Chapitre 1 : Amyliana

1474 Words
Chapitre 1 : Amyliana La rue est calme, beaucoup trop sombre puisqu’un seul de ses réverbères fonctionne encore. Les mains enfouies dans mon sac, je cherche mes clés, énervée de ne pas les retrouver depuis déjà dix minutes, fatiguée par cette soirée qui ne semblait pas finir. J’ai pourtant cherché partout dans les vestiaires, dans les poches de mes fringues, partout. Et rien. Je frissonne quand souffle une bourrasque, faisant virevolter mes cheveux. Je les retiens d’une main, soupire longuement en contemplant le ciel étoilé. — Tu as besoin d’aide ? Milo, grand type baraqué qui sert de vigile au club me sourit en posant sa main sur mon bras. — J’ai paumé mes clés. — Aïe. — Comme tu dis, oui. Je ne sais pas comment je vais faire pour rentrer chez moi. — Peut-être que tu les as laissées sur ta porte, rit-il, si tu savais toutes les fois où ça m’est arrivé. — Possible, enfin j’espère. Je redresse l’anse de mon sac sur mon épaule quand Milo me propose de me ramener chez moi. C’est un chic type qui a toujours peur lorsque nous sortons du boulot et que des mecs louches traînent en rue. Une sorte de véritable papa poule pour nous. — Non, ça ira, je te remercie, Milo. Je n’habite qu’à un pâté de maisons, je te rappelle. — C’est toi qui vois, mais prends garde. Je lui réponds d’un clin d’œil et me mets en chemin, espérant qu’il ait raison au sujet de mes clés. Mes bras se resserrent autour de mon buste, cachant mon dessus un peu trop décolleté, pour ne pas attirer les regards. Divers hommes d’un groupe, posés devant un bar, me sifflent, mais je les ignore, pressant ma cadence. Des pas retentissent derrière les miens, mais je ne me retourne pas, c’est ma règle numéro un : faire profil bas et ne pas me faire remarquer des autres. Pourtant j’ai l’habitude que certains huent des « sale p**e » sur mon chemin, les femmes me crachent presque au nez, les mères de famille accompagnées de leurs gosses changent de trottoir, et certaines me prennent en exemple auprès de leurs enfants pour promouvoir l’importance que les études auront sur leur avenir. Oui, je suis une prostituée. Une femme qui donne de la compagnie et pas que, à des hommes fortunés en manque de sexe. Mais je n’ai pas le choix si je veux survivre en attendant que je mette assez d’argent de côté et que je puisse me barrer de Logen, la ville dans laquelle je vis depuis toujours. On ne vient pas vivre à Logen par choix, on y vit seulement parce qu’on y est né, et rares sont ceux qui ont réussi à fuir d’ici. Comment choisir les études comme choix de vie alors qu’une seule école d’études supérieures a de la place en plein centre-ville ? Comment choisir une belle carrière quand la seule chose que nous connaissons et voyons depuis gamin est la déchéance des corps et de l’argent sale ? Comment se motiver alors que nos rigoles sont jonchées de seringues et de boulettes d’alu, que les armes circulent dans les parcs censés être un lieu sécurisé pour les mioches. Évidemment, j’ai choisi le chemin le plus sinueux, combinant études et prostitution. Mais il s’avère que c’est une combinaison gagnante pour moi. Je n’aime pas être une p**e. Ne chipotons pas avec les mots, c’est ce que je suis une fois la nuit tombée. Mais vendre mon corps et mon cul me permet de manger, et d’étudier. Et encore… Jusqu’à quand ? Je suis bourrée de dettes, je suis certaine que d’un jour à l’autre, mon proprio me foutra à la porte pour loyers impayés, et là, je vais devoir faire autrement, ne plus bosser en club, mais sur le trottoir, comme les tapins les plus désespérées en quête d’argent très vite gagné. Je serre les mâchoires, énervée de repenser à ce merdier qui m’attend probablement et respire quand j’arrive devant mon immeuble. Je jette un regard de part et d’autre, frémis lorsqu’un homme, me fixe au loin, le visage tapi dans l’ombre que lui procure sa capuche. Je m’engouffre dans l’immeuble et m’adosse à la porte, morte de trouille. Sûrement un drogué, ou un violeur qui pensait faire de moi ce que bon lui semblait. Je respire. Calme-toi, Amy. T’es chez toi et lui, il est dehors. T’es chez toi, dans cette odeur de pisse et de transpiration, dans ce couloir au sol jonché d’ordures et de merdes de chien. Je grimpe l’escalier, sursaute quand un de mes voisins hurle sur sa femme, et je soupire, laissant échapper un grognement. Ce gars boit comme un trou, pour ensuite battre sa copine comme un forgeron taperait sur son fer. Triste, tellement, mais on ne peut pas faire grand-chose puisqu’elle retourne à