Deux heures plus tard, Ristéard regardait par la fenêtre de son bureau. Les boucliers au-dessus de la planète tenaient à peine. Bientôt, il devrait faire évacuer les villes et activer les boucliers secondaires afin de ne protéger que le palais.
Les cristaux de sang qu’il avait rapportés aideraient temporairement son monde, mais ils avaient besoin de plus, bien plus pour que la planète survive. Son espèce pouvait être exposée à un taux de radiation beaucoup plus élevé que la plupart, mais même eux ne survivraient pas si les niveaux continuaient à croître. Un coup contre la porte de son bureau détourna son attention de la pâle lueur du soleil qui brillait à travers les fenêtres teintées.
— Entrez.
Il relâcha sa prise sur la lame à son flanc en voyant Andras sur le seuil. Il hocha la tête et reprit son observation de la ville en contrebas. La vie continuait, comme si personne ne s’inquiétait qu’elle pourrait prendre fin le lendemain.
L’image d’un visage délicat se forma soudain dans son esprit. Celui d’une femme avec cheveux de la couleur du soleil, des yeux de la même tête que la peau d’un nouveau-né elpidios, et une carnation pareille aux fleurs nocturnes qui ne fleurissaient que lorsque les deux lunes étaient pleines. La prophétie était-elle vraie ? Était-elle celle qui sauverait son monde ? Si oui, comment ? Comment une femme, en particulier une extraterrestre d’une autre planète, pourrait-elle le sauver si elle ne connaissait rien à son sujet ?
Andras traversa silencieusement la pièce pour le rejoindre. Pendant un moment, ils contemplèrent la ville en silence. Ils avaient rapporté un bref répit. Les cristaux reproduits par les Kassisans fonctionnaient, mais ils étaient plus petits et plus faibles que ceux qu’ils trouvaient jadis en abondance sur la surface de la planète.
Andras poussa un gros soupir avant de prendre la parole.
— L’assassin que poursuivait Harald n’avait pas de nouvelles informations. La seule chose qu’il est parvenu à apprendre de lui avant qu’il meure, c’est que le nouveau dirigeant apparaîtrait le jour de l’anniversaire de l’Illumination d’Elpidios, un évènement qui ne s’est produit qu’une fois tous les deux mille ans. Alors, la troisième lune est sortie de l’ombre de ses grandes sœurs et a brillé pleinement. Chaque assassin que nous avons interrogé au cours des deux dernières années a dit la même chose. Je crains que nous ne soyons pas plus avancés dans la recherche des responsables des attaques que nous l’étions avant la mort de votre père. Je propose que nous exécutions les membres du conseil pour en finir une bonne fois pour toutes.
Un sourire amusé étira les lèvres de Ristéard.
— Vous commencez à parler comme moi.
— Notre monde se meurt, murmura Andras en observant le mouvement des gens en contrebas. Même avec l’aide des Kassisans, produire assez de cristaux pour alimenter les boucliers est impossible. Certains endroits de la planète deviennent déjà inhabitables. Il vaudrait mieux commencer l’évacuation.
— Et faire quoi ? S’enfermer sous terre pour mourir encore plus lentement ? demanda sèchement Ristéard. Non, il y a une autre option.
Le garde le regarda avec surprise, une ride perplexe lui barrant le front.
— Quelle option ? Les Kassisans ont-ils d’autres cristaux qu’ils sont prêts à nous donner ?
— Non, ils sont censés avoir quelque chose de bien plus précieux.
Andras darda un regard frustré sur lui alors que Ristéard se dirigeait vers son bureau.
— Quoi ?
Il appuya sur un bouton sur son bureau. L’image d’une femelle, celle à laquelle il pensait plus tôt, apparut. Il considéra les traits pâles de l’extraterrestre, surpris par l’attirance immédiate qu’il ressentit devant le regard bleu vif qui soutenait le sien avec un léger agacement. Il sourit au souvenir des paroles furieuses qu’elle lui avait adressées quelques semaines plus tôt.
— La légendaire impératrice d’Elpidios, mon épouse mythique, répondit-il en regardant l’expression stupéfaite d’Andras. D’après la prophétie, elle sauvera notre monde. Je suggère que nous le vérifiions.
Le regard de l’homme fit des va-et-vient entre l’image holographique de la femme et Ristéard. Il ouvrit et ferma la bouche deux fois alors qu’il essayait de comprendre comment cette étrange créature blême était censée être l’impératrice de la prophétie. Tous les jeunes enfants elpidios entendaient des histoires à son sujet à l’heure du coucher.
