front en se relevant. - On trouvera une solution Hannah. - Et sinon? Il me regarde en fronçant les sourcils, perplexe. - Sinon quoi? - Si ça ne fonctionne jamais Tony ? - Tu es un peu trop dramatique Hannah… - Si ça ne fonctionne jamais, est-ce que je vais te suffire ? - Hannah… - Est-ce que je te suffis Tony ? Je me suis levée également sans m’en rendre compte. Il me regarde intensément, comme s’il essayait de lire en moi. Comme s’il essayait de trouver la bonne réponse à ma question. Mais je la connais déjà. Non. Non, je ne lui suffirai jamais. Il est né pour être papa, il ne pourra jamais vivre sans enfant. - Hannah… Il fait un pas vers moi, mais je m’éloigne en secouant la tête. Je sais ce qu’il veut faire. Il veut me réconforter, me dire que tout va bien aller, qu’on va y arriver ensemble. Il veut me sortir les mêmes conneries qu’il me sort à chaque mois depuis un an. Pas cette fois. Je tourne les talons et fonce vers l’entrée. J’ai besoin d’air. J’enfile mes souliers de course en vitesse sans prendre la peine de les détacher. - Hannah. Tony est derrière moi, mais je ne veux pas me retourner. Je sais qu’un seul regard vers lui et il va me faire changer d’idée. Pas cette fois. J’ouvre la porte et sors en la claquant derrière moi. Je descends notre entrée en joggant, la respiration saccadée par ma perte de contrôle. La porte de notre maison s’ouvre et Tony sort tandis que j’atteins le trottoir. - Hannah! Je continue ma course en accélérant le rythme, sans jamais me retourner. Je tourne le coin de notre rue et j’atteins mon rythme de croisière. Habituellement, je cours dans le quartier, mais pas cette fois. Je prends le chemin inverse, sans trop savoir où je m’en vais. Je me laisse porter par mes pieds, concentrée seulement sur ma respiration. Je fais le vide, la seule chose qui importe, c’est la course. L’air chaud de la soirée qui me fouette le visage, le béton dur du trottoir qui fait crisser mes semelles. L’air se transforme peu à peu. L’odeur de la banlieue se transforme en air frais et salé à mesure que je m’approche de la plage. Je m’arrête finalement lorsque le béton se transforme en sable, haletante après une si longue course. Je ne viens jamais à la plage, même si nous habitons assez près. Probablement par manque de temps. La vue est magnifique avec le soleil qui descend tranquillement dans le ciel, lui donnant des teintes roses et oranges sur son fond de toile bleue. Une légère brise venant du large fait virevolter les quelques couettes de cheveux qui sont sorties de mon chignon lors de la course. C’est tellement calme et paisible, si différent de ma vie. Pourquoi ne suis-je pas venue ici plus souvent ? Je m’assois sur un banc et ferme les yeux. Je prends de grandes respirations. L’air salé rempli mes poumons, les nettoyants de toute la pollution de la journée. Pour la première fois depuis… trop longtemps, je me sens bien. Pour la première fois depuis ce matin, j’oublie mes soucis l’espace d’un instant. - C’est magnifique n’est-ce pas ? J’ouvre les yeux en sursaut et me redresse. Le soleil m’aveugle quelques instants, m’obligeant à battre des cils. Puis je le vois, devant moi, les mains dans les poches, un sourire des plus charmeurs sur les lèvres. J’ai soudainement conscience de mon accoutrement, de mes cheveux en bataille et de ma peau encore luisante de tous ces kilomètres parcourus. Mais lui… lui est parfait. Dans son complet gris clair taillé sur mesure et sa chemise d’un blanc immaculé déboutonnée au collet, ce qui donne un aperçu plus que tentant de ce qui se cache en dessous. Je cligne des yeux une nouvelle fois, simplement pour être certaine que je ne rêve pas. Non, il est bien réel et il me regarde, toujours souriant. - Je… Je suis incapable de dire quoi que ce soit de plus. Je reste donc là, la bouche semi-ouverte à attendre qu’on vienne m’achever. Il rigole en s’asseyant près de moi. - Je m’appelle Adam. Il me tend la main. Je la prends sans hésiter, ce qui me surprend moi-même. - Hannah. - Hannah… Un frisson me