Chapitre II

859 Words
II Géraldine Buisson avait fait des études de droit, elle voulait devenir avocate, mais elle s’était aperçue très vite qu’elle ne pouvait défendre des assassins, c’était contraire à ses principes. Elle avait rencontré Mirta avec qui elle vivait depuis cinq ans. Cependant, à vingt-six ans, elle n’était pas encore fixée totalement sur ses tendances sexuelles, l’exemple qu’elle avait de ses parents ne la confortait ni dans un sens ni dans l’autre. Ses parents avaient vécu côte à côte depuis sa naissance, mais sans passion, rigidifiés dans une sorte d’étiquette de morale et de convenance. Son père avait quitté sa mère à la cinquantaine pour vivre… avec un homme. Quand elle avait rencontré Mirta lors d’une éclipse de lune, un courant était passé. Une association d’amateurs avait organisé pour cet événement, une séance d’observation. C’est en marchant toutes les deux, le nez en l’air, qu’elles s’étaient “télescopées” – jeu de mots qu’elles employèrent par la suite – Géraldine chutant lourdement sur le sol. Mirta était alors partie à rire de façon irrépressible, tandis qu’elle relevait l’accidentée. Remise sur pied, elle regarda sa “tamponneuse” de façon furibarde, ce qui eut pour effet d’augmenter encore le rire de l’autre. Géraldine, outrée, lui donna une claque. Le rire de Mirta cessa, mais elle avait affiché une telle moue sur son visage que ce fut Géraldine qui prit le relais en pouffant. Elles se retrouvèrent toutes les deux, un verre de champagne à la main et se confièrent dans une farandole de bulles et de magie météorologique. De ce jour, elles ne se quittèrent plus. Le métier d’avocate ne lui disant rien, elle se rappela un stage qu’elle avait effectué chez un détective privé, Childebert Lucas, un noble sans quartier de noblesse, au langage fleuri et aux vêtements excentriques, qui lui avait communiqué sa passion. Elle travailla un an auprès de lui, apprit ce qu’il fallait pour s’en sortir dans ce métier et s’abîma les yeux en études parallèles. Puis elle monta sa propre agence. Ne pouvant se payer le luxe d’embaucher, elle s’entourait régulièrement de stagiaires et elle se dit qu’avec le dernier, elle avait touché le gros lot. Conrad Turq était un étudiant d’une trentaine d’années qui cherchait encore sa voie. Il vivait chez papa maman et ce Tanguy avait tâté de petits boulots sans jamais se fixer à un patron. Il avait trouvé la maîtresse de stage jolie et charmante, totalement en phase avec sa façon de penser, quand elle lui avait dit : — Je ne pourrai jamais vous proposer un CDI. Il fuyait ce gros mot comme la peste, plutôt adepte de la flexisécurité à la mode ces derniers temps. — Topons-là ! L’affaire fut conclue. Conrad Turq serait payé par Pôle emploi, tout le monde y trouvait son compte. C’était un personnage singulier à l’aspect lunaire, semblant tout droit sorti d’un album de BD. Le cabinet de Géraldine Buisson atteignait difficilement l’équilibre, elle n’avait eu jusque-là à traiter que quelques affaires de divorces et de successions, à peine assez pour se tirer un salaire. Mirta apportait le complément, elle était pharmacienne. Désireuse malgré tout de se libérer un jour du joug financier de son amie, elle avait écouté avec attention un grand dadais aux tempes grisonnantes qui parlait avec les mains en lui expliquant avec force gestes ce qu’il attendait d’elle. — Je voudrais que vous suiviez quelqu’un… — C’est mon métier. — Toutefois, vous ne devez pas avoir souvent l’occasion de pister un assassin. Géraldine Buisson ne montra pas son intérêt piqué au vif, elle joua les indifférentes. L’autre continua ses explications : — J’ai un beau-frère, j’avais une sœur, elle est morte ou plutôt… il l’a tuée. — Vous vous êtes trompé d’adresse… Voyez la police. Le poisson allait-il s’éloigner de l’hameçon ? — Justement, j’ai contacté les flics, mais ils ne disposent que d’une main courante ; une enquête administrative des plus légères a conclu à un accident ou à un suicide. — Expliquez-vous… — Jean Landrezac… c’est mon beau-frère… affirme qu’elle est tombée dans l’escalier. En fait, il l’a poussée. Elle avait un cancer, mais je sais qu’elle ne s’est pas suicidée, elle tenait trop à la vie, et elle ne lui a pas demandé non plus de mettre fin à ses jours. Voilà ce qu’elle m’a écrit peu avant sa mort… Daniel Chicoine sortit une lettre froissée de sa poche et la tendit à Géraldine Buisson. « S’il m’arrivait quelque chose, je veux que tu cherches les causes exactes de ma mort… » À peine eut-elle lu la première phrase qu’il lui reprit brutalement le papier des mains. — Le reste est personnel et ne regarde que moi. — Avez-vous montré ce document à la police ? — Ils ont mis la photocopie dans un dossier, le dossier dans un tiroir, cela ne représente pas un indice suffisant pour ouvrir une enquête criminelle. On m’a prévenu officieusement que ma sœur était âgée et malade, en gros, qu’elle allait mourir de toute façon et que son “accident” n’avait fait que précipiter les choses. Que ça ne servait à rien de se torturer davantage. Géraldine Buisson flaira la bonne affaire ; d’une part, elle pouvait avoir l’occasion d’aider à coffrer un assassin, d’autre part, le client lui assurait “une note de frais ouverte”. C’était largement suffisant pour accepter l’offre. Elle ouvrit un grand cahier à spirale et nota les renseignements. — Mon beau-frère Jean Landrezac, le mari de ma sœur Francine, il habite Le Minio à La Vraie-Croix et il a décidé de faire le Tro Breizh. Il faut que vous le suiviez et que vous découvriez pourquoi il a eu cette dernière idée bizarre ; aurait-il des remords d’avoir tué sa femme ? Je compte sur vous. C’est ainsi que Géraldine Buisson se lança, flanqué de Conrad Turq, le stagiaire, sur sa première affaire d’importance où, elle le supputait, elle n’était pas au bout de ses surprises.
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