Le dernier test

1728 Words
Je regarde le calendrier. J’ai deux jours de retard. Une boule se forme au creux de mon ventre. Après tous ces essais, est-ce que ce serait enfin le bon ? Je regarde le cercle sur le calendrier. Le fameux cercle qui indique la date précise du début de mes menstruations. Nous sommes deux jours passés ce cercle et toujours rien. Je regarde les X sur le calendrier, qui indiquent les fois où nous avons fait l’amour. Ils sont tous centrés dans la même période, la semaine où je suis censée être la plus féconde. Sauf un. Je flatte ce petit X du bout des doigts. Décalé des autres, imprévu. Je repense à cette fois, si spontanée qu’on ne s’est même pas rendu jusqu’à notre chambre. Les spécialistes nous l’avaient dit, le lâcher prise est la meilleure façon de concevoir un bébé. Tony arrive derrière moi, me prend par la taille et m’embrasse dans le cou. Il jette un coup d’œil au calendrier. - Toujours rien ? - Toujours rien. - C’est bon signe non? - Oui. Il me tourne vers lui et m’embrasse. - Tu iras acheter un test de grossesse après ton travail. Je hoche la tête, toujours incapable de m’imaginer que cette fois peut être la bonne. Je me prépare mécaniquement pour le travail, mon esprit est ailleurs, perdu dans mes espoirs et mes doutes. J’arrive au travail sans trop m’en rendre compte et commence ma journée. Avant, j’adorais mon travail, mais depuis quelque temps, je le trouve barbant et répétitif. Des chiffres et des chiffres, toujours des chiffres. Surtout depuis la fusion de notre compagnie avec sa plus proche rivale, toute notre comptabilité a changé, toutes nos méthodes sont différentes et je m’en lasse plus facilement. En même temps, je me demande ce que j’ai pu trouver de passionnant un jour dans le métier de comptable. Je me fais interrompre dans mes pensées par ma collègue, si j’ose appeler la secrétaire une collègue. Peut-être plus une subordonnée. Elle dépose un dossier sur mon bureau en me souriant. Est-ce que tu viens au resto avec nous ce midi Hannah ? C’est pour fêter le départ à la retraite d’Adrian. Merci, mais j’ai énormément de travail à faire, je ne prendrai pas de pause ce midi. Ce qui est un mensonge, un autre parmi tous les autres. Depuis la fusion, mes tâches ont énormément diminué, au point où je me sens parfois complètement inutile. Mais personne n’est au courant, excepté mes patrons évidemment. Je n’ai pas envi d’aller avec eux simplement, car je n’ai pas envi de me taper des conversations sans but avec des personnes insignifiantes. La secrétaire, Rosa, me fait les yeux doux. S’il te plaît Hannah, ce serait super ! Ça fait si longtemps que tu n’es pas venue avec nous ! Elle a raison, depuis presqu’un an, j’essaie d’éviter mes collègues le plus possible. En fait, j’essaie d’éviter les gens le plus possible. Probablement pour ne pas à avoir à cacher le vide qu’est devenue ma vie. Je lui fais un faux sourire. Je verrai ce que je peux faire. Super! Elle repart en me souriant, puis je retourne à mes papiers. Encore des chiffres à rentrer. *** Tous mes collègues sont déjà partis à leur petit dîner de départ. Moi, je me dirige vers la pharmacie la plus proche. Je veux savoir, j’en peux plus d’attendre. Je rentre dans la pharmacie sans saluer la caissière en retour, puis je me dirige dans l’allée numéro sept. Je prends un test numérique, le même qu’à chaque fois, puis je me rends aux caisses. La caissière me fait un petit sourire compatissant auquel je ne prends même pas la peine de répondre. Je sors du magasin et retourne au bureau, à un coin de rue de la pharmacie. J’entre dans les toilettes des femmes au rez-de-chaussée et déballe frénétiquement le test. Je le place entre mes jambes et je relâche ma vessie. Je reprends le test et met le petit bouchon. Puis j’attends, les yeux rivés sur l’écran. J’attends la nouvelle que j’ai tant désirée depuis plus d’un an. Deux minutes, les deux plus longues de ma vie. Puis l’écran s’ouvre. « Pas enceinte ». Je dépose le test sur mes genoux et j’enfouis mon visage dans mes mains. C’était certain, ça ne pouvait pas arriver, pas après tout ce temps… je repense à mes petits X sur le calendrier et au cercle. Peut-être que c’est trop tôt, peut-être que le test n’est pas fiable. Je secoue la tête, encore une déception pour moi, comme toujours. Je prends une grande respiration et sort des toilettes pour retourner à mon bureau. Il reste encore plusieurs minutes à la pause du midi, je suis la seule sur l’étage. Je me jette dans ma chaise et ouvre mon petit sac à lunch pour prendre un sandwich. Jambon, fromage, mayonnaise et moutarde, comme à l’habitude. Même si j’aime mieux la dinde, j’ai pris l’habitude d’acheter seulement du jambon, car c’est ce que préfère Tony. Je pousse un soupir en pensant à lui, à la tête qu’il fera quand il va savoir que je ne suis pas enceinte. Il ne dira rien, mais je sais que ça le