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D'argile, de schiste et de sang

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Dans l’Ardenne des années 30, un petit cultivateur, André, vit son métier avec passion. Il n’est cependant guère aidé par sa femme, qui souhaiterait davantage de rentrées financières et surtout, moins de contraintes. Les revers s’accumulent et finissent par l’obliger à quitter sa ferme. André va-t-il s’adapter à ce changement ? Et son épouse ? Et ses filles ? Que colportent au village ces rumeurs qui voyagent sur les ailes noires d’un corbeau ?

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D’argile, de schiste et de sang-1
Son propriétaire avait cru le cheval fourbu, lorsque, une année plus tôt, il avait commencé à boiter. C’était pourtant un animal jeune, un hongre de trois ans, Gamin des Fonzées, inscrit au Stud-book. André Roman avait engagé une grosse somme vu ses humbles moyens. Pour une fois, il avait pris sa décision seul. Contre l’avis de tous les connaisseurs et de son ami, le garde forestier Maulet, il avait proposé un montant correspondant à ce que l’animal valait pour la boucherie. D’habitude, c’était toujours sa femme, Cécile, qui tranchait, qui finissait par avoir raison souvent sans grande résistance de sa part.. À l’étonnement général et du sien, pour commencer, le marché fut conclu. Il provoqua la risée au village. Les nouvelles y sont tellement rares qu’on ne manque pas l’occasion quand une se présente. Chacun y allait de sa réflexion : « Bientôt, ce sera lui qui devra tirer le cheval ! » Lorsqu’ils voyaient passer cet équipage, les plus francs le saluaient, en lançant, ironiques : « Tu crois que cela va aller ? ». La plupart sortaient vite après son passage pour les regarder à leur aise. Même les plus vieux et les très vieilles – car les femmes avaient déjà cette habitude de survivre de longues années à leur mari – se levaient et écartaient les rideaux dès que le singulier cortège passait à leur hauteur. On raconte même que la vieille Cyprienne, toute percluse, s’était relevée de son fauteuil pour la première fois depuis trois ans. À de rares exceptions dont l’abbé Culot et Maulet, tous se moquaient de lui. Il faut admettre qu’il était difficile d’échapper à la vision de ce spectacle : deux fois par jour, l’équipage passait par la rue centrale du village. Le bruit des sabots du cheval boiteux annonçait le show. « Taco tac, taco tac, taco tac. » Alors qu’on s’attendait à : « Taco, taco, taco. » Certains en arrivèrent à parier sur l’issue de cette revue biquotidienne. Mais pour une fois, André ne semblait prêter nulle attention aux quolibets. Matin et soir, il descendait les deux kilomètres qui séparaient Trinage de Dréneux dans la vallée où coulait la rivière. Ensuite, il remontait avec vaillance, accompagné certaines fois par Madeleine, sa plus jeune fille. Proche de son père, elle adorait s’occuper des animaux de la ferme. Tout le contraire d’Alice, sa grande sœur, de quatre ans son aînée. Le père et sa cadette s’étaient d’un coup attachés au cheval et celui-ci leur rendait bien leur affection. André rêvait depuis toujours d’en posséder un à lui, comme autrefois son grand-père. Il avait peu connu son père, broyé dans le mécanisme d’un moulin. Son grand-père avait épaulé de son mieux son petit-fils, lui léguant quelques fragments de compétences, de rares conseils. Chez les Ardennais, l’économie de la parole n’a jamais été un frein à la transmission, que du contraire. N’y a-t-il pas d’autres modes d’échange plus vrais parmi eux que le verbal, le verbiage parfois ? Trop tôt, le curé et les acolytes avaient conduit l’aïeul rejoindre son fils dans le schiste du petit cimetière de Trinage. André se souvient, la bise de mars soufflait glaciale, lorsque l’aîné des servants qui précédait le cortège, avait poussé la barrière qui avait grincé. Cette complainte était allée se mêler à celle du vent dans les grands thuyas. Il était triste à cet instant. Mais il avait pu bénéficier de conseils précieux et même d’un secret qui, il l’espérait, allait lui permettre de guérir la fourbure du cheval : l’eau de la Tanaisie. Deux semaines durant, malgré la pluie, ils firent front, perdant des heures. L’homme et l’animal unis dans le même combat, portés par une foi naïve, mais forte, apprirent à se connaître, à s’apprécier – on n’use pas facilement du mot aimer au pays –. La vérité commande de reconnaître que deux personnes encore, au village, hormis ses proches, se montraient très gentilles envers André. Julie et sa maman ne manquaient jamais