Chapitre 1
« Un homme sans traditions n’est plus un homme. »
Les Al Dhurani sont une ethnie émiratie ancienne et influente, originaire de Dubaï. Connus pour leur richesse, leur pouvoir et leur attachement profond aux coutumes, les Al Dhurani suivent un système rigoureux pour le choix des épouses.
Chez les Al Dhurani, on n’épouse pas nécessairement la femme qu’on aime, mais celle qui est jugée digne par la famille. Le mariage n’est pas seulement une affaire de cœur, c’est un acte de loyauté, d’honneur et de stratégie familiale.
Pour une femme Al Dhurani, entrer en mariage est une fierté. C’est la preuve que son éducation, sa tenue et son comportement ont été à la hauteur des attentes de la lignée. Une femme non mariée, passé un certain âge, est souvent perçue comme ayant "manqué son destin".
Le choix de la fiancée se fait collectivement. Une fois qu’un homme est considéré prêt financièrement, moralement et socialement. Ce sont les femmes de la famille (mère, sœurs, tantes) qui activent les rouages de la tradition. Elles sélectionnent quatre prétendantes, soigneusement choisies pour leur lignée, leur réputation, leur beauté et leur intelligence.
Une fois les noms validés, la famille de Mourad envoie un messager souvent un oncle ou un sage auprès des familles des quatre jeunes femmes, avec des présents symboliques. Ces présents sont redistribués dans chaque clan, comme un signe de respect et d’intention sérieuse.
Vient ensuite la phase de présentation : le père du fiancé (ou son représentant) présente officiellement son fils aux familles des prétendantes. C’est à ce moment que les regards, les silences et les gestes prennent toute leur importance. Les vraies négociations commencent.
Comme l’exige la coutume, le fiancé devra emmener ses quatre prétendantes en pré-lune de miel, une forme d’observation partagée, afin de découvrir les cœurs avant de choisir. Si la famille est fortunée, ce séjour doit être luxueux.
Dans le cas de Mourad Yacine Al Fayed, héritier d’un empire immobilier, ce voyage aura lieu au Qatar, symbole de prestige et de raffinement.
Il sera accompagné par l’une de ses sœurs ou cousines, chargée d’observer, évaluer et rapporter fidèlement aux matriarches de la famille.
À l’issue de ce séjour, après consultations entre les femmes et les anciens, l’élue sera désignée. Son identité restera secrète jusqu’à la cérémonie de mariage et la lune de miel. Ce n’est qu’après cela qu’elle sera officiellement révélée comme l’épouse Al Dhurani.
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Nous sommes en 2024.
Mourad Yacine Al Fayed, 32 ans, vit à Dubaï, dans la majestueuse villa familiale du quartier Al Barari, entouré de sa mère Mara et de ses quatre sœurs.
Fils unique, il a grandi sous le regard exigeant de son père, feu Yacine Al Fayed, un homme d’affaires visionnaire, décédé en 2022. Patriarche redouté et fondateur de l’empire Al Fayed Capital Group, il avait bâti sa fortune dans l’immobilier, les énergies et les investissements internationaux.
Aujourd’hui, Mourad lui a succédé à la tête du groupe. Il règne en stratège, discret mais redouté, dans le monde fermé de la haute finance du Golfe. Ambitieux, méthodique, impénétrable, il est respecté autant qu’il intimide. L’amour ? Il y croit peu. Pour lui, ce sont la loyauté, l’honneur du nom et les obligations familiales qui priment.
C’est donc sans résistance qu’il accepte la décision des anciens et des femmes de sa lignée : il est temps pour lui de choisir une épouse, parmi elles, une seule sera l'élue.
Ce jour-là avait quelque chose de particulier.
C'était la dernière réunion avant que Mourad Yacine Al Fayed ne rencontre enfin ses prétendantes. Il le savait : ce moment marquait un tournant. Mais plus que l'impatience, c'était le doute qui l'habitait.
La tradition des Al Dhurani, issue de leur village ancestral de Jabal Dhurani, lui paraissait ancrée dans un autre temps.
Dans une société où hommes et femmes choisissent librement leur partenaire, cette coutume semblait décalée. Car ici, ce n'était pas un choix ordinaire. L'homme devait sélectionner, parmi quatre jeunes femmes, celle qui deviendrait son épouse. Et encore... Ce choix ne reposait pas uniquement sur son cœur. Ce sont les faits, les gestes, les attitudes de ces prétendantes observés, notés, jugés qui guideraient le verdict.
Mourad n'était pas enchanté par la perspective. Il ne savait pas si ces jeunes femmes allaient vraiment lui plaire. Il craignait d'avoir affaire à des personnalités superficielles, des filles gâtées, trop conscientes de leur valeur apparente et il détestait cela.
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Ce samedi, vers onze heures du matin, il était déjà prêt. Tiré à quatre épingles, comme toujours.
Ses oncles, venus spécialement de Jabal Dhurani pour l'occasion, étaient arrivés depuis peu. Il les rejoignit dans le grand salon familial. Sa mère, Mara Al Dhurani, ses sœurs et ses tantes y étaient déjà installées, prêtes pour cette réunion aux allures solennelles.
En entrant dans le salon, Mourad leva la main en guise de salutation respectueuse. Ses oncles, debout à son arrivée, lui rendirent ce geste avec solennité. Il les rejoignit sur les grands canapés du majlis familial, où étaient déjà installées sa mère Mara, ses sœurs et ses tantes, toutes vêtues avec élégance pour l'occasion.
Ce fut son oncle Zakarya, frère cadet de son défunt père Yacine, qui prit la parole en premier. Ils n'étaient que deux garçons dans la fratrie, et depuis la disparition de Yacine, Zakarya avait naturellement pris le relais du rôle paternel.
- Bonjour à tous, dit-il avec gravité. Nous sommes réunis aujourd'hui pour la dernière réunion avant que Mourad ne rencontre ses prétendantes. Comme vous le savez, notre neveu est désormais un homme, et il est temps pour lui de fonder sa famille. Comme le veut la tradition de Jabal Dhurani, il doit suivre le rituel ancestral qui l'aidera à choisir l'élue. Je laisse maintenant la parole à l'aîné de notre lignée.
Le doyen des Al Dhurani, un homme à la barbe blanche et au port digne, hocha la tête avec fierté.
- Merci Zakarya. Tu as tout dit. Mourad est un homme droit, fier de ses origines. Dans notre tribu, certains jeunes ont tourné le dos à la tradition, aveuglés par l'argent ou bercés par l'idée de modernité. Mais Mourad, digne fils de Yacine Al Fayed, a choisi d'honorer les coutumes de son village, malgré la fortune qu'il incarne. Tu fais notre fierté, mon garçon.
Un tonnerre d'applaudissements éclata parmi les femmes. Les tantes se levèrent, entonnant des chants traditionnels tandis qu'elles exécutaient une danse joyeuse. L'émotion gagna Mourad, malgré son trouble intérieur.
- Demain, poursuivit Zakarya une fois le silence revenu, notre neveu rencontrera ses prétendantes. Une grande fête aura lieu à cette occasion.
La journée se poursuivit dans une ambiance chaleureuse. Les échanges furent riches. Mourad en apprit davantage sur certains détails de la tradition qu'il connaissait mal.
En fin d'après-midi, la conversation bascula sur les aspects pratiques : il devait régler les billets d'avion des quatre prétendantes, de sa sœur Dior qui l'accompagnerait et les siens. Car selon les coutumes des Al Dhurani, le fiancé partait en pré-lune de miel avec les prétendantes, accompagné d'une de ses sœurs. C'est elle qui, en observatrice neutre, rapporterait les faits et gestes de chacune aux sages. Et ce témoignage pèserait dans le choix final, décidé d'un commun accord.
En soirée, une fois rentré chez lui, Mourad apprit que ses oncles s'étaient installés dans l'une des résidences qu'il avait spécialement préparées pour leur séjour. À la villa principale, il ne restait que sa mère Mara, sa tante Salka la sœur jumelle de Mara, ainsi que ses sœurs Dior, Soukayna et Saran.
Dès qu'il entre dans le salon, ses sœurs se mettent à crier en chœur. Elles savent pertinemment que cette histoire de mariage arrangé ne l'enchante pas, et elles en profitent pour le taquiner.
- Le futur marié ! lance Soukayna.
Mourad s'installe sur le canapé, le visage fermé.
- Es-tu prêt, mon fils ? C'est demain que tu vas rencontrer tes prétendantes, lui demande sa mère, Mara Al Dhurani, avec douceur.
Il ne répond pas. Cette affaire lui trotte dans la tête depuis des semaines.
- Il doit être stressé, c'est normal, ajoute Salka, la sœur jumelle de Mara.
- Ne t'en fais pas, mon frère, elles sont toutes très belles, dit Soukayna en lui lançant un clin d'œil complice.
Soukayna est la deuxieme fille de Mara, elle a 29 ans, et mariée. Elle est vive, spontanée, et toujours prête à piquer une blague au bon moment.
Quant à l'aînée, c'est Oulaya, 30 ans, mère de deux enfants, elle restait silencieuse, observant la scène avec son calme habituel.
A suivre