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Elio Di Angioni scrutait l’horizon, adossé contre le capot de sa rutilante Masserati depuis il ne savait combien de temps. D’ici, il avait une magnifique vue sur les îles Éoliennes lointaine.
Il avait encore de la route à faire avant d’attendre sa destination mais il n’avait pu s’empêcher de s’arrêter un tout petit peu pour admirer son île. La Sicile.
Cela faisait trop longtemps qu’il n’y était pas revenu.
Après la mort de sa femme Isabella, il avait passé de longues années à Londres, après avoir vendu le domaine qu’il avait acheté à celle-ci en Sardaigne, sa région d’origine, où se trouve le siège de son entreprise. La distance ainsi que travailler comme un forcené furent des moyens comme un autre pour surmonter son chagrin et oublier. Mais, on n’oubliait jamais vraiment.
Surtout, qu’il devait retourner de temps à autre en Sardaigne pour s’occuper des affaires affiliant à sa défunte épouse. Le siège de l’association de sa défunte épouse s’y trouvant toujours, aujourd’hui tenue par sa jeune sœur Fiorella. Isabella aurait été si fière de voir combien le travail qu’elle avait fournir payait et combien de gens son association caritative aidait. Oui, elle aurait aimé.
S’il n’y avait pas le gala de charité, il n’y retournerait sans doute jamais. N’avait-il pas vendu leur propriété et le petit vignoble ? Pour la villa, il voulait encore la garder. Il l’a d’ailleurs dernièrement prêté à son amie Annika Evans, créatrice de bijou qui lui avait offert une de ses créations pour la vente aux enchères organisé le soir et au profit de l’association de sa femme. Celle-ci qui venait de se marier, l’avait bien sûr invité aux noces.
Cela avait été un beau mariage. Elle avait l’air eu si heureuse tout comme son mari Artur Shepherd. Ils resplendissaient l’amour. Et tout cela lui avait remonté des souvenirs. Beaucoup trop.
Elio poussa un soupir en proie à la tristesse et à la douleur, devenues aujourd’hui comme une seconde peau.
Fermant les yeux, il inspira l’air chaud.
Il n’avait rien oublié de cette nuit-là. Il se souvenait parfaitement de chaque détail avant, pendant et après leur accident de voiture. Il revenait d’avec sa femme d’un diner en amoureux comme ils leur arrivaient que trop peu souvent. Pris par son travail, il avait que trop peu de temps à accorder à sa femme et ce soir-là il avait dû insister pour qu’ils sortent. Si seulement, il avait renoncé et était tranquillement resté avec elle à la maison tout cela ne serait pas arrivé. Et, même après cinq ans, il se sentait toujours autant coupable.
Rouvrant les yeux, il scruta la route qu’il allait emprunter et qui conduisait à Milazzo. Il devait y aller avant d’aller au Palazzo de sa famille où il comptait séjourner quelques jours, se vider l’esprit.
Entre son travail devenu harassant et les souvenirs qui le martelaient, il avait besoin de calme et de repos. Et, il savait les trouver dans la vieille demeure qui était en ce moment vide car son oncle Silvio et sa femme Rebecca étaient en ce moment à Rome attendant la naissance de leurs jumeaux.
Il était encore chamboulé par cette nouvelle qu’il avait apprise il y a quelques semaines. Il était très heureux pour son oncle. Cet homme qui après la mort de ses parents, l’avait accueilli, un gamin de dix ans à peine, malheureux et en colère contre le monde entier, et élevé seul. Son père avait été le frère jumeau de celui-ci et par conséquent en voyant son oncle il avait toujours l’impression de revoir son père.
Et, celui-ci allait être enfin père. Ou devrait-il avoir ses premiers enfants biologiques, pensa-t-il au souvenir de Meghna. La fille adoptive de son oncle, fille de sa femme anglaise qu’il avait épousée douze ans plus tôt. Vu qu’il commençait à se lancer dans les affaires et ne pouvait plus rester longtemps à la demeure familiale, il avait été heureux de savoir que son oncle ne serait plus seul.
Il lui avait fallu pourtant un moment pour apprécier Rebecca et sa fille. La femme noire avait étrangement une fille blanche brune aux yeux sombres. Un vrai petit garçon manqué qu’il s’était effectué de protéger le peu d’années où il l’avait côtoyé tel un grand-frère.
