La petite morsure [COMPLET]

- On ne peut pas laisser les choses ainsi ! J’veux dire... On doit les séparer ! La voix n’est qu’un murmure, brulant d’inquiétudes et de doutes qui semblent peser une tonne ! Elle couvre aussi une forme de fureur ignoble, donnant un gout âcre sur la langue, largement mélangé avec le désarroi d’une mère qui a échoué à protéger son petit. Elle sait que tout est réel autour d’elle, cependant elle ne l’admet pas ! La fatalité si folle dans laquelle se retrouve son unique enfant ne peut être la réalité ! - Tu ne peux pas faire ça MJ, ils sont liés ! - Mais enfin, regarde-les ! Ce sont des enfants ! De tous petits enfants ! - Hé bien ce sont de tout petits enfants liés si tu préfères. Mais... On ne peut pas... La propriétaire de la première voix reste consciente que sa colère parle pour elle, or peu importe ce fait et son désir de faire au mieux, la rage bouillonne au creux de ses tripes ! Insidieusement, remontant le long de son oesophage pour claquer dans sa bouche qu’elle tente de garder fermer pour ne pas regretter des mots douloureux. Elle se sent impuissante devant cette injustice, une vérité qu’elle ne peut contourner contre laquelle elle brule sincèrement de se battre. Mais lorsqu’elle voit du coin de l’oeil l’une des petites ombres endormies sur le canapé se retourner dans son sommeil, la pression redescend d’un coup. La vie vient de lui jouer un drôle de tour, c’est vrai, mais elle doit impérativement s’apaiser quand bien même sa respiration lui semble compliquée. Il est de son devoir de retrouver son pied et de ne plus se plier sous la tempête. C’est parce qu’elle est mère que ce sentiment lui calcine la poitrine, cependant, c’est pour cette même raison qu’elle doit recouvrer son calme. Elle fixe alors l’homme qui lui a répondu d’un oeil torve, n’arrivant pas à faire mieux que de se taire et lui accorder raison sans un mot. Après tout, il n’est pas n’importe qui, car si elle se soucie de l’enfant parce qu’elle est sa mère, lui est justement l’autre pilier, son père. Il est tout autant engloutie qu’elle par l’immuable situation, malmenant l’ongle de son pouce sans relâche dans un geste inconscient. Quand il perçoit sur lui le regard de sa femme, il soupire et offre un sourire pauvre de joie, ouvrant malgré tout ses bras pour l’y inviter. Il le sent facilement à ses phéromones, elle a besoin du réconfort de son Alpha. Elle est une Oméga au caractère farouche et fier et ne réclame que peu souvent le soutien de son lié, et les choses fonctionnent parfaitement pour eux de la sorte. Chaque paire est unique, c’est une vérité universelle et MJ et Adrien ne font pas exception. Ils se sont marqués après plus de quinze ans de relation, le temps qu’il a fallu pour leurs phéromones pour enfin se lier ensemble. Ils ont traversé de nombreux moments de doute, mais c’est à présent de l’histoire ancienne, surtout depuis la naissance d’Andréa, leur, tout aussi fier que sa mère, petit garçon. C’est la consécration de leur couple, un parfait mélange des deux et ils lui portent un amour profond comme tout parent devrait le faire, malgré les innombrables colères de l’enfant. Leur famille est heureuse et pourtant c’est bel et bien dans le salon de leur si parfaite maison achetée il y a six ans que l’horreur s’est produite... - On ne sait même pas qui est Oméga ou Alpha... - Est-ce que c’est si important maintenant ? Et ça ne l’est pas ! Mais les mots dérisoires semblent bien moins lourds que le silence des deux autres adultes présent dans la cuisine ouverte. - Mais enfin ils sont simplement copains, c’est tout de même impossible que le lien se soit forgé si jeune ! - MJ... Je crois que nous devons nous résoudre à accepter ceci, le plus tôt sera le mieux ou ce sont les enfants qui en souffriront ! La voix d’Adrien n’est qu’un murmure amer, mais rempli de sagesse et l’autre femme le regarde, la gorge noyée de ses émotions. Elle se mouche une fois de plus, déglutissant fortement tout en luttant contre la sensation de froid intense qui la cloue sur place. Elle se bat aussi contre la terrible idée d’enfermer son bébé dans ses bras et fuir loin de tout ça. De partir là où cette comédie grotesque n’est même pas une possibilité, à peine un rêve étrange et franchement fantasque. Mais elle ne peut pas, elle n’est pas idiote, mais quand bien même elle scrute dans toutes les directions, elle ne voit aucune solution ; son petit Mael venait de se lier à son meilleur ami alors qu’ils n’avaient tous deux que cinq ans... Elle repense vaguement à la vitesse ou ses propres phéromones se sont liées à celle de son Alpha, à peine huit mois pour que leurs glandes se réclament lourdement. Elle venait juste d’obtenir un poste de secrétaire dans la boite ou Paul travaillait et dès le premier regard, ils se sont intéressés. Il est un Alpha parfait pour elle, si fleur bleue et pétillant de vie ! Lui aussi coche toutes les cases, le pantouflard par excellence qui aime si fort s’endormir avec sa destinée dans les bras. Ils ont brulé beaucoup d’étapes selon certains, mais tout était si naturel pour eux. Alors aussi vite, ils se sont abordés, aimés, installés ensemble et marqués, le tout en à peine une année ! Paul loue l’appartement dans lequel ils vivent encore aujourd’hui depuis plus de dix ans. C’est un petit nid, certes, mais jusqu’ici ils y ont étés heureux d’y fonder leur petite famille. Cependant ils ont plein de projets en tête et la nouvelle mutation de l’Alpha leur en donne l’opportunité, à leurs tours ils sont sur le point de devenir propriétaire ! C’est cette excellente nouvelle qui a précipité ce cauchemar ! C’est justement au moment où ils ont expliqué aux deux petits garçons qu’ils allaient être séparés, que tout a basculé. - Marianne ? L’oméga sursaute, perdue dans ses idées, elle n’a plus suivie. Elle lève les yeux vers son mari, laissant ce dernier poser un simple b****r empreint de tendresse sur sa tempe. C’est un geste si doux et parfait et elle ne semble plus ressentir l’abominable frisson qui lui glaçait les bras. Elle sait ! Son Alpha répond à son besoin, c’est ainsi que ça marche. Elle hume alors ce parfum particulier qui les unit magnifiquement, rassurée de ne sentir aucune différence entre son odeur ou celle de son mari ! Ils se sont marqués, c’est donc ainsi ; la glande mordue a modifié sa recette d’un coup de croc et on ne peut plus les dissocier. C’est pareil pour MJ et Adrien, et c’est justement comme ça que les quatre adultes ont tout de suite compris ! Parce qu’ils sont tous capables de le sentir, ce lien tout frais et qui aurait pu être magnifique en d’autre circonstance. Les deux familles se connaissent depuis justement cinq ans et ont noué une si belle amitié toutes ces années ! Ce n’était pas évident pourtant quand, à leurs rencontres à la maternité, les deux femmes se sont retrouvées dans la même chambre, faute de place. MJ à accoucher un jour avant l’arrivée de Marianne. Une naissance compliquée en tout point pour cette femme au caractère fort qui ne pouvait que beugler à travers tout le service qu’elle voulait qu’on lui sorte l’intrus du ventre. Mais rien à faire, son bébé ne semblait pas décidé a respiré l’air frais et la délivrance n’est jamais venu, finissant en césarienne d’urgence ! Mais au moins, Andréa est née, fier et fort petit homme possédant deux jolies glandes phéromonales. Et lendemain, dans un service surbooké, on avait installé Marianne dont le travail commençait à peine... Au fil des heures d’attente, MJ s’était armée de patience pour rassurée sa camarade de chambrée qui craignait les heures à venir. Mais heureusement pour elle, tout s’est bien passé et finalement Mael est né, lui aussi porteur de glandes. Elles étaient si différentes, complètement sans doute, mais elles avaient une chose en commun : c’était leur premier enfant. Elles se sont dès lors découvertes associées. Depuis lors, elles se sont retrouvées lors de balades dans le parc du quartier pour finalement finir par s’inviter régulièrement aux repas. C’en est de telle qu’aujourd’hui, elles se composent comme des soeurs, comptant naturellement l’une sur l’autre pour les choses du quotidien. Un imprévue au boulot qui retarde MJ à la sortie d’école, sachant que Marianne récupérera Andréa pour elle d’un simple texto. Les Alpha sont pareils, nouant à travers l’amitié de leurs épouses, des routines de maris, se retrouvant avec une bière et un match de rugby dès qu’ils en ont l’occasion... Ça aurait été une excellente nouvelle si, alors qu’ils auraient été grands, leurs deux enfants leur avaient avoué être amoureux ! Leur odeur à présent nouée ne leur aurait pas donné la nausée, craignant si fort le message qui s’y définit. Ils auraient étés heureux de liés leurs familles de la sorte, impatient sans doute de voir jusqu’où leur idylle les aurait menés. Mais à présent tout s’est écroulé, parce que quoiqu’ils fassent, ils ne pourront défaire le marquage ! Ils seront obligés de se rendre des comptes jusqu’à la vie de leurs vies, qu’importe la relation qu’ils auront finalement décidé d’avoir et pire, ils n’auront pas la possibilité de se lier avec la personne qu’ils aimeront... Ils peuvent évidemment très bien tomber amoureux l’un de l’autre, mais les adultes ne sont pas suffisamment crédules pour croire à cette utopie, il faut se rendre à l’évidence.