blesse à chaque fois, à chaque mois… il aimerait tellement être papa ! Le bureau se remplit peu à peu dans un brouhaha sourd. L’après-midi se déroule aussi monotonement qu’à l’habitude, jusqu’à ce que l’horloge indique 17h et que mon quart de travail soit enfin terminé. Encore une journée de perdue avec tous ces chiffres. Je prends ma petite boite à lunch et ma sacoche et je me dirige vers l’ascenseur en même temps que plusieurs collègues de mon étage. Hey Hannah, tu nous as manqué ce midi ! Oui, je suis désolé Adrian, j’avais énormément de travail. C’est dommage, tu as manqué un toast digne de ce nom ! L’ascenseur s’ouvre et j’entre à l’intérieur, suivie par Adrian et un autre collègue dont j’ai oublié le nom. Ce dernier me fait un petit sourire de salutation auquel je ne réponds pas. Un certain malaise s’établit tandis que l’ascenseur descend tranquillement jusqu’au rez-de-chaussée de l’immeuble où se trouve la réception, ainsi que l’entrée principale. La petite voix annonce notre arrivée, puis les portes s’ouvrent. Je fais le premier pas pour sortir et les deux hommes m’emboîtent le pas. À un de ces jours Hannah! Bonne retraite Adrian. Il me tend la main et je lui serre à contrecœur. Puis, je peux enfin m’enfuir et retourner chez moi annoncer la mauvaise nouvelle à Tony. Après presqu’une heure de route, je suis enfin à la maison, épuisée de ma journée de merde. Tony se trouve dans la cuisine à préparer le souper comme à chaque soir. Il se dandine dans son tablier à fleur sur du Michael Bublé en faisant sauter les légumes dans le wok. Je n’ai pas le cœur à lui briser le moral immédiatement, donc je monte directement à l'étage pour aller me changer en vêtements plus confortables que mon tailleur gris et ma jupe crayon de la même couleur. Du sang. Dès que je descends mon string, une tache de sang me saute au visage, m’enfonce un couteau profondément dans le cœur. Le test était bon, ce ne sera pas ce mois-ci. Je retiens un sanglot en changeant mes vêtements, puis me dirige vers la salle de bain pour faire ce que j’espérais ne plus avoir à faire durant neuf mois. Une larme coule sur ma joue lorsque je sors le tampon de son emballage et l’insert en moi. Idiote. J’ai été idiote de croire que je méritais un enfant. Je me lave les mains, puis j’essuie la larme du bout d’un mouchoir en poussant un long soupire. Hannah? La voix de Tony me parvient du rez-de-chaussée. Hannah? Est-ce que c’est toi ou je dois appeler la police ? Je sors de la salle de bain, traverse notre chambre à grand pas et arrête en haut des marches où je croise le regard d’un Tony inquiet. Je suis là, mon costume était incroyablement inconfortable aujourd’hui. Mais te faisais des fesses de déesse. Je lui souris en descendant les marches. Il me prend dans ses bras et m’embrasse doucement sur les lèvres. Sa chaleur me réconforte. Le souper est prêt ma belle. Je meurs de faim justement. Il me tend une main et me conduit jusqu’à la salle à manger ou deux plats fumants nous attendent. Je m’assois au bout de la table et lui en face de moi, à l’autre bout. Je prends une bouchée. Délicieux, comme à chaque soir. Je prends une autre bouchée, probablement trop grosse, mais je meurs vraiment de faim. Je vide la moitié de mon assiette en quelques minutes, puis je jette un regard à Tony qui sourit en coin. Tu aimes? Je hoche la tête, la bouche encore pleine. Son sourire s’étend sur ses lèvres et monte jusqu’à ses yeux. Le voir heureux me rappelle la nouvelle que je dois lui annoncer. Mon ventre se noue et la faim disparaît soudainement. Il semble remarquer mon changement d’humeur, car son sourire se transforme en moue inquiète. Ça va Hannah? Je… Je détourne le regard. Je ne veux pas lui dire. Pas maintenant. Jamais. J’ai la gorge nouée, les mains tremblotantes. Il ne mérite pas cette mauvaise nouvelle. Il ne mérite pas une merde comme moi, incapable de lui donner un enfant. Je lui jette un petit regard. Il a les sourcils froncés d’inquiétude et a cessé de manger. Hannah… Je suis désolée Tony. Ses yeux s’écarquillent alors que je fonds en larmes. Un flot puissant que je suis incapable de contenir plus longtemps. Il lâche sa fourchette et s’élance vers moi. Il m’entoure de ses bras fort et réconfortant. Chut, tout va bien Hannah, je suis là. Il m’embrasse le front tandis que je m’agrippe à lui, les larmes dégoulinant toujours sans arrêt. Il me flatte les cheveux en signe de réconfort. Ce sera pour un autre mois. Je secoue la tête. C’était une fois de trop. Je n’en peux plus d’espérer en vain qu’un miracle se produise. Je ne suis pas digne d’être mère, je ne le serai jamais. Non Tony, c’est fini. Hannah? Je relève la tête vers lui, les yeux rouges et mouillés, mais décidée. Pour une fois depuis des années, j’en suis certaine. C’est fini pour moi d’espérer. Fini pour toujours.
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