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Je regarde l’heure sur mon tableau de bord, il est indiqué deux heures trente du matin. Qu’est-ce que je fais ? J’appelle ? Je n’appelle pas ? Et puis merde ! Il y encore une heure il était au Latino. Tant pis si je le réveille, c’est pour l’avenir de ma sœur. Pour elle je ferais n’importe quoi. Je compose le numéro, ça sonne une fois, deux fois, trois fois… Allez, réponds ! Au bout de la quatrième sonnerie il décroche. Alléluia ! — Allô ! — Monsieur Smith ? — Oui c’est bien moi, je peux savoir qui est à l’appareil ? — Excusez-moi de vous déranger à une heure aussi tardive, mais nous nous sommes rencontrés au Latino dans la soirée. Je suis Alexandra, la sœur de Sara, la jeune femme que vous avez approchée pour le casting de la semaine prochaine. — Oui en effet je me souviens. Je peux savoir pourquoi c’est vous qui m’appelez et non votre sœur ? Il ne va quand même pas commencer à m’emmerder ! Il devrait s’estimer heureux que je le contacte. Avec Sara, il n’aurait strictement rien obtenu à part un silence magistral. — Écoutez Monsieur Smith… — Josh. — D’accord, Josh ! Ma sœur est une grande passionnée de danse et pourrait certainement mourir pour ça, mais je ne pense pas qu’elle vous appellera. — Et pourquoi ça ? Si votre sœur est une passionnée, pourquoi ne me recontacterait-elle pas ? — Parce qu’elle n’a pas confiance en elle ! Écoutez, je ne devrais pas vous le dire, mais je veux que ma sœur participe à ce casting. Elle doit même ! Sara, a commencé la danse dès qu’elle a été en âge de prendre des cours. Ses professeurs ont tout de suite remarqué qu’elle avait un vrai talent même plus que ça, un don. Elle est donc très rapidement entrée au conservatoire et on ne l’a jamais vue aussi heureuse ! Mais suite à un accident elle a tout perdu. Elle a préféré abandonner le conservatoire et son rêve par la même occasion, alors qu’elle aurait pu reprendre par la suite. Pour elle c’était au-dessus de ses forces, elle a vu son rêve lui échapper d’entre ses doigts. Elle a trop peur que ça recommence. Je ne sais pas pourquoi je lui ai sorti tout ça ! C’est un inconnu après tout, mais je lui raconte la vie de Sara comme si c’était mon meilleur ami… Je crois que je lui en ai dit autant car je veux plaider la cause de ma sœur. Elle mérite de vivre cette aventure. — Qu’est-ce que vous cherchez en me contactant ? Si votre sœur ne veut pas aller à ce casting je ne peux rien y faire ! Même si c’est un beau gâchis ! — Sara ira à ce casting ! — Attendez, je ne vous comprends pas. Il y a deux minutes, vous m’avez dit qu’elle ne viendrait pas ! — Elle ira, je l’obligerais à y aller. Ne vous en faites pas pour moi, je saurai comment m’y prendre. Je veux juste que vous l’inscriviez au casting. C’est la chance de sa vie et même si elle dit le contraire, ne pas le faire la rendra encore plus malheureuse. — Bon d’accord ! Je vais compter Sara parmi les participants, mais vous avez intérêt à ce qu’elle soit présente. — Elle y sera ! — Très bien, qu’elle soit vendredi à quatorze heures à la salle d’audition. — Merci beaucoup Josh ! — Je ne le fais pas pour vous, mais pour votre sœur qui a un vrai talent et aussi pour mon patron. Il mérite d’avoir les meilleurs à ses côtés et pour moi votre sœur en fait partie. Ça c’est du compliment ! J’aurais aimé que Sara entende ce qu’il vient de dire. Ça lui aurait redonné un semblant de confiance en elle. — Je peux savoir pour quel chanteur Sara va passer une audition ? — C’est pour Noah Davis. — Quoi ? Pour Noah Davis, le Noah Davis ? Celui qui cartonne et qui fait des shows à l’américaine ? — Oui. Oui. Lui-même. L’enfoiré il se marre ! Je dois vraiment passer la groupie de service, mais p****n, ce mec n’est pas n’importe qui ! — Bah merde ! Croyez-moi, ma sœur sera là. Elle ne peut vraiment pas louper une opportunité pareille ! En tous cas merci beaucoup, au revoir et bonne soirée. — Bonne nuit plutôt, au revoir. Lorsque je raccroche je n’en reviens toujours pas Sara va passer une audition pour Noah Davis. Je suis hyper excitée pour elle. Maintenant il ne reste plus qu’à lui apprendre la nouvelle et ça, ça ne va pas être une mince à faire. Je redoute déjà sa réaction… Il va falloir que la joue fine. Je mets le contact, puis prend la route direction chez moi. Je prie au plus