Chapitre 6

803 Words
6.Chloé avait rencontré un étudiant avec qui cela aurait pu marcher. Une seule fois. C’était lors d’une soirée dans le kot d’une amie de fac. Il n’y avait qu’une dizaine de personnes, affalées pêle-mêle dans les canapés. On avait lancé un jeu à boire – une pyramide – mais ça n’intéressait déjà plus personne et les cartes reposaient face cachée, éparpillées au milieu des bouteilles vides. Un joint circulait entre les sièges, tandis que trois étudiants s’enflammaient sur les affaires de détournements de fonds publics. Assis sur un accoudoir, un jeune homme bien bâti considérait les autres d’un regard aimable et attentif. Lorsque Chloé s’était réfugiée sur la terrasse pour prendre l’air, il l’avait suivie. Ils avaient partagé une cigarette et discuté si longtemps qu’elle en avait oublié tout le reste. Chloé raconta son année au Nicaragua, après la rhéto. Elle parla des cours qu’elle avait donnés dans une petite école, des paysages vierges et de son malaise face à tant de pauvreté. Il l’écoutait avec attention et se montrait curieux d’en apprendre davantage lorsqu’elle restait évasive. Ils avaient échangé leurs points de vue sur les voyages humanitaires, le dépaysement, la vision d’une réalité sans édulcorants, mais aussi les désillusions et le sentiment d’impuissance. Lui était parti tout un été au Burkina Faso et ils comparèrent leurs expériences. Ses yeux ne la quittaient pas. Ils pétillaient dans la nuit. Était-ce l’alcool ou le désir ? — On devrait rejoindre les autres, dit-elle doucement en écrasant la cigarette contre le mur. — Je préfère rester avec toi. Chloé détailla ce jeune homme, son visage fin qu’encadraient des mèches cuivrées. Elle ne parvenait pas à percer ses intentions. — On peut aller chez moi, si tu veux. Ce sera plus calme et ce n’est pas loin d’ici, proposa-t-elle avec un sourire aguicheur. Il secoua la tête et enfonça les mains dans les poches de son jeans délavé. — Je ne veux pas aller chez toi, Chloé. Pas comme ça. Ça va te sembler vieux jeu, mais j’aime faire les choses dans l’ordre et prendre mon temps avec une fille. Je veux t’inviter à prendre un verre, apprendre à te connaître. Une histoire d’un soir, ça ne m’intéresse pas. Elle avait ri, incrédule. Elle riait toujours lorsqu’elle se sentait nerveuse et le sens de ces mots la déstabilisait. — Tu dis ça à toutes les filles, n’est-ce pas ? — Je t’assure que non. Chloé resta sur la défensive. Il était mignon, drôle et captivant. Pourquoi voudrait-il l’inviter, elle ? Elle croisa les bras et pris un air désinvolte. — Je te préviens, je suis une fille très occupée, mais je peux tenter de me libérer un soir. — Demain, 20h30 ? Elle écarquilla les yeux, étonnée de son assurance. — Oui, d’accord. Rendez-vous devant le ciné ? — Ça marche. Il posa un léger b****r sur son front et retourna à l’intérieur. Le reste de la soirée se déroula sans anicroche. Il la couvait du regard et quand elle avait annoncé qu’elle était fatiguée, il s’était levé pour la raccompagner. Il avait tenu parole. Il n’était pas entré. Il l’avait quitté sur le seuil de la porte, avec un sourire doux. — Fais de beaux rêves, Chloé. Demain, 20h30. Le lendemain, Chloé s’était levée avec le sourire et l’estomac noué. Elle avait enfilé une robe fluide, puis avait décompté les heures. Les cours ne lui avaient jamais semblé aussi abstraits et superficiels. Elle ne réussit pas à prendre des notes et n’avala rien de la journée. 20h. Debout devant son miroir, elle rectifiait son apparence, sans parvenir à être satisfaite. Ses cheveux bouclés refusaient de prendre forme. Ils tombaient en pagaille autour de son visage fatigué. Sous sa robe, sa poitrine généreuse manquait d’élégance. Elle ne pouvait pas s’y rendre comme cela. Elle essaya un pantalon, une jupe, un jeans, modula un chignon, puis une tresse et finit par tout défaire avec rage. Et ce garçon qui l’attendait ! Il semblait vraiment s’intéresser à elle. Comment pouvait-elle être à la hauteur, alors que lui dégageait un charme si naturel ? Chloé avait l’habitude des relations sans lendemain, ces gars qui traversaient sa vie pour ne laisser qu’un oreiller vide le matin. Ils rappelaient parfois pour la revoir. Elle répondait rarement. Elle maîtrisait les codes pour séduire, mais elle ignorait comment plaire à quelqu’un qui recherchait plus qu’une nuit de caresses. Là, il n’y avait plus d’artifices et elle ne savait comment s’y prendre. Elle allait le décevoir, elle en était certaine. 20h45. Chloé sécha ses yeux rougis et se décida à se diriger vers le cinéma. Elle s’arrêta à quelques mètres, d’où elle pouvait voir sans être vue. Il était là, bien droit, le visage fermé. Elle lut la déception dans son regard et cela figea ses pas. Qu’allait-elle dire pour se rattraper ? Elle aurait pu mentir et se servir d’un prétexte usuel. Un contretemps, un oubli, un appel imprévu. Il l’aurait excusée, elle en était sûre, mais il méritait mieux qu’un mensonge. C’était trop tard, elle avait tout gâché. Son téléphone vibra dans sa poche. Il essayait de l’appeler, mais elle n’avait la force ni de l’attendrir par un mensonge ni d’affronter ses reproches. A 21h15, il s’en alla, jetant de temps en temps un regard par-dessus son épaule. Au cas où. Il s’appelait Jérôme. Chloé retenait difficilement les prénoms, mais elle n’oublierait pas le sien.
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