XII

475 Words
XIIAh ! je n’en aurais pas tant demandé, moi. Que mon père eût été un pauvre manœuvre et que je l’eusse seulement connu, cela m’eût suffi ! Comme je l’aurais aimé, comme j’aurais été heureux ! Peut-être avait-il une raison pour ne point épouser ma mère, pour ne point me reconnaître. Cette raison, il me l’eût dite, je l’eusse comprise. Pourquoi n’a-t-il pas fait cela ? Et pourquoi ma mère ne me parlait-elle jamais de lui ? Ne me devait-elle pas une confidence, une explication, – une excuse ? À quoi attribuer son silence ? Était-ce remords ou dignité ? Était-elle trop coupable ou trop fière ? – Et lui, pourquoi ce silence plus obstiné encore ? – Comment croyait-il ne rien me devoir ? – Ma mère n’était-elle en droit de rien exiger ? – Doutait-il qu’il fût mon père ? – Ignorait-il jusqu’à mon existence ? – Peut-être ! J’en arrivais ainsi, de déductions en déductions, jusqu’aux suppositions les plus outrageantes pour celle dont j’étais né, et, tout épouvanté de ce que j’avais entrevu de possible, je n’avais que le temps d’appeler mon cœur au secours de ma raison et de me crier à moi-même : « Malheureux ! c’est ta mère, tu n’as pas besoin d’en savoir davantage. Que dirais-tu donc si elle t’avait abandonné, elle aussi ? Ne le pouvait-elle pas ? Et elle t’a élevé, et elle t’aime, et elle n’aime que toi, et elle travaille jour et nuit pour te faire vivre, et elle mourrait de ta mort ! Quelle femme est plus vaillante ? Elle est belle ! elle pourrait aimer encore et être aimée, si elle voulait ; et tu lui suffis cependant, et nul ne pénétrera plus dans cette âme dont tu es le maître, et tu n’as pas surpris dans toute sa vie une action douteuse ! Combien d’orphelins légitimes voudraient être à ta place ! combien d’enfants nés légalement donneraient leur mère pour la tienne ! Jette-toi dans ses bras, malheureux, et pleure abondamment. Tu n’auras jamais assez de larmes pour laver ton esprit. » Oui, mille fois oui ; mais empêchez donc la pensée de l’homme qui, dans sa curiosité, va frapper jusqu’aux portes du ciel et interpeller Dieu dans l’infini, de rechercher les causes de son être, de comparer, de douter, de se plaindre, et surtout de s’en prendre aux autres quand il souffre ! Je ne pouvais non plus apprendre la vérité de quelque membre de ma famille ; je n’en ai jamais connu un seul : ni grand-père, ni grand-mère, ni oncle, ni tante, ni cousins. Ma mère était-elle aussi un enfant abandonné ? S’était-elle sauvée de chez ses parents ? Avait-elle été chassée dès que sa faute avait été connue ? Je ne sais rien, absolument rien, et je ne crois pas qu’il y ait pour un être intelligent une situation plus poignante que celle où toute ma jeunesse s’est trouvée enfermée, et que l’ignorance où je suis encore de ma généalogie, si modeste, si obscure qu’elle soit. L’homme se plaît à remonter dans le passé par les noms de ses aïeux, et à se sentir des racines dans la famille universelle : « Mon grand-père disait ceci ; ma grand-mère avait telle habitude ; je me rappelle que mon oncle et ma tante… » Ces phrases faciles que les hommes se disent entre eux quand ils parlent du passé, je ne les ai jamais dites, et elles m’ont manqué plus que vous ne sauriez croire.
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