de les encourager lorsqu’ils passaient devant leur petite maison. Des gens pauvres, simplement gentils de nature, pas tout à fait taillés pour la rudesse du terroir. Au cours d’un de ses déplacements matinaux à la rivière, André avait croisé son ami, le garde. Il avait saisi un lièvre à un braconnier et il le portait au curé, ou plutôt à l’abbé Culot, car celui-ci n’avait ni le titre ni la rétribution d’un curé. Maulet tenait en grande estime ce prêtre qui, il l’avait appris, ne mangeait pas tous les jours à sa faim. Ce dernier, lui aussi, s’attristait devant le combat d’André qu’il devinait perdu d’avance. C’était un homme pieux, vrai. Différent de ses confrères qui, eux, accomplissaient ce que l’Eglise leur avait enseigné, c’est-à-dire leur travail, leur apostolat devrait-on dire pour ne pas choquer. Les messes, les sacrements, l’enseignement aux futurs mariés, aux communiants. Et surtout l’adoration, tour à tour dans chaque paroisse. Elle se terminait toujours par un banquet royalement arrosé par des grands crus de bordeaux, par des bourgognes millésimés. Graudelet, le médecin du coin, connaissait leurs travers et le remède pour soulager leurs excès d’acide urique. Une jolie fleur portant un nom tout aussi joli : le colchique. Plante redoutée à la fin de l’été par les fermiers, capable de tuer un cheval. À dose adéquate, le meilleur traitement contre les crises de goutte. L’abbé Culot, lui, était miséricorde, humilité, charité. Égaré dans ce monde dur de dure Ardenne, attentif aux plus faibles, aux plus vulnérables, il œuvrait dans une indifférence quasi totale. La majorité des habitants lui préférait les curés plus en vue. Mais l’homme n’éprouvait ni amertume ni impatience devant le peu de considération que lui témoignaient la plupart de ses paroissiens. André avec son cheval, l’avait croisé ce même soir à la sortie de Trinage, sur son vélomoteur Saroléa asthmatique, le seul luxe qu’il se permettait afin de gagner du temps. Les deux hommes s’étaient salués. Une douzaine de minutes plus tard, c’était au tour de la maman de Julie de lui faire signe. Elle était occupée à dépiauter un lièvre pendu par les pattes arrière à un fil à linge, probablement celui apporté par l’abbé. Le scepticisme commença à s’installer dans l’esprit d’une frange des villageois, lorsque, vers le dixième jour, ils perçurent un changement dans le rythme des pas du cheval. Ils faisaient à présent « taco taco , taco taco et plus taco tac, taco tac. » Quatre jours plus tard, le doute n’était plus permis : le cheval était guéri. André et Madeleine suivaient quasi au pas de course dans une joyeuse musique de grelots scandée au rythme régulier des « taco, taco, taco, taco. » Ils riaient du plaisir partagé avec l’animal. Le soleil finit par triompher de la pluie. Il était temps car déjà le mois de mai touchait à sa fin. « Année de foin, année de rien », maugréait André Roman depuis quelques jours ! Et de fait, l’herbe avait poussé, épaisse, haute. Les chevreuils n’éprouvaient aucune peine à y cacher leurs petits. Lui, il redoutait l’arrivée des orages qui risquaient à tout moment de coucher sur le sol ce fourrage dru. Depuis huit jours, il aiguisait avec minutie les lames de sa faucheuse. Sa femme, Cécile, savait – et cela la désolait – que ce n’était ni le moment de le contrarier, ni de trop lui causer. Elle était originaire du terroir et encore bien jolie pour ses quarante ans. Elle lui avait donné deux filles que tout le monde, malgré les clans et les dissensions, s’accordait à trouver ravissantes : Alice, dix-huit ans et Madeleine de quatre années sa cadette. André injectait avec générosité, du lubrifiant dans tous les rouages de la machine. Il prenait plaisir à s’imaginer cette graisse jaunâtre se diffusant dans les pignons d’acier pour les aider à chanter, à chanter juste, à ronronner. Il fallait avoir l’oreille attentive. La moindre fausse note, il en était conscient, était annonciatrice de la panne, de la casse d’une pièce et c’était toute la saison qui risquait de s’en trouver menacée. Ils étaient prêts, tous les trois, l’homme, la machine et le cheval. La pluie printanière avait rassasié les plus petits ruisseaux où flottaient d’énormes grappes d’œufs de grenouilles et de crapauds. La terre d’Ardenne regorgeait d’eau et, le soir venu, des nuages flottaient au-dessus des vallons repus. Le lendemain serait enfin le bon jour, pensait André. Couché sur le côté gauche, à cause de son épaule droite qui le faisait souffrir, il ne trouvait pas le sommeil. Il sentait sans y faire trop attention, tout contre l’arrière