Captives

1611 Words
CaptivesLes Indiens envahissaient tous les bâtiments, quand subitement, une partie de la cloison où était appuyée Edwina vola en éclats sous les coups de hache. La porte se volatilisa dans un fracas de planches brisées. Les trois femmes dissimulées hurlèrent de terreur. Une douzaine de Peaux-Rouges se ruèrent dans le dépôt. Edwina leva son fusil, mais n’eut pas le temps de tirer une dernière salve, se retrouvant encerclée et tenue en joue. L’un d’eux le lui arracha des mains en criant quelque chose qui devait être une injure et brandit sa hache pour lui fendre le crâne, lorsque leur chef entra à son tour, suspendant son geste. La poussant alors violemment, elle tomba à genoux aux pieds de Fils d’Aigle. Les deux sauvages échangèrent quelques mots dans leur langue, Edwina ne comprit rien. Paralysée par une peur panique qui lui broyait les entrailles, elle ne voyait que ses mocassins brodés et du sang qui coulait le long de ses jambières de peau frangées. Puis sa mère, ses sœurs, la rejoignirent, projetées brutalement sur le sol. Suzy atterrit en pleurs à côté de sa sœur aînée, qui, dans un geste protecteur entoura ses épaules de son bras, cherchant à l’apaiser. À sa droite, Sharon et Leslie se tenaient par le bras, pâles, tétanisées de peur. Le cœur d’Edwina cognait si fort, que machinalement elle posa sa main libre sur sa poitrine, comme pour en comprimer les battements. À peine eut-elle esquissé ce mouvement, qu’elle entendit une voix autoritaire lui commander : –Lève-toi, femme. Trop crispée, elle ne parvint pas à remuer. Il s’emporta : –Lève-toi ! La jeune femme tressaillit sans bouger davantage. Elle le vit déposer son fusil à terre, puis empoignant sa chevelure, il lui redressa la tête de force. Immédiatement, elle obtempéra, la douleur étant insupportable. Quand elle fut debout, Suzy s’accrocha à elle de toutes ses forces en hurlant, mais giflée à toute volée par l’une de ces brutes, elle chuta à la renverse, assommée. Fils d’Aigle lâcha Edwina, prête à se baisser pour secourir l’enfant. Elle s’arrêta net, remarquant les scalps sanglants qu’il portait à sa ceinture près de son tomahawk. Les cheveux argentés de son père y étaient. Ses yeux s’agrandirent d’horreur et de dégoût, sa bouche s’entrouvrit sur un cri. Aucun son n’en sortit. Les larmes montèrent, pourtant elle les contint en se mordant les lèvres. Tout ce temps, Fils d’Aigle qui l’observait, la trouvait plutôt courageuse cette squaw blanche habillée comme un homme, qui tirait très adroitement au fusil et retenait ses pleurs. Aucune comparaison n’était possible avec les deux autres femmes pleurnichardes. Soudain, il eut l’intuition qu’elle devait avoir un lien avec la chevelure blanche qu’elle ne cessait de fixer. Se ressaisissant, Edwina leva la tête. Elle plongea son regard dans ses yeux sombres étirés vers les tempes et ne put s’empêcher d’admirer son visage : des pommettes légèrement saillantes, un nez droit, des lèvres pleines, sensuelles, un menton volontaire. Quelle perfection des traits ! Les peintures de guerre ne l’enlaidissaient même pas. Il portait l’importante coiffe en plumes d’aigles réservée aux chefs de tribus. Deux longues et fines tresses enfilées dans des pattes de renard évidées, pendaient de chaque côté de son visage, la masse de ses beaux cheveux d’ébène retombant dans son dos. Jeune, grand d’une bonne tête de plus qu’elle et pourvu d’une musculature souple et féline, tout en lui faisait penser à un tigre : beauté, force, cruauté. La jeune femme baissa les yeux n’arrivant plus à soutenir l’intensité de son regard dans son visage impassible. Il lui semblait qu’il fouillait au fond de son âme pour y arracher ses pensées. Sur un ton toujours sévère, il la questionna : –Tu es courageuse pour une femme, qui es-tu ? L’immense peine qu’elle ressentait laissant place à la colère, elle répondit, haineuse : –Mon nom est Edwina et je suis la fille aînée du général qui commandait ce fort et que tu as assassiné. En parlant elle désignait le scalp de son père. Aussitôt, il répliqua en usant du même ton qu’elle : –Moi, Fils d’Aigle, j’ai tué ton père loyalement après une lutte à mort entre lui et moi. J’ai été très bon de lui accorder cette dernière chance, alors qu’il a trahi ma confiance en exterminant les miens. En lui donnant mon amitié, j’ai oublié que les Blancs demeurent lâches, vils, menteurs, perfides. Je hais ta race, femme. Regarde autour de toi, toi aussi tu as tué mes frères. –J’ai tiré sur eux pour me défendre, et tu te trompes sur mon père, il ne t’a … D’un geste, il l’interrompit brutalement, ses yeux étincelaient de fureur. –Tais-toi, je ne veux plus t’entendre, ta langue est trop longue. Edwina pencha la tête, tremblante, pressentant qu’il était sur le point de la frapper. À ses pieds, Suzy gisait toujours inanimée. Elle se baissa pour la prendre dans ses bras, mais Fils d’Aigle donna un ordre à l’un de ses guerriers et elle lui fut enlevée. La jeune femme se releva précipitamment. Il était déjà trop tard, l’enfant était emmenée dehors. Son cœur se serra dans un mauvais pressentiment et les paroles d’Alvin lui revinrent en mémoire : « Ils ne s’encombreront pas d’elle. » Oh non ! C’était trop inhumain. Elle s’élança derrière l’Indien, voulant suivre sa petite sœur, mais la main brutale de Fils d’Aigle s’abattit sur son épaule, l’empêchant d’aller plus loin. Reprenant vie, Sharon toujours agenouillée, se mit à hurler, son instinct de mère la prévenant qu’elle ne reverrait pas sa fille vivante. Quelques minutes passèrent, angoissantes, puis le Peau-Rouge revint, les boucles de Suzy ornaient sa ceinture. Arrivée au terme de ce qu’elle pouvait supporter, Leslie s’évanouit, tandis que Sharon sombrait dans une véritable crise d’hystérie, criant, se tordant les mains. Seule Edwina conservait sa maîtrise, s’efforçant de ne pas chanceler, et malgré les larmes qui coulaient sur ses joues, elle regardait Fils d’Aigle dans les yeux en se tenant très droite. Il lui demanda : –Que fais-tu ici avec elles, ce n’est pas la place des femmes ? Edwina crut qu’elle ne parviendrait pas à articuler un mot tant l’émotion contractait sa gorge. En faisant un terrible effort sur elle-même, elle réussit à dire d’une voix faible : –Je suis restée de nombreuses semaines sans voir mon père et mon époux, j’ai décidé de les rejoindre, ma mère m’a accompagnée ainsi que mes sœurs. –Seulement tu ne savais pas que je devais attaquer le fort. –Si, un officier était venu nous prévenir. J’ai pris le risque de m’y rendre quand même. –Tu ne manques pas d’audace. Une étincelle admirative brilla dans ses prunelles, se transformant vite en mépris à l’égard de Sharon et de Leslie. Sa lèvre supérieure se retroussa dans un rictus de dégoût. –Thitpan, Cuyloga ? appela-t-il. Deux sauvages s’approchèrent de lui. Il leur lança des ordres brefs en montrant les deux femmes effondrées sur le sol. Le premier accouru, nommé Thitpan, sortit son couteau, se saisit de Leslie et lui trancha la gorge, un flot de sang jaillit, puis il réunit sa chevelure afin de lui découper la peau du crâne avec une habileté démoniaque. Edwina plaqua sa main sur sa bouche pour étouffer son cri. Sharon replongea dans une crise de nerfs plus terrible encore. Perdant tout contrôle, elle se roula par terre. L’autre Indien, Cuyloga, s’empara d’elle et la roua de coups pour la calmer. Folle de douleur devant tant d’horreur, Edwina voulut se jeter sur lui, Fils d’Aigle la retint. Immobilisée, elle ne put que supplier : –Je t’en prie, je n’ai plus que ma mère, épargne-la. Tu t’es vengé de tes ennemis puisque tu les as tous éliminés. Que t’apporterait cette mort supplémentaire ? Dis-lui d’arrêter. Je n’ai plus de sœurs, laisse-moi ma mère. Edwina termina, la voix enrouée de chagrin. Fils d’Aigle la lâcha, et sur un signe, Cuyloga abandonna à regret Sharon. La jeune femme s’empressa auprès d’elle. Son chignon était défait, son visage portait des marques bleues. Sa robe de soie mauve, malmenée, se déchirait aux manches. Edwina remit rapidement de l’ordre dans la coiffure de sa mère et l’aida à se relever, au prix de beaucoup de peine. Elle évita de regarder le corps de Leslie à la jolie tête mutilée. Puis, Thitpan et Cuyloga attachèrent leurs poignets droits à de longues cordes et les entraînèrent à l’extérieur en les tirant sans ménagement. Quand Edwina passa à proximité de Fils d’Aigle, sans tourner la tête, elle lui dit dans un souffle : –Merci de lui avoir accordé la vie. Du plus profond de son être, elle le détestait. Dans la cour du fort, le spectacle était dantesque. Les Peaux-Rouges scalpaient les morts, volaient leurs uniformes pour s’en déguiser en poussant des cris joyeux. Fils d’Aigle leur laissait entière liberté, estimant sans doute que ses braves avaient bien le droit de s’amuser après un si rude combat. Le butin pillé à l’intérieur du Quartier Général et dans les locaux réservés aux soldats, s’amoncelait à l’entrée. Les chevaux des militaires furent amenés et les Indiens s’en servant comme animaux de bât, chargèrent les prises de guerre dessus. L’armement représentant leur plus grand trésor, il ne resta bientôt que des caisses vides dans le dépôt. Tout fut dévalisé promptement, allant rejoindre le reste. Edwina eut un haut-le-cœur, tant ce qu’elle découvrait était effroyablement laid. Les hommes à la tête saccagée, reposant au milieu de flaques sanglantes, leurs vêtements dépecés. Et ces monstres qui se paraient de leurs chevelures, à celui qui emporterait le plus de ces affreux trophées. Quelle ignoble coutume ! Quelle vision d’épouvante ! Où était son père, son mari, le fiancé de Leslie, la dépouille de Suzy ? Elle ne le saurait pas et c’était mieux comme cela, leur vue lui aurait été intolérable. À présent, elles arrivaient de l’autre côté du m******e et c’était tout aussi atroce. Les natifs gisaient dans des positions plus ou moins grotesques parmi les cadavres de leurs chevaux foudroyés en pleine course. Fils d’Aigle rassembla hommes et bêtes, les groupant en colonnes par quatre. Un coup d’œil sur ses guerriers défunts lui fit regretter de ne pouvoir les ramener, mais ils étaient trop éloignés de chez eux. Edwina fut placée en tête à côté de lui, et Thitpan qui tenait l’extrémité de la corde, la lui céda. La jeune femme se trouvait entre eux deux. Fils d’Aigle à sa droite, Thitpan à sa gauche. Derrière elle, Sharon était rattaché à Cuyloga. D’un bond les Peaux-Rouges s’élevèrent sur leurs montures avec une agilité stupéfiante, montant à cru pour certains. Fils d’Aigle s’entretint avec six de ses braves, puis après avoir donné le signal de départ, la file se mit en marche. Les six hommes rentrèrent dans le fort.
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