parcourt le corps lorsqu’il répète mon nom de sa voix grave. Mais qu’est-ce qui me prend ? J’ai l’impression d’agir comme une adolescente qui carbure aux hormones. Il détourne les yeux et regarde la mer. Ou l’océan, j’oublie tout le temps la différence entre les deux. - C’est vraiment magnifique. Je prends rarement le temps de profiter du paysage lors de mes voyages. Je ne réponds pas. Je ne saurais pas quoi répondre de toute façon. Oui, la vue est magnifique. Vous voyagez pour affaire ? Vous êtes célibataire ? Le choix de réponse est trop vaste. - Et toi Hannah? - Pardon? - Est-ce que tu prends le temps d’en profiter parfois ? - Je… J’ai envie de dire oui, ce qui serait le plus convenable dans cette situation. Mais pour une raison que j’ignore, je n’ai pas envie de lui mentir. - Non. Pas assez. Il me fait un petit sourire, le regard triste. Il semble me comprendre. Il pousse un long soupire en posant les coudes sur ses genoux de façon décontractée. - Tu sembles malheureuse Hannah. Pardon? Je lève les sourcils, surprise par son manque de tact. Ce n’est pas le genre de chose qu’on dit à quelqu’un, surtout si on vient juste de rencontrer cette personne ! Il sourit à mon expression. - Et fatiguée aussi. - Je vous demande pardon ? Il fait exprès ou quoi ? J’ignore d’où il vient, mais me faire insulter par un inconnu, aussi sexy qu’il peut l’être, n’est pas du tout ce que j’ai besoin en ce moment. Je me lève en serrant les lèvres. - Merci pour ces compliments. Mon ton est sec et lui indique que la conversation est close. Je m’éloigne du banc sans plus de politesse. Il n’en mérite pas, il n’a été qu’odieux avec moi. J’atteins le trottoir lorsqu’une main m’attrape le poignet. Mon corps est parcouru d’un frisson plus ou moins agréable tandis qu’une boule de chaleur se forme dans mon ventre. Bordel, mais qu’est-ce qui me prend ? La main tire sur mon poignet pour me retourner. L’étranger me sourit, comme s’il ne venait pas de m’insulter quelques instants auparavant. - J’aime les femmes qui ont de la répartie. - Vous les aimez mariées aussi ? Son sourire s’efface et ses yeux descendent vers ma main qu’il tient toujours par le poignet. Il regarde la bague autour de mon annulaire, puis son regard retourne scruter mes yeux. - J’espère que cette bague est la cause de ta fatigue et non de ton malheur, dit-il en me faisant un clin d’œil complice. Je suis bouche-bée. Comment ose-t-il s’immiscer dans ma vie privée de la sorte ? Je tire sur mon poignet pour me dégager de son emprise. Il ne résiste pas et plonge de nouveau ses mains dans ses poches de façon si désinvolte que j’ai presque envie de le frapper. - Comment osez-vous… Il hausse les épaules et ses lèvres se fendent en un sourire parfait. - Tu es très belle quand tu te fâche Hannah. Ma main est partie toute seule. Le bruit résonne dans l’air frais de la soirée, me parvenant avant même que je ne sente sa joue sous mes doigts. Mes yeux s’écarquillent lorsque j’aperçois la marque rouge de ma main sur sa peau parfaite. Mais je ne regrette rien. - Et maintenant? Je suis toujours aussi jolie ? Il se frotte la joue en bougeant sa mâchoire de gauche à droite. Comme si une petite claque aurait pu la casser ! À ma grande surprise, il me sourit. - Ça t’a fait du bien ? Je croise les bras en pinçant les lèvres. - Plutôt oui. Son sourire s’élargit et il replonge les mains dans ses poches. - Content de t’avoir rencontré Hannah. Il me fait un petit clin d’œil, puis recule d’un pas. - La spontanéité te va bien. Tu devrais l’être plus souvent, Hannah, spontanée. Il recule de quelques pas tandis que je le regarde s’en aller, ne sachant pas quoi dire. Il est rendu à quelques mètres de moi lorsqu’il s’arrête. - Au fait, il annonce de la pluie d’ici quelques minutes, j’ignore où tu restes, mais tu devrais te dépêcher de rentrer. - Je ne me fie jamais à la météo. - Moi non plus. Mais à ces gros nuages, oui. Il pointe le ciel derrière moi. Je me retourne. Merde! Le ciel s’est soudainement couvert de nuages gris foncé, presque