Le scepticisme assombrit ses traits tandis qu’il fixait son ami et dirigeant.
— Vous y croyez vraiment ? Elle ne nous ressemble même pas. Elle est très… pâle, ajouta-t-il avec une grimace. En plus, tout le monde sait que cette légende n’est qu’un conte pour donner de l’espoir aux petits enfants.
Perdu dans ses pensées, Ristéard continua de contempler l’image. Oui, c’était un conte raconté pour faire espérer les enfants. Pourtant, derrière tous les grands contes, il y avait une once de vérité. Il pensa à l’une de ses commandants, Mena Rue, et à la passion avec laquelle elle avait insisté que les tablettes anciennes trouvées par ses parents parlaient du premier signe de l’arrivée de la grande impératrice.
Ce qui l’inquiétait, c’était que pour le moment, ce qui avait été prédit se produisait réellement ! La bataille contre le perfide Kassisan, et les trois femelles qui avaient sauvé la vie de Torak et Jazin Ja Kel Coradon, deux des trois membres régnants de la maison de Kassis, étaient une coïncidence qu’il ne pouvait ignorer. Non seulement il y avait trois grandes guerrières, mais elles avaient joué un rôle crucial pour sauver la maison de Kassis et avaient ramené un groupe de guerriers insolites, dont une femelle qui ressemblait étrangement à…
— Notifiez la commandante Rue que je veux la voir immédiatement, ordonna soudain Ristéard. Je veux aussi toute information que Dedeis Rue et son épouse sont parvenus à déchiffrer sur les tablettes anciennes.
Andras inclina la tête avant de partir vers la porte. Alors qu’elle s’ouvrait, il s’arrêta et regarda Ristéard, sourcils froncés. Il observa une nouvelle fois l’hologramme.
— Comment envisagez-vous de découvrir si c’est réellement l’impératrice qui sauvera notre monde ? Et si elle n’accepte pas de nous aider ?
Ristéard se détourna de l’image avec un air renfrogné.
— Elle acceptera, répondit-il avec arrogance.
— Comment le savez-vous ?
Une lueur déterminée brilla dans ses yeux.
— Parce qu’elle n’aura pas d’autre choix. Elle nous aidera, même si je dois l’enlever pour qu’elle le fasse.
Andras resta silencieux un moment avant qu’un sourire n’étire involontairement ses lèvres. Les choses semblaient sur le point de devenir très intéressantes… d’une façon ou d’une autre. Soit ils découvriraient qu’ils avaient trouvé l’impératrice de l’Illumination d’Elpidios annoncée par la prophétie, soit une guerre éclaterait avec les Kassisans. Quoi qu’il en soit, la vie du peuple d’Elpidios et de leur grand dirigeant changerait.
— J’ordonnerai à la commandante Rue de venir immédiatement et d’apporter toute information qu’elle possède. Et je préviendrai Emyr, Sadao et Harald qu’ils doivent se préparer pour une mission secrète.
Ristéard acquiesça d’un signe de tête. Il se laissa lentement tomber sur le grand fauteuil derrière son bureau, les yeux rivés sur l’image de Ricki Bailey. Pendant un instant, un sentiment d’indécision le traversa. Le refoulant, il se pencha en avant et saisit une commande sur la console sur son bureau.
Une deuxième image apparut, celle des tablettes antiques que Dedeis Rue avait découvertes. Il voulait comparer les informations qu’apporterait la commandante Rue avec celles qu’il avait déjà obtenues. Dans son intérêt, et celui de ses parents, il valait mieux que ce qu’elle lui dirait corresponde ou soit plus détaillé que ce que le dossier contenait déjà.
— Qui es-tu ? marmonna-t-il en étudiant attentivement les deux images. Comment est-ce possible ?
Les images étaient presque identiques. La tablette de pierre était délavée et il en manquait une partie, mais les traits étaient si semblables que l’on aurait cru que Ricki Bailey avait posé pour la gravure voilà deux mille ans. S’il y avait bien une chose qu’il n’aimait pas, c’était les questions sans réponse. En entendant un petit coup à la porte, il lança :
— Entrez.
Une femme bleue élancée entra dans la pièce, un sourire sensuel aux lèvres. Elle était vêtue de la robe traditionnelle que portaient la plupart des femmes. Elle était enroulée autour de son corps, formant un pli sur une délicate épaule bleue, et était retenue par une grosse broche noire. Il fronça les sourcils quand elle ferma la porte et détacha la broche.
— J’ai entendu dire que vous étiez revenu, murmura-t-elle. Je suis là pour vous donner du plaisir, Monsieur le grand dirigeant.