profond de moi-même pour que Sara prenne bien ce que je vais lui dire et surtout, pour qu’elle aille faire cette audition. De toute façon je ne vais pas lui laisser le choix, je l’emmènerai de force s’il le faut. Chapitre 4 I never let you down, Woodkid Je danse jusqu’à n’en plus pouvoir. J’exécute ma chorégraphie à la perfection en y alliant rapidité, lenteur, douceur, grâce et agressivité. Je me perds dans mes mouvements, je ne pense plus à rien. C’est une suite logique qui s’enchaîne et qui me fait me sentir bien. Je me sens libre, je me sens voler, je me sens apaisée. J’ai beau enchaîner différentes figures les plus complexes les unes que les autres, pour moi tout est d’une simplicité déconcertante. Je viens de finir une pirouette pour enchainer avec un saut, mais lors de ma réception tous s’écroule ! Je glisse et je sens partir mon genou. Je hurle à la mort tellement j’ai mal, les larmes coulent sans que je ne puisse les contrôler. Ma cage thoracique se serre, se comprime, j’ai du mal à respirer, j’étouffe… C’est à moment-là que je me réveille, à bout de souffle, mes larmes s’écrasent sur mes joues. Ça faisait des années que je n’avais pas fait ce cauchemar. Ce cauchemar qui me montre avec tant de violence que mon rêve de gosse, mon rêve de toute une vie s’est écroulé en un claquement de doigts. J’essaie de me calmer, mais je tourne comme un lion en cage dans ma chambre. Je me revois encore et encore lors de cette audition, exécuter mes mouvements puis d’un coup la douleur. Rien que d’y repenser mes larmes reviennent de plus belle. D’ailleurs s’étaient-elles arrêtées ? J’en doute. J’avais seize ans, je passais une audition pour pouvoir entrer dans une compagnie qui a été créée par le conservatoire lui-même. J’aurais donc pu à la fois continuer mon apprentissage au conservatoire, mais aussi apprendre à évoluer dans un groupe. J’aurais pu voyager et montrer mon talent au monde entier, mais cette magnifique opportunité a explosé en plein vol. Pour pouvoir rentrer dans la compagnie Dance World, il fallait effectuer trois chorégraphies sur trois styles de danse différents : le modern-jazz, le contemporain et le classique. Mes épreuves de contemporain et de modern-jazz étant déjà faites, il ne me restait plus que le classique. Et ce fut sur cette dernière épreuve que mon monde s’écroula... Je revois encore la tête du jury. Ils étaient en panique, criaient qu’il fallait appeler les secours, mais moi, je n’entendais que ma douleur. Elle résonnait dans ma tête, dans mon être, dans mon âme… Une fois arrivés, ils m’ont rapidement auscultée pour ensuite me transporter à l’hôpital. Le trajet a très certainement été le plus long de toute ma vie. J’avais l’impression que les minutes étaient des heures, que le temps se rallongeait. Je ne voulais qu’une chose : me réveiller de ce sombre cauchemar, mais ça n’est jamais arrivé… Après une batterie de tests, le verdict du médecin est tombé : rupture des ligaments croisés. J’ai cru que mon monde allait s’écrouler. Pour une danseuse, c’est certainement la pire des blessures… J’en voulais à la terre entière, mais surtout à moi-même. Il m’a ensuite expliqué comment tout cela allait se poursuivre et je l’écoutais avec attention. Il m’a appris que j’allais devoir me faire opérer et que suite à cela, j’allais avoir des séances de rééducation durant deux mois. Et là, j’ai bugué… Quand j’ai entendu « deux mois » mon teint est devenu livide. J’ai essayé par tous les moyens de réduire le temps de rééducation, mais cela n’était rien, car le coup de massue est arrivé après. Lorsqu’il m’a annoncé que je ne pourrais pas reprendre la danse avant six à huit mois après l’opération, mon cerveau s’est mis en stand-by. Il est resté bloquer sur cette dernière phrase. Le médecin continuait son speech à propos de ce délai à respecter, mais moi j’entendais encore et encore « pas de danse avant six à huit mois après l’opération ». Cette annonce a été la goutte de trop. Je n’ai pas résisté et j’ai craqué… Mes larmes coulaient à flot… Ce n’était pas possible, je devais être dans un monde parallèle ! C’était la seule solution envisageable, je ne pouvais pas vivre ça… Je n’attendais qu’une seule chose : qu’on me réveille et qu’on me dise que j’avais fait un mauvais rêve, mais rien... Tout ceci était bien réel à mon plus grand désespoir. Le médecin a tenté de me rassurer en me disant que tout allait bien se passer et qu’après ces huit mois, je pourrais danser comme s’il ne m’était jamais rien arrivé. Pourtant moi, j’ai su à cet instant précis que ma possible carrière professionnelle était terminée, alors qu’elle n’avait même pas eu le temps de commencer. Pour lui, il était facile de dire que je pourrais reprendre mes cours au conservatoire. Sauf que moi, je voyais l’après. Je voyais que cette fin d’année était terminée et que je ne pourrais pas commencer la suivante. Alors certes, j’aurais pu reprendre en cours d’année, mais pour moi c’était inenvisageable. J’aurais loupé quoi, six mois de cette nouvelle année et il me serait resté quatre mois pour tout rattraper en ce qui concerne la danse, autant dire mission impossible. Je veux bien être une passionnée, mais il y a des limites C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision la plus dure de toute ma vie, celle qui m’a bousillée à tout jamais : adieu le conservatoire, adieu ma carrière pro, adieu mon rêve de gosse. Tout ce que j’ai toujours voulu a disparu et tout ça à cause de quoi ? D’une fichue mauvaise réception lors d’un saut. J’étais brisée… Je pleurais jour et nuit et finissais par m’endormir d’épuisement. Cependant, mes nuits étaient courtes… Ma fatigue avait beau m’emmener dans les bras de Morphée, mes cauchemars incessants finissaient toujours par me réveiller et à chaque fois, mes larmes reprenaient. Ce cauchemar était toujours le même, je revoyais ma chute, cette humiliation, encore et encore comme pour me dire que je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même et à vrai dire c’était le cas. Dès que ma sœur m’entendait pleurer, elle venait s’allonger à mes côtés et me prenait dans ses bras comme le ferait une mère avec son bébé. Elle me câlinait, passait sa main dans mes cheveux pour m’apaiser, me réconfortait et je finissais toujours par m’endormir dans ses bras. Je ne la remercierais jamais assez pour tout ce qu’elle a fait pour moi, durant cette période extrêmement difficile de ma vie. C’était mon pilier, ma bouée de sauvetage. Je voyais qu’elle essayait de rester forte pour moi, mais ce que je vivais la touchait aussi énormément. Je le remarquais dans ses yeux, sa manière de me regarder la trahissait. C’est pour cela que je prends si mal le coup qu’elle m’a fait ce soir. Elle sait que je souffre de ne pas pouvoir danser en tant que professionnelle. Et là, même si c’est une opportunité en or, elle dit à ce Josh que je passerais cette audition sauf que c’est inenvisageable. Moi, Sara Parker, passer une audition pour un chanteur français alors que je prends des cours de danse dans des associations, c’est se foutre de la gueule du monde. Rien qu’à cette pensée je me mets à rire toute seule. Certes ces cours permettent de me dépenser, de me maintenir à flot, mais le niveau est bien loin de celui du conservatoire et je l’ai tout de suite vu. Les courbatures ne sont pas présentes à la fin de mes séances, je ne sens pas cette liberté que j’ai connue lorsque j’effectue mes mouvements. En réalité il me manque tellement de choses… Et ma sœur veut que j’aille passer une audition en sachant ça ! Elle est complètement malade. Si elle veut que je me ridiculise, c’est sûr, c’est la seule chose qui me reste à faire. Mais, j’ai déjà trop souffert pour que ça recommence. Et encore, regardez où j’en suis ! J’ai vingt-quatre ans et il m’arrive encore de me réveiller en pleine nuit à propos de ce qu’il s’est passé il y a huit ans. Trouvez l’ironie ! Il faut que je sorte, même s’il est presque trois heures du matin, j’ai besoin d’aller me défouler. Mes nerfs sont trop à vifs, il faut que j’évacue. Je me change et me mets en tenue pour danser. Une brassière de sport, un shorty feront l’affaire. Avant de sortir j’enfile mes baskets et un gilet à capuche. Je prends mes clés, mon IPod et dévale les escaliers de l’immeuble dans lequel se trouve mon appartement et celui de ma sœur. Lorsque je sors, je croise Alex, cependant je ne lui adresse aucune parole juste un regard noir. J’enfourne mes écouteurs dans mes oreilles et commence ma course folle vers la salle de danse. Elle doit bien se trouver à une demi-heure à pieds, mais j’ai besoin de me défouler !
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