noirs. Moi qui déteste me faire mouiller par la pluie ! - Je te déposerais bien quelque part, mais le seul endroit que je connais est ma chambre d’hôtel. Je fais de nouveau face à ce bel inconnu qui me sourit, les mains toujours dans les poches. Il semble s’amuser de cette situation. - Je ne monte jamais avec des étrangers de toute façon. - Si tu viens à mon hôtel, on ne sera plus étranger. Ça réglerait deux problèmes en même temps. Il s’avance vers moi, le regard pétillant. Je hausse les sourcils. - Vous invitez souvent des femmes mariées dans votre chambre ? - Seulement si elles semblent malheureuses. Il n’est qu’à quelques pas de moi à présent. Le tonnerre gronde derrière moi, nous avertissant de l’orage imminent. - Je suis très heureuse dans mon mariage, merci. Son audace me perturbe. Personne ne lui a appris les bonnes manières ? Il fait un pas vers moi, réduisant un peu plus l’écart qui nous sépare. - Vraiment? - Vraiment. - Très bien. Qu’est-ce qui te rend malheureuse dans ce cas ? Il fait un pas de plus vers moi. Un éclair fend les nuages, illuminant le ciel de plus en plus sombre. Le tonnerre le suit de peu. Il n’est qu’à un pas de moi et me fixe intensément. Un nouvel éclair se reflète dans le brun de ses yeux. - Qu’est-ce qui vous fais croire que je suis malheureuse ? Il tend une main vers moi et glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille. Au contact de ses doigts, des petits chocs électriques me parcourent le corps. Il réduit l’écart qui nous séparent pour n’être qu’à quelques centimètres de moi. - Disons que j’ai un don pour ce genre de chose. Il prend mon menton entre son pouce et son index et lève ma tête vers lui. - Qu’est-ce qui te rendrait heureuse Hannah ? La question me transperce la poitrine. Qu’est-ce qui me rendrait heureuse ? Ma tête se vide soudainement, incapable de trouver une réponse à cette simple question. Un éclair traverse le ciel en même temps qu’un grondement de tonnerre. L’orage est là. Une gouttelette me tombe sur le bras. Puis une autre sur le front. - Tu veux venir à mon hôtel ? Il se penche à mon oreille. - Je connais un bon moyen de te faire oublier tes problèmes. Une grosse goutte tombe sur mon épaule. Il recule d’un pas et me regarde droit dans les yeux en attente d’une réponse. Il est vraiment sérieux ? Je pousse un soupir en rigolant. Il hausse un sourcil, surpris de ma réaction. Le ciel se fend d’un nouvel éclair et la pluie se met à tomber. Rapidement. Et fort. Je regarde toujours le bel inconnu qui me rend mon regard, intensément, tandis que nos corps se font détremper en quelques instants. Au moins, je n’ai plus à m’en faire pour ma coiffure désordonnée. Il finit par détourner les yeux pour regarder le ciel en souriant, la pluie lui dégoulinant sur son visage sans défaut. - Trop tard pour trouver refuge à mon hôtel. - Effectivement. - Ceci dit, j’ai toujours rêvé de b****r sous la pluie. Il me fait un clin d’œil. Décidément, il n’a aucune gêne. Je l’envie presque d’avoir autant de cran. De pouvoir dire tout ce qu’il veut, sans se soucier des conséquences. Sans réfléchir à tout ce qu’un seul mot peut changer dans une vie. Mes cheveux dégouttent sur mon visage et dans mes yeux tandis que je le regarde de bas en haut. Sa chemise est maintenant transparente et collée à ton torse probablement taillé au couteau. Son sourire s’élargit tandis que je le zieute. - Tu aimerais en voir plus Hannah ? Il porte ses mains à sa chemise et détache habilement un bouton. Je déglutis le plus discrètement possible en le regardait s’attaquer à un autre bouton. Son torse apparaît tranquillement tandis qu’il détache un troisième bouton. Décidément, il n’a aucun défaut cet homme. Il détache l’avant-dernier bouton en même temps qu’un éclair fend le ciel derrière moi, éclairant ses muscles l’espace d’un instant. Je me mords la lèvre, la respiration de plus en plus rapide. Je dois partir. Et vite. Il détache le dernier bouton de sa chemise et remet ses mains dans ses poches en me souriant, attendant ma