ses côtés après chaque hospitalisation. Je crie presque de joie lorsque mes clés apparaissent, pendues à la serrure de ma porte. — Ouf ! Je suis soulagée, sinon, j’aurais dû me démerder et je n’ai pas les moyens de faire appel à un serrurier. En rentrant chez moi, j’enlève mes chaussures à talons, les pousse du pied contre la commode avant de verrouiller derrière moi. Je dépose mon sac, et me précipite dans la salle de bain, pour me débarrasser au plus vite de l’odeur de cigare de mon dernier client. Je ne suis pas une fille à plaindre, loin de là. Il y en a des pires que moi, il y a des nanas qui se droguent et qui jettent leur fric pour se payer leurs doses. Il y en a qui ont des enfants à nourrir, des frères et sœurs à loger. Moi, je suis seule. Horriblement seule. Mon père nous a abandonnées, ma mère et moi, quand la maladie de cette dernière s’est déclarée, il y a sept ans. J’avais dix-huit ans, et mon monde s’écroulait. J’ai dû m’occuper d’elle, même quand elle perdait complètement la tête. Puis, il y a une année, elle s’est suicidée, sûrement usée par la vie que la maladie lui infligeait. J’ai dû partir de cette maison, je ne pouvais plus y vivre sereinement, je voulais oublier ces images de ma mère gisant dans son sang, je voulais oublier les souvenirs que chaque pièce comportait. Je voulais tout oublier, pour mieux repartir. Mais la vie ne m’aide pas vraiment, la situation est encore pire. J’ai vingt-cinq ans, des dettes jusqu’au cou que je n’arrive pas à éponger, j’étudie le jour en dernière année de comptabilité et enfin, je me prostitue la nuit. Quelle belle vie, n’est-ce pas ? Me plaindre ? Non, je refuse d’être une personne à plaindre ou attiser la moindre pitié. Je suis ce que je suis, et j’assumerai les erreurs qui ont fait de moi la personne que je vois dans le reflet du miroir. C’est épuisée que je m’allonge entre mes draps. Les clients sont chaque jour un peu plus exigeants : ils veulent tout, immédiatement, et n’hésitent plus à dépasser les limites que nous leur imposons. Les miennes sont pourtant claires : pas de baisers, pas de regards dans les yeux et encore moins de sodomie. Du reste, ils en font ce que bon leur semble. Ce qu’ils me prennent n’est que charnel. Je m’interdis de ressentir, même si avec certains, leur sexe dans le mien est divin. Nous pouvons imposer à notre cerveau le refus de jouir, nous enfermer dans un cocon alors que les hommes prennent possession de nos chairs, le corps se trahit, humidifiant en quantité nos parties les plus intimes, faisant dresser nos seins et frissonner notre épiderme. Mais je n’oublie pas une chose : alors que je prends ce qu’ils me donnent, rien ne se passe, ni dans mon cœur ni dans le leur ; nous b*****s. C’est tout. ∞ Un bruit sec et clair, dans la noirceur de mon appartement, me fait ouvrir les yeux. Mon cœur palpite, mon front se couvre de sueur. Ce n’est qu’un rêve, Amy, ce n’est qu’un sale rêve. Je me frotte les yeux, avant de les ouvrir lorsque le parquet craque. Une ombre, une forme se tient dans le coin de ma chambre. Je voudrais crier, mais je suis apeurée, tétanisée, statufiée. La forme penche la tête, avant de ricaner. Je hurle, me précipitant sur l’interrupteur de ma chambre. Personne. Son rire rauque et sinistre résonne encore dans ma tête, mes palpitations cardiaques sont rapides, désordonnées et mon regard fouille la pièce, empreinte à une angoisse terrible. Non, t’as dû rêver ma pauvre fille… Adossée contre la porte, je clos les paupières et repousse mes cheveux désordonnés. Merde, je dois être vraiment dans une mauvaise période pour avoir des hallucinations pareilles. L’anniversaire de la mort de ma mère vient de passer, ça doit être ça. Parce qu’elle me manque, même si la maladie, elle, n’a pas sa place dans ma peine. Sa tendresse, ses gestes doux, tout me manque, même m’occuper d’elle, même pousser sa chaise roulante, tout. Je me dis que si je pouvais revenir en arrière, ce jour-là, je n’aurais pas été en cours, et je serais restée à ses côtés. À la place, je l’ai laissée seule et elle s’est suicidée. J’ai moi-même découvert son corps, près de l’énorme vaisselier qui trônait dans notre salon, en rentrant des cours. Mais il est trop tard, je ne peux revenir en arrière. Maintenant, je suis seule. Je n’ai plus de famille et n’en aurais plus jamais. Je possède seulement deux amis, et un appart beaucoup trop pourri. Je me recouche, mais le sommeil ne vient pas tant je guette chaque ombre que renferme la pièce.
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