Il ne savait pas grand-chose de la jeune femme qu’elle était devenue à part qu’elle était toujours la même - un vrai garçon manqué et qui apprécierait plus la compagnie des femmes que des hommes - et enchainait des activités plus dangereuses les unes les autres. Il ne l’avait pas revu depuis des années, depuis son mariage, mais dernièrement, elle se trouverait sur une plateforme pétrolière quelque part sur l’atlantique. Ce que lui avait dit son oncle, qui était toujours inquiet pour elle.
En fait, il pensait se souvenir l’avoir aperçu lors des obsèques d’Isabella mais cette journée restait encore assez brumeuse dans son esprit alors peut-être avait-il dû rêver.
Se redressant, il grimaça.
La douleur à son genou était toujours là, plus aussi douloureuse qu’autrefois, se rappelant de manières insidieuses à son bon souvenir, mais elle n’était en rien comparable à celui qu’il ressentait dans son cœur depuis toutes ses années.
Poussant un soupir, il remonta dans sa voiture et quelques instants plus tard démarra.
* * *
Avec un large sourire, Meghna sortit la tête par la vitre du taxi qui la conduisait au Palazzo Di Angioni et inspira l’air chargé des senteurs de fleurs familières. Les bougainvillées, qui cachaient quelques parterres de roses, longeant la route menant à la propriété étaient en fleurs et leur couleurs divers formaient une si belle beauté qu’on n’en pouvait qu’en être ravir.
Elle était si heureuse d’être de retour à la maison. Même si elle adorait vivre à Rome sa préférence restait la propriété. Et avec le printemps - dont elle pourrait heureusement profiter pendant deux semaines encore - l’endroit était magnifique. C’était un bonheur de revenir ici sans avoir à rencontrer les sempiternelles touristes car elle avait besoin de repos après toutes ses journées éreintantes passées en plein milieu d’une mer froide et agitée.
Son travail l’avait mené ses quatre dernières années dans des endroits aussi improbables que dangereux. Elle se souvenait encore de son aventure dans la jungle amazonienne qui aura duré neuf semaines. Il y régnait une chaleur moite incroyable. Au début en tout cas car elle avait vite compris que les saisons de pluies y étaient épouvantables. Elle a passé le reste de son séjour à travailler sur ses déluges glacés au milieu d’hommes au regard libidineux ou hargneux et aux paroles encore plus.
Peu importait où elle avait eu à travailler, elle s’était toujours retrouvée entourer d’hommes pour qui sa présence était une tâche et même une insulte. Comme si une femme n’avait pas le droit de travailler dans une mine ou sur une plateforme pétrolière. Elle leur avait montré qu’elle était autant et même plus capable de travailler durement qu’eux. Elle n’avait pas peur d’affronter le danger, au grand dam de ses parents et amis.
Braver les remarques et les préjugés avaient été ses quotidiens ses dernières années et son allure de garçon manqué n’arrangeait pas les choses.
Avec une moue, elle secoua la tête pour rebrousser toutes ses images. Pas questions de pensées à ça maintenant et surtout ici. Offrant son visage au ciel et au soleil qui filtrait entre les feuillages, elle sourit. Elle était là pour se détendre. Et surtout se reposer.
Lorsque la voiture se gara quelques minutes plus tard devant l’immense demeure, elle aperçut la gouvernante, une petite vieille femme aux cheveux bruns grisonnants sortit et après avoir être descendu les quelques marches de pierres vint dans leur direction. Avec un grand sourire, elle descendit de voiture et courut se réfugier dans les bras de la vieille femme qui la récompensa par un large sourire.
Se redressant, elle aperçut son mari Valentino, tout aussi âgé que sa femme, les rejoindre. Le couple s’occupait de la maison lorsqu’elle se retrouvait sans ses propriétaires, comme en ce moment. Ce qui était très rare. Elle le salua aussi chaleureusement et pendant que celui-ci allait récupérer ses affaires dans le taxi, Rosario la bombarda de questions tout en l’examinant. Cela faisait un bon moment qu’elle n’avait pas pratiqué l’italien mais elle le parlait parfaitement bien après toutes ses années ici.
Secouant la tête avec un air réprobateur, Rosario lui ébouriffa les cheveux.
Elle était vêtue tout en noir, de son jean à son t-shirt à ses baskets. Avec ses cheveux coupés court, Meghna a toujours été traité de garçon manqué et elle l’assumait. Mais, avec ses vacances, elle avait décidé de se laisser un peu poussés les cheveux pour voir quelle tête cela lui donnerait. Depuis le temps que son meilleur ami Victor insiste pour qu’elle le fasse.
- Vous ne savez pas combien vous m’avez manqué, dit-elle en entourant d’un bras les épaules de la gouvernante et l’entrainant à l’intérieur de la maison.