réaction. Mon regard effleure son torse sculpté au couteau tandis qu’une vague de chaleur me submerge. Bordel, il faut vraiment que je parte d’ici ! Il hausse les sourcils, interrogateur. Je hausse les épaules. - Meh. Mon cœur bat à tout rompre, tandis que je tourne les talons et me mets à courir. Je ne me retourne pas, j’imagine son expression d’incompréhension sur son visage parfait. J’ai moi-même de la difficulté à comprendre comment j’ai pu trouver la force de le planter ainsi. Je cours sous la pluie, les vêtements lourds d’eau, mais le cœur léger. Pour une raison que j’ignore, je me sens beaucoup plus sereine. Comme si cet étranger m’avait fait oublier tous mes problèmes. Je devrais me sentir mal d’avoir eu du désir pour un autre homme que Tony, mais je n’ai aucun remords. De toute façon, il ne s’est rien passé entre lui et moi ! La pluie se calme un peu tandis que je tourne le coin de la rue de mon quartier. Une voiture me double et je reconnais madame Parker qui me lance un regard interrogateur. Je lui fais un petit signe de la main en souriant, le visage dégoulinant de pluie. Je repense à la façon dont j’ai osé répondre à cet inconnu. Sans réfléchir, sans avoir à me retenir comme je le fais si souvent depuis trop longtemps. Je tourne le coin de ma rue en même temps que la pluie cesse. Je vois de loin la silhouette de Tony qui attend assis sur le perron de notre maison. Dès qu’il me voit, il se redresse. Même dans la pénombre de la soirée, je reconnais son regard inquiet. - Hannah… Je monte notre allée et je m’arrête en face de lui. Il me scrute un instant. Je ne me suis pas regardée dans un miroir, mais mon état doit être lamentable. - Tu dois avoir froid comme ça. - Je vais bien, merci. Il hoche la tête. Il semble dérouté par mon comportement et je ne peux lui en vouloir. Je ne sais pas moi-même ce qui me prend. Je monte les marches et le contourne pour entrer dans la maison. - Tu veux une serviette pour t’essuyer ? Pour ne pas mouiller le plancher. - Non, ça va. J’entre dans la maison et il me suit, refermant la porte derrière nous. En temps normal, j’aurais eu une crise de panique juste à imaginer mes vêtements dégoutter sur nos planchers en bois franc. Mais pas cette fois. J’enlève mes souliers détrempés et je monte les marches quatre à quatre en laissant des gouttelettes d’eau un peu partout. J’entre dans notre chambre et me dirige vers la salle de bain sans me soucier des traces d’eau que je sème sur mon passage. Je me déshabille rapidement en jetant mes vêtements trempés dans le bain. Tony apparaît dans l’embrasure de la porte. - Hannah? Il semble vraiment inquiet. Ses sourcils sont froncés et ses lèvres, pincées. - Qu’est-ce qu’il t’arrive Hannah ? Je hausse les épaules en ouvrant la porte de la douche. - Je vais bien. - Non Hannah. Tu ne vas pas bien. Tu as dit des choses insensées, puis tu es partie durant presque deux heures pour revenir complètement détrempée et maintenant ça. - Ça quoi? - Ça! Il montre le plancher trempe d’un geste de la main. Je hausse les épaules. - C’est juste de l’eau, ça va sécher. Il me regarde comme si je venais de dire la pire infamie. Il secoue la tête. - Non, ce n’est pas toi ça Hannah. Tu te préoccupes de ce genre de chose d’habitude. Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? - J’en ai peut-être juste assez de perdre mon temps avec des conneries comme ça. - Hannah… Il pousse un long soupir en me regardant droit dans les yeux. La même tristesse que lorsque je suis partie teinte ses yeux vert émeraude. - Si c’est à cause de… - Non. Ça n’a rien à voir Tony. Il hoche la tête, un peu plus détendu. Je referme la porte de la douche et ouvre l’eau. Je la laisse couler un instant jusqu’à ce qu’elle devienne chaude, puis je ferme les yeux et plonge la tête sous le jet d’eau. J’entends Tony bouger dans la salle de bain, mais je garde les yeux fermés. Habituellement, je suis gênée de me laver devant lui, mais pas cette fois. Pas cette fois.
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