Chapitre 1 — Un nouveau départ
Certaines choses sont plus profondes qu’on ne peut l’imaginer, tout dépend de
la façon dont on les vit.
Je m’appelle Mélissa Gordon. J’ai dix-huit ans, et j’en aurai dix-neuf le mois
prochain. Je ne sais pas si l’on peut vraiment dire que j’ai vécu, mais je peux vous
assurer que j’ai vu assez de choses pour une jeune femme de mon âge. Les
expériences, bonnes ou mauvaises, laissent toujours des traces, comme des
cicatrices invisibles que seuls les souvenirs savent raconter.
Tout a commencé il y a quatre ans, juste après l’obtention de mon brevet, en 3ᵉ.
À cette époque, j’habitais à Manhattan, au cœur de New York. Une ville qui ne
dort jamais, où le béton et le métal rivalisent avec les lumières des enseignes et
le tumulte des passants. Manhattan m’avait façonnée à sa manière : je marchais
vite, je parlais vite, et j’avais appris à observer tout autour de moi sans jamais
perdre mon calme. C’était un monde où chacun courait après ses rêves et où les
surprises attendaient à chaque coin de rue. J’y vivais avec ma demi-sœur, que j’ai
toujours considérée comme une mère. Pendant six ans, elle m’a guidée,
protégée, parfois grondée, mais toujours avec un amour inconditionnel.
Après mon brevet, j’ai dû quitter ce monde urbain pour retourner en République
démocratique du Congo, auprès de mes parents. Ce retour était étrange : les
bruits de Manhattan remplacés par les chants des oiseaux et le rythme plus lent
de la vie quotidienne. C’est là, dans la chaleur familière de notre maison, que j’ai
appris que j’avais réussi mon examen. J’ai senti une bouffée de soulagement,
mais aussi une excitation douce : un nouveau chapitre s’ouvrait, inconnu et
prometteur.
Ma mère, Amélie, est une femme à la beauté discrète mais captivante. Sa peau
claire, son sourire doux et son regard profond la rendent inoubliable. Elle n’a pas
eu l’occasion de fréquenter longtemps l’école, mais son intelligence naturelle est
impressionnante. Elle comprend les gens avant même qu’ils parlent et voit
souvent ce que personne d’autre ne remarque.
Mon père, Gérard, est l’opposé. Grand, à la peau noire profonde, il impose
naturellement le respect. Son regard sévère et son autorité presque militaire
font trembler ceux qui ne le connaissent pas, mais derrière ce masque se cache
un amour silencieux, exprimé à sa façon. Gérard est un homme de principes,
strict, exigeant, mais juste.
Pour ma seconde, j’ai été inscrite au collège Saint Paul. Arriver dans ce nouvel
environnement était déstabilisant. Moi, fille de ville, débarquant dans un petit
village rythmé par des traditions et des habitudes très différentes de Manhattan.
Au début, j’étais observatrice, sérieuse, attentive à chaque détail. Je me sentais à
la fois étrangère et fascinée par ce monde si différent. Et, je l’avoue, un peu
glamour, ce qui ne passait pas inaperçu.
C’est là que j’ai rencontré Célia.
— Hello, moi c’est Célia, et toi ?
— Gordon.
— Pas ton nom, ton prénom.
— Mélissa.
— Tu viens d’où ?
— Manhattan, à New York.
— Ahh, cool !
Son sourire chaleureux a immédiatement créé un lien. Célia avait cette énergie
qui rendait les journées plus légères, un rire contagieux et un regard qui semblait
comprendre mes silences. Très vite, nous avons partagé des heures à parler de
tout et de rien, à échanger des confidences, à rire de nos maladresses et de nos
petits drames.
Le premier jour au collège Saint Paul était étrange et fascinant à la fois. Dès que
j’ai franchi le portail, j’ai senti ce mélange de curiosité et de nervosité qui vous
prend au ventre quand tout est nouveau. L’odeur du ciment chaud, le
bruissement des feuilles dans les arbres, les cris des élèves qui s’exclamaient en
se retrouvant… tout cela créait une atmosphère à la fois excitante et intimidante.
J’ai marché lentement dans la cour, observant les groupes se former
naturellement, les rires, les regards qui passaient de moi aux autres, et parfois
des murmures que je ne comprenais pas. Manhattan m’avait appris à me fondre
dans la foule, mais ici, chaque regard semblait peser davantage, chaque sourire
ou froncement de sourcils était une énigme à déchiffrer.
En classe, tout semblait différent. Les bancs étaient plus espacés que dans mon
ancienne école, les murs étaient peints de couleurs chaudes, et le tableau noir
était remplacé par un blanc éclatant, où le professeur écrivait d’un geste précis.
Je me suis installée au milieu, observant les autres élèves. Certains me
regardaient avec curiosité, d’autres avec suspicion. Mais Célia était là, et son
regard complice me donnait confiance.
Pendant la pause, nous avons exploré un peu le reste du collège : la
bibliothèque, avec ses étagères chargées de livres aux couvertures vieillies, les
terrains de sport où résonnaient les cris et les ballons, et le petit kiosque où l’on
vendait des goûters. Tout était si différent de Manhattan, mais étrangement
charmant.
Très vite, nous avons aussi remarqué que toutes les amitiés n’étaient pas
bienveillantes. Deux filles de la série de Célia, avec des sourires forcés et des regards calculés, semblaient vouloir me déstabiliser. Elles chuchotaient, me
jaugeaient et tentaient de semer la méfiance entre Célia et moi. Mais nous
avions un lien fort, et chaque tentative de séparation renforçait notre complicité.
À la fin de cette première journée, en rentrant chez moi, j’ai senti un mélange de fatigue et d’excitation. Mon esprit tournait, réfléchissant à ce nouvel
environnement, à toutes ces relations naissantes, et à ce que cette année
pourrait m’apporter. Je savais que la route serait parsemée d’épreuves, de
rencontres inattendues et de surprises, mais pour la première fois depuis
longtemps, j’étais prête à les affronter.
Et, tandis que je posais mon sac dans ma chambre et que la lumière du soleil
filtrait à travers les rideaux, j’ai senti que ce nouveau départ serait bien plus
qu’une simple année scolaire : c’était le début de ma véritable histoire.