Chapitre 3 :
Il existe des plaies que le temps ne guérit pas. Elles ne s’effacent pas, elles s’enlisent sous la peau, prêtes à se rouvrir au moindre souvenir. Et parfois, c’est précisément cette douleur persistante qui prouve qu’on respire encore.
Henry Von Roxweld refusait de mourir comme un homme paisible. Même étendu parmi les oreillers d’un lit royal, blafard et amaigri, il gardait l’allure d’un conquérant. Sa voix, fendue comme du verre, portait encore la résonance d’un roi habitué à être obéi. L’âge et la maladie avaient brisé son corps, mais sa volonté demeurait de fer.
— Sois vigilant, Atlas… très vigilant, murmura-t-il en crispant ses doigts sur la couverture, comme s’il s’accrochait encore au monde. Elle est rusée, cette femme. Trop rusée. Et pourtant… j’ai cru l’aimer.
Atlas resta immobile, le regard rivé sur l’homme à demi englouti par les draps. Henry leva une main tremblante, et ce simple geste fit taire toute hésitation. Même réduit à une ombre, son autorité emplissait encore la pièce.
— Père, ne bougez pas ! protesta Atlas en s’approchant, inquiet. Vous devez vous ménager.
Mais un seul regard du roi le stoppa. Ce n’était pas de la colère. C’était un ordre. Un rappel silencieux : *je suis encore le roi, même sur mon lit de mort.*
— Atlas, dit Henry d’une voix basse, chaque mot détaché comme une sentence, je ne sais pas ce qui s’est passé depuis ta… renaissance. Les serviteurs parlent. Ils disent que tu n’es plus le même. Que la mort t’a transformé. Peut-être ont-ils raison. Quoi qu’il en soit, souviens-toi : tu restes mon sang. Mon fils. Atlas von Roxweld, héritier d’Henry Ier. Le prince de Berkimhum.
La force de son ton fit trembler les murs. Atlas sentit la vieille honte remonter — celle du fils éclipsé par Lara, le prodige de la famille. Mais cette fois, quelque chose d’autre brûlait derrière ses yeux : une lueur farouche, nourrie de rancune et de fierté mêlées.
Henry inspira laborieusement, puis parla avec lenteur, comme s’il mâchait ses propres remords.
— J’ai commis des erreurs, avoua-t-il. J’ai tout donné au trône, tout pris à mes enfants. Lara a reçu mon attention, mon admiration, et toi… rien. Je t’ai laissé te faner dans son ombre. J’aurais dû être ton père, pas seulement ton roi.
Les mots frappèrent Atlas plus fort que n’importe quel reproche. Une chaleur étranglée lui monta à la gorge, et il détourna le regard, incapable de soutenir celui de son père. Des années d’indifférence, de silence et d’humiliation s’effondraient d’un coup, remplacées par quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps : la reconnaissance.
— C’est étrange, souffla-t-il d’un rire tremblant. Ces mots-là… je crois que je les ai attendus toute ma vie.
Le vieux roi esquissa un sourire sincère, fatigué mais vrai.
— Alors écoute-moi, mon fils. Ce n’est pas un pardon que je te demande. C’est une promesse que je t’offre. Tu es prêt, maintenant. Dis-moi seulement : que désires-tu ?
Atlas redressa la tête, les yeux encore brillants.
— Votre estime. Et une raison de mériter votre nom.
Henry hocha lentement la tête, ému.
— Tu as déjà fait plus que cela. Regarde-toi : debout après avoir chuté. C’est le signe des vrais souverains.
— Non, répondit Atlas en serrant les poings. Ce n’est pas du courage, c’est de l’obstination. Je tombe, je me brise, je me relève, encore et encore. Je n’ai rien d’autre.
Le rire d’Henry se transforma en une quinte de toux, mais il parvint à murmurer entre deux halètements :
— Et c’est précisément pour cela que je t’ai choisi. Pas pour ton intelligence ni pour ton charisme, mais pour ce feu en toi qui refuse de s’éteindre. Ton orgueil te sauvera, Atlas. Un roi sans orgueil n’est qu’un pantin.
Les mots résonnèrent comme un serment gravé au fer dans sa mémoire : *Un roi sans orgueil n’est rien.*
Henry se tut un instant, puis reprit, plus bas, presque conspirateur :
— Ne baisse jamais la garde. La couronne que ta belle-mère porte ne lui appartient pas. Observe-la. Elle ne reculera devant rien pour t’écarter. Même pas le meurtre.
Atlas acquiesça, la mâchoire serrée. Les jeux de pouvoir, il les connaissait — mais jamais sous cette lumière intime. Son propre père l’avertissait de se méfier de la reine. C’était plus qu’un conseil : c’était un testament.
Lorsqu’il quitta la chambre, les gardes s’écartèrent en silence, leurs yeux suivant chacun de ses pas. Les murmures avaient déjà commencé à courir dans le palais : le prince banni, ressuscité, appelé à succéder à un roi mourant. Les intrigues s’enflammeraient avant la tombée du jour.
Sansa, la servante, l’attendait dans le couloir, un plateau tremblant entre les mains.
— Votre Majesté… le roi… ?
— Il vit encore, répondit-il sans la regarder. Et c’est tout ce qui compte.
Il la dépassa, le pas rapide, et gagna le balcon. Rexos s’étendait à perte de vue, inondée de lumière dorée. Un peuple affairé, des marchés pleins, un royaume vibrant d’une vie qu’il ne partageait pas. Il posa les mains sur la pierre froide, le cœur lourd, quand un son étouffé le fit se retourner.
Henry suffoquait. Ses toux déchiraient le silence. Atlas accourut, mais le vieil homme, dans un dernier sursaut, leva un poing refermé. Quand il l’ouvrit, un éclat d’or jaillit : une bague, sertie d’un sceau royal.
— Prends-la… haleta-t-il. C’est tout ce que je peux te donner. Elle te protégera d’elle. Promets-moi seulement… que ce royaume ne sombrera pas entre ses mains.
Atlas saisit l’anneau, les doigts tremblants. Le métal semblait brûlant, presque vivant.
— Je vous le jure, Père. Tant que je respirerai, Berkimhum ne tombera pas.
Un rire rauque lui répondit, avant de s’éteindre dans un souffle.
Une lueur jaillit alors dans son esprit.
**[Objet reconnu : Sceau d’Autorité d’Henry]**
**[Effet passif détecté : “Ce qui t’appartient m’appartient”]**
**[Vