Tout est perdu

1160 Words
Tout est perduPour Edwina, ce confinement forcé devenant vite insupportable, elle s’occupa en explorant l’armement. Elle finit par choisir un fusil à sa convenance. La situation s’étant considérablement dégradée après deux jours de lutte sanglante, celle-ci se révélait désespérée au terme du troisième. Il ne restait qu’une dizaine de soldats s’évertuant à éteindre les débuts d’incendie allumés par des flèches enflammées, tout en maintenant un tir de moins en moins offensif, faute de combattants. Demain serait la fin. À la nuit tombée, la jeune femme, Sharon et Leslie sortirent de l’entrepôt, comme chaque soir. Cette dernière, impressionnée par le sang, fila en enjambant les cadavres, sans trop regarder, à la recherche d’Andy, qui, Dieu merci, était indemne. Edwina et sa mère firent de même, heureuses de retrouver Alvin et le général Douglas sains et saufs avec d’autres hommes. On n’osa pas parler du lendemain, du moins pas tout de suite. Le plus urgent momentanément, était de secourir les blessés, une hécatombe. Sharon, secondée d’Edwina, se mit au travail, ce qui leur évitait de penser. Les deux nuits précédentes, elles avaient dispensé leurs soins, essayant d’apporter un peu de soulagement à ces pauvres êtres souffrant le martyre, ainsi qu’aux mourants en leur adressant des paroles réconfortantes. Mais cette nuit, il y en avait vraiment trop. Les b****s, la charpie, les différentes médecines et produits médicaux indispensables furent épuisés en peu de temps, et les deux femmes durent abandonner les malheureux à leur horrible sort. Sharon retourna au dépôt consoler Suzy qui ne voulait plus mettre le nez dehors, trop effrayée par les morts, le sang. Elle refusait de manger et sombrait entre chaque crise de larmes dans un état d’hébétude préoccupant. Une haine profonde commençait à naître pour Edwina, cette Edwina qu’elle aimait si peu déjà, et qui les avait précipitées dans ce guêpier inextricable. La jeune femme courut rejoindre son époux. Elle savait que leurs vies ne tenaient plus qu’à un fil, dans quelques heures tout serait terminé. Elle se jeta dans ses bras en pleurs. Enfin, après un long silence douloureux, Alvin lui reprocha tout bas, d’une voix émue : –Quelle folie d’être venue ici, chérie, avec ce péril latent. Tu n’aurais pas dû, mon amour, il ne fallait pas. –J’avais tellement envie de te voir ainsi que mon père, et la déception a été si grande lorsque le Caporal Vanders nous a appris que vous ne pourriez pas vous rendre à Casper. Je n’ai pas pu résister. Et puis personne ne croyait que cela finirait de cette façon, pas même le caporal qui, ce jour-là s’est montré plutôt confiant face à notre victoire. C’est invraisemblable. Alvin la serra plus fort contre lui. Un affreux pressentiment le tourmentait. Si Edwina n’était pas tuée par les sauvages, ce serait la captivité avec son cortège de souffrances inévitables. Il ne put s’empêcher de lui en faire part : –Mon amour, fit-il, parvenant difficilement à affermir sa voix, ce que je vais te confier est terrible, mais… il hésita, puis reprit, il vaudrait mieux que tu sois tuée demain, tu sais, parce que s’ils t’emmènent avec eux, tu ne survivras pas à la vie que tu mèneras dans leur camp, tu seras une esclave. C’est le sort le plus désastreux qui soit. Ta fierté, ta dignité te pousseront à ne pas te soumettre, je te connais et c’est tout à ton honneur, mais que t’arrivera-t-il si tu te révoltes ? Il n’y a aucune douceur dans leurs mœurs et leur existence est des plus rudes. Je n’ose envisager un tel avenir pour toi. Et ta mère, Leslie, Suzy, que deviendront-elles ? Elles sont bien moins endurantes que toi, elles ne supporteront même pas le voyage. As-tu vu comme ta petite sœur est traumatisée, ils ne s’encombreront pas d’elle. –Oh, tais-toi, tais-toi ! cria-t-elle en sanglotant, je ne songe qu’à cela. C’est pour elles que j’ai peur et si je n’en dis rien le remords me ronge. Mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. C’est trop tard. –Je t’aime ma chérie, et la crainte que l’on te fasse du mal me torture constamment. Ils s’embrassèrent longuement, puis s’installèrent dans un recoin de la cour pour y passer le reste de la nuit, enlacés, déchirés, écoutant geindre les blessés, râler les agonisants… L’aube blanchit, effaçant l’obscurité, apportant la mort. Edwina regarda amoureusement son mari, blond comme elle, des yeux bleu-gris, il était si séduisant, si jeune. Être séparée de lui, lui parut tellement intolérable qu’elle espéra de tout son cœur qu’ils meurent ensemble. En se quittant, ils pleuraient tous les deux. Ensuite, elle alla faire ses adieux à son père qui l’étreignit fortement un long moment. Le perdre, perdre son époux, les personnes qu’elle chérissait au-delà de tout, qui faisaient sa joie de vivre. Non, cela ne pouvait se passer. Le cœur détruit, elle regagna l’entrepôt, le laissant avec Sharon et Leslie. Suzy vint à elle. Edwina la câlina tendrement, cachant ses larmes dans les boucles châtain clair de sa petite sœur. La porte s’ouvrit, le général entra, son épouse et Leslie le suivaient. Il embrassa l’enfant, mais trop ému, ressortit très vite… L’espace d’une demi-heure à peine s’était écoulé depuis que le général était parti, quand brusquement le cauchemar recommença. Les cris des sauvages, le bruit de la fusillade. Mais celle-ci n’était plus qu’une illusion du côté des Blancs vu le peu de soldats qui ripostaient. Edwina était à son poste d’observation près de la petite fenêtre, fusil en mains, s’apprêtant à faire feu sur les premiers Peaux-Rouges qui feraient irruption. Combien y en avait-il ? Nul ne savait, peut-être beaucoup encore. Dès le début du conflit, il était apparu qu’à l’importance de leur effectif, les Cheyennes avaient eu recours à une autre tribu. Accroupie derrière des caisses d’armes, Sharon serrait Suzy et Leslie dans ses bras en regardant son aînée d’un air mauvais. Elle dit d’un ton âpre : –Tu comptes les tuer tous ? –Tous, non, malheureusement, mais pas mal, j’espère. –Tu crois que cela va les adoucir lorsqu’ils vont nous tomber dessus ? –Et que veux-tu que je fasse, répondit Edwina, que je tire ou non, leur réaction sera la même, ou ils nous tueront ou ce sera la captivité, on n’aura pas le choix, alors je vais nous défendre jusqu’à ce qu’ils nous trouvent. –Pourquoi ne pas essayer de parlementer, Fils d’Aigle comprend et parle assez bien notre langue. –Tu plaisantes maman, il ne nous laissera pas placer un mot dans sa rage de tout anéantir sur son passage. Edwina acheva sa phrase, la voix tremblante de sanglots contenus. Sharon ricana, et poursuivit, amère : –Il est bien temps de t’émouvoir, Edwina. C’est avant qu’il fallait réfléchir aux conséquences de notre défaite. Je voudrais que tes sœurs et moi nous mourions tout à l’heure, c’est ce qu’il peut nous arriver de mieux, mais pas pour toi. Toi tu mérites de souffrir pour cette folie dans laquelle tu nous as entraînées. Leslie est faible et ton idée lui est montée à la tête. On a suivi ton entêtement inconsidéré et nous allons le payer. Que ne t’ai-je fait enfermer à double tour dans ta chambre comme quand tu étais enfant. Je te déteste fille maudite. Pourvu qu’ils t’épargnent, qu’ils t’emmènent avec eux. Tu verras si tu continues de les soutenir, quand tu seras traitée comme un chien. Leslie pleurait bruyamment, Suzy criait en tremblant de tous ses membres. Les mots de Sharon crucifiaient Edwina. Elle murmura simplement : –Je regrette. –Ah, elle regrette, voyez-vous cela ! Comme c’est émouvant, ironisa Sharon pleine de ressentiment. Ses paroles se perdirent dans le vacarme des premiers sauvages apparaissant au sommet du mur d’enceinte tandis que le portail était enfoncé. Aussitôt Edwina épaula, fit feu. Elle était seule à tirer.
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