de son dos, le corps relâché de sa femme dont la poitrine montait et descendait en cadence au gré de sa respiration. D’habitude, il s’endormait avant elle, mais pas ce soir-là. Il repassait dans sa tête tous les préparatifs pour le lendemain. Il revoyait les couteaux argentés de sa faucheuse dont il aimait le cliquetis. Il imaginait déjà le mouvement des gerbes qui s’inclinaient, vaincues. Les filles dormaient dans la chambre à côté. La maison somnolait, elle aussi. Elle l’avait vu naître. Il connaissait par cœur les bruits rassurants de cette demeure familiale Sa femme et lui avaient dû emprunter à la banque pour payer la part à ses deux sœurs à la mort des grands-parents. Il savait que réussir la fenaison était le premier gage d’une année prospère. Il était conscient de ne pas avoir droit à une seconde chance. Il lui fallait prendre les bonnes décisions, au bon moment. Lassé de ne pas trouver le sommeil, il quitta le lit. – Où vas-tu ?questionna sa femme à moitié endormie. – Réparer le râteau. Dors, souffla-t-il à voix basse pour ne pas réveiller les filles. Il s’aperçut en passant devant leur chambre, que la plus jeune, Madeleine, était réveillée. Il était deux heures du matin : André se rappela qu’il n’avait pas réparé les trois dents de son râteau en coudrier, cassées le printemps dernier. Son insomnie le tracassait : les heures de sommeil s’annonçaient rares pour les prochaines nuits. Le cheval hennit en entendant son maître arriver près de l’écurie. De sa main, André lui tapota la croupe, puis en lui flattant l’encolure, il rencontra cette tresse à la crinière apparue depuis peu. Les grands travaux débutèrent le lendemain comme prévu. Le tandem composé du cheval et de son maître se mit en route vers 9h30. En attendant que le soleil ait épongé la rosée de la nuit et une partie de l’eau accumulée les derniers jours, André dégagea à la faux, les pourtours de la grande pâture. Son mouvement régulier entraînait son corps dans un demi-cercle chaque fois renouvelé. Toutes les dix minutes environ, se renouvelait le rituel de l’aiguisement au moyen d’une pierre qu’il sortait du coffin, petit récipient en bois contenant de l’eau mélangée à du vinaigre. Le métal criait sa souffrance. Notre homme poursuivait ensuite sa chorégraphie. Ce travail terminé, il veilla à ranger son outil. À l’instar de tous les cultivateurs, il lui vouait un culte mêlé de respect et de crainte. Inquiétude atavique liée aux dangers présentés par les ustensiles qui servent à trancher et dont l’extrémité pointue a la réputation d’attirer la foudre. Alors seulement, débuta le fauchage. Des heures durant, à pas réguliers, les gerbes tombèrent sous les dents impitoyables. Le cheval tournait à gauche : « hare », s’arrêtait : « hoô », tournait à droite : « pie ». Assis sur le siège, le charron, coiffé d’un chapeau de paille, guidait la manœuvre, intervenait ici avec son râteau pour débloquer les gerbes trop lourdes, parfois relevant la barre faucheuse afin d’éviter une pierre qui dépassait. « Hoô, tout doux.» Et puis, « Haie » pour faire redémarrer. Et l’orchestre de donner sa pleine mesure, l’homme à la baguette, le cheval et la machine les exécutants. « Hoô » demanda André. Il mit pied à terre, jetant un coup d’œil circulaire. Il repéra une b***e hérissée qui avait échappé à son attention. Tel le coiffeur de la ville qui avait coupé ses cheveux le jour de son mariage, il procéda à quelques dernières retouches. Enfin, il s’arrêta et contempla l’ouvrage. Il se frotta les mains puis se dirigea vers le cheval. Il sortit de sa poche une blague à tabac et y puisa une pincée généreuse que le cheval s’empressa de mâchonner. Il y avait pris goût depuis le début de leur collaboration. Ensuite, André roula une cigarette et l’alluma. Tandis qu’il s’acharnait aux travaux de la fenaison, sa femme, Cécile, rendait sa visite hebdomadaire à sa mère. La vieille dame, bien qu’handicapée, avait gardé toute sa lucidité et vivait chez sa plus jeune fille. – Vous avez commencé à faucher, s’enquit-elle ? Cécile lui répondit par l’affirmative, sans grand enthousiasme. – Tu n’as pas l’air dans ton assiette, Cécile. Cette dernière détourna la conversation : – Tu crois qu’un cheval, ça peut se faire tout seul, des tresses à la crinière ? – En voilà une question, tu te moques de moi ou quoi ? Cécile, debout, ne répondit pas mais fit signe non de la tête, le regard lointain. – C’est ton mari qui… La fille coupa la parole à sa maman : – Non, pas seulement. Un poids sur le cœur, ça passera.

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