Je foule l’asphalte tandis que Desperado de Rihanna pulse dans mes tympans et on peut dire que cette musique correspond à mon humeur. Agressivité et tension font partie de cette chanson. Mon instinct de danseuse revient au galop en me disant qu’effectuer un Paso Doble sur cette chanson serait parfait. Avec ma rage, je ne ferais qu’une bouchée de mon partenaire. J’aime cette danse de caractère qui me définit plutôt bien, je me retrouve en elle.
Mes pieds continuent de piétiner le bitume à une vitesse folle. J’arrive rapidement à la salle de danse, je crois que je n’ai jamais couru aussi vite et je remercie aussi intérieurement Justine de m’avoir laissé un double des clés de sa salle de danse. Ça a ses avantages d’avoir une meilleure amie professeure de danse.
La salle est plongée dans le noir et est seulement éclairée par la lumière émise par la lune. Je vais brancher mon IPod sur l’enceinte, mets le son au maximum et lance la chanson I Never Let You Down de Woodkid. À peine les premières notes sorties, je me laisse envoûter par cette douce mélodie qui possède cependant aussi énormément de force. Mes mouvements suivent le rythme de la musique par laquelle je me laisse transporter. J’allie fluidité et férocité. J’agis simplement, sans réfléchir, je me laisse juste guider par mon esprit qui vagabonde sur les sonorités.
Mes gestes se reflètent sur tous les murs de la pièce comme si ma peur, ma tristesse et ma rage dansaient à mes côtés pour pouvoir disparaître et me laisser en paix. Toutes ces ombres se meuvent autour de moi, comme si elles m’encerclaient, m’observaient, afin de s’exprimer elles aussi.
C’est fou de se dire que la danse est un besoin vital pour moi, mon refuge, mais que c’est aussi la chose qui me fait le plus peur, me remplit de doutes et qui est capable de m’anéantir. C’est tout simplement ma vie comme ma faiblesse…
Au bout de deux bonnes heures, la fatigue commence à se faire sentir. Des gouttes de sueur perlent sur mon front et dans mon dos. En même temps il faut dire que cette séance improvisée m’a fait le plus grand bien. Elle m’a permis de me libérer et j’en avais besoin après cette soirée.
Je sors de la salle de danse et je me rends compte qu’il pleut. Je dirige mon visage vers le ciel et laisse les gouttes d’eau s’y écraser pour me rafraîchir. Je reste les pieds ancrés au sol plusieurs minutes, la tête toujours dirigée en direction des nuages. J’aime sentir ce froid saisissant sur ma peau brûlante, j’ai le sentiment de me laver de toutes ces merdes qui m’ont envahie.
Au bout d’un moment, je décide de rentrer. Je mets ma capuche et retourne chez moi en petites foulées.
Lorsque je rentre dans l’appartement, aucune lumière n’est allumée cela signifie qu’Alexandra est couchée. À cette constatation ma cage thoracique se relâche. Je ne m’étais même pas rendu compte que je retenais ma respiration. Ça ne veut pas dire que j’ai peur de ma sœur, mais je n’avais surtout aucune envie d’avoir un nouvel affrontement avec elle ce soir. Je n’en ai ni le courage, ni la force.
Je me dirige sans faire de bruit dans la salle de bain. Je me déshabille pour ensuite entrer dans la douche, mais avant ça, je m’arrête devant le miroir pour regarder la fille que je suis devenue. Et je remarque que je ne suis pas du tout celle que je voulais être. J’ai vingt-quatre ans, je travaille dans la communication et par-dessus le marché je suis célibataire ! L’éclate totale dans ma vie... Lorsque j’étais ado, à cet âge je m’imaginais danseuse professionnelle, que j’allais voyager à travers le monde pour développer mon art, que j’aurais rencontré un beau danseur qui se trouverait être l’amour de ma vie. Tout cela est loin d’être le cas, mais bon, c’est la vie.
J’entre dans la douche et me mets sous le jet d’eau brûlant qui me réchauffe de cette pluie froide. Je me lave rapidement, me sèche, et enfile une nuisette pour ensuite plonger dans mes draps. Je m’endors rapidement et à mon plus grand plaisir, ce fut un sommeil sans rêve.
Chapitre 5
Petite Sœur, Lâam
Les rayons du soleil me réchauffent la peau. Hier soir j’ai dû oublier de fermer mes volets, mais en même temps, quel bonheur de ressentir cette chaleur m’envahir dès le matin. Enfin matin, est un grand mot. En regardant mon réveil je me rends compte qu’il est quinze heures. Ça fait bien longtemps, que je ne me suis pas réveillée en plein milieu d’après-midi ! En même temps vu l’heure à laquelle je me suis couchée, ce n’est pas vraiment étonnant. Mais, je dois quand même avouer, que dormir comme ça m’a fait le plus grand bien.
Je me lève donc de bonne humeur. Je me dirige vers le salon et il est vide. Alexandra a dû sortir faire des courses. Profitant d’être seule, j’allume la télé et bien sûr je mets une chaine musicale. Je pousse le son de la télé, et je commence à m’éclater sur le son Me too de Meghan Trainor. Je bouge en rythme tout en préparant mon petit déjeuner. Oui je sais, je prends un petit déjeuner en plein milieu de l’après-midi, mais je ne me vois pas commencer ma journée en mangeant un steak et des frites !
Alors que je viens à peine de finir mon petit déjeuner de championne, ma sœur entre avec les bras chargés de courses.
Un silence pesant s’installe entre nous. Je vois bien qu’Alex essaye d’établir le dialogue, mais reste finalement muette. Et pour ma part, je n’ai pas envie de me prendre la tête alors que je viens de me lever. Cependant je n’aime pas ressentir cette distance entre ma sœur et moi, ce n’est pas nous. Cela ne nous ressemble pas, de ne pas nous adresser la parole. Et je dois avouer que ça me pèse. Je veux retrouver la complicité qui nous caractérise tant. Je mets ma fierté de côté et fais donc le premier pas vers elle. À sa plus grande surprise, je la serre contre moi et sa réaction ne se fait pas attendre plus longtemps. Ses bras se resserrent sur mon corps. Nous restons dans cette position pendant plusieurs minutes. C’est moi qui romps le contact, je lui embrasse la joue et lui dis que je vais me doucher. Lorsque je sors du salon, je peux constater qu’Alex a le sourire aux lèvres, chose qu’elle n’avait pas en rentrant dans l’appartement.
Une fois pomponnée, je vais rejoindre Alex qui est installée sur le canapé. À plusieurs reprises je sens son regard dévier de l’écran pour s’arrêter sur moi. Qu’elle crache le morceau au lieu de loucher comme une idiote.
À force de la voir m’observer sans jamais que le moindre son ne sort de sa bouche, je lui dis :
— Alexandra qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien !
— Tu es sûre ?
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cette discussion va mal finir alors qu’on vient à peine de se réconcilier.
— Bah oui, puisque je te le dis !
Je la connais par cœur, je sais qu’il y a une embrouille quelque part. Qu’elle parle, merde !
— Arrête de me prendre pour une conne Alex ! Je les vois tes petits regards en coin ! Alors maintenant tu vas me dire ce qu’il se passe et je te préviens, tu as intérêt à cracher le morceau ! Compris !?
— C’est cette histoire d’audition, je...
— Ah non, tu ne vas pas recommencer avec ça ! la coupé-je
— Mais écoute au moins ce que j’ai à te dire, au lieu de tout de suite monter sur tes grands chevaux !
— C’est bon vas-y je t’écoute, je suis toute ouïe !
Elle perçoit tout de suite l’ironie dans ma réponse. Bordel, pourquoi elle s’acharne comme ça ?
— C’est ça fous-toi de moi !
— Vas-y, je t’écoute Alex. Même si je t’avoue que le sujet de conversation ne m’enchante pas.
— Je m’en doute ! Mais s’il te plait, écoute-moi jusqu’au bout, et surtout ne me coupe pas !
— D’accord…
Je lève les yeux au ciel. Et dire que le début de journée se passait bien.
— Sara, je pense sincèrement que tu devrais faire cette audition. Je sais que par le passé tu as extrêmement souffert, que tu as subi tout ça ! Je sais aussi que tu as vécu cette blessure comme une humiliation, car beaucoup de monde avait placé de l’espoir en toi. Sache que pour moi aussi ça n’a pas été facile, je t’ai vue pendant des mois au fond du gouffre. Ce n’est peut-être pas moi qui ai été blessée au genou, et subi toutes les épreuves qui ont suivi, mais c’était tout comme ! Que crois-tu que je faisais quand tu partais à ta rééducation ? Je pleurais, j’extériorisais ! Te voir comme ça me bouffait de l’intérieur, surtout vu notre relation depuis que papa est parti aux États-Unis. J’avais mal Sara ! Et lorsque tu as commencé à remonter la pente, et surtout lorsque tu as recommencé à danser, j’ai été la plus heureuse des sœurs.
Tout ce que me dit Alexandra me touche au plus haut point. Je savais que cela avait été dur pour elle, mais je ne pensais pas à un tel point! Les larmes perlent au coin de mes yeux. Je pensais que son discours était terminé, mais ce ne fut pas le cas.
— Tu devrais vraiment aller passer ce casting Sara. J’ai appelé Josh Smith le chorégraphe et…
— Attends, tu as quoi ? lui hurlé-je. Tu l’as appelé alors que je t’avais dit que je ne voulais pas entendre parler de cette audition ! La dispute d’hier soir ne t’as pas suffi ou quoi ?
J’y crois pas elle a osé ! Comment peut-elle me faire ça ?
— Écoute au moins ce que j’ai à te dire !
— Nan c’est bon, stop ! J’en ai assez entendu !
Je me lève comme une furie du canapé, et fonce en direction du couloir. Je l’avais dit que je ne la sentais pas cette discussion, et bien ça n’a pas loupé ! Une fois dans ma chambre, je prends un sac qui traîne par terre et me dirige vers mon placard. Je sors des vêtements et les mets dedans, ainsi que des affaires de toilette. Je prends mes clés, mon téléphone, mon IPod et je me dirige vers la porte d’entrée.
— Je peux savoir ce que tu fais avec ce sac Sara ?
— C’est très simple je pars !
— Quoi ? Et tu vas où ?
— Ça te regarde ? Je ne crois pas ! Tu n’es pas ma mère à ce que je sache !
— Sara, arrête tes conneries. Et dis-moi où tu vas ! Je te préviens, je ne te lâcherai pas tant que tu ne me l’auras pas dit.
— Je vais chez Justine ! C’est bon, t’es contente ?
Je ne lui laisse pas le temps de parler, que je sors en claquant la porte. Une fois dans le hall d’entrée de l’immeuble, j’appelle un taxi. Je vais devoir attendre quinze minutes avant que celui-ci n’arrive. Je m’installe donc sur une marche de l’escalier, et mets mes écouteurs. La musique l’un des meilleurs antidépresseurs. Les chansons défilent puis Petite Sœur de Lââm se fait attendre, et là, j’éclate en sanglots. Cette musique retrace exactement l’histoire de ma sœur et moi.
Petite Sœur
Je connais ta peine et ta douleur
Les places qu'elles prennent dans ton Cœur
J'étais la même Petite Sœur
Petite Sœur
Je te vois regarder par la fenêtre
Comme si c'était Moi, comme si j'étais dans ta tête
Crois-moi, Petite Sœur, le silence et le froid
Je connais par Cœur, j'y suis passé avant Toi
Je te vois attendre, attendre que tourne ta chance
Là je tends dans l'indifférence, hey
Tu refais la liste de ce qu'il ne va pas
Tout n'est pas si triste, tu te dis c'est déjà ça
Petite Sœur
Je connais ta peine et ta douleur
Parce que j'avais la même dans mon Cœur
C'est Toi et Moi, Petite Sœur, Toi et Moi, Petite Sœur
Petite Sœur
Je sais comme ça brûle, à l'intérieur
J'ai eu le temps d'apprendre de mes erreurs
C'est Toi et Moi, Petite Sœur, Toi et Moi, Petite Sœur
Petite, essuie
Les larmes sur ta joue, la vie est ainsi
Parfois on prend des coups
Mais on se relève, plus forte et plus fière
On s'accroche à ses rêves et on passe les frontières
Petite Sœur
Je connais ta peine et ta douleur
Parce que j'avais la même dans mon Cœur
C'est Toi et Moi, Petite Sœur, Toi et Moi, Petite Sœur
Essuie tes larmes
Pleurer ! Ça sert à quoi
La vie est ainsi ! Un jour, ça passera
Passent les peines d'Amour, celles qui font douter de Soi
Les mots, les discours
Tout ça s'effacera
Cette chanson c’est elle et moi. C’est notre histoire, elle exprime parfaitement ce qu’Alexandra est pour moi : ma grande sœur, celle qui est là pour moi et qui me comprend. C’est pour cela, que ça me fait extrêmement mal que nous nous déchirions ainsi. C’est ma sœur je l’aime, mais là c’est au-dessus de mes forces. Elle a franchi la ligne rouge. Elle m’a vu hurler, pleurer, dépérir pendant des années ça ne lui a pas suffi ? Apparemment non… Il faut qu’elle vienne exploser le peu d’équilibre que j’avais en ma possession. Pourquoi Alex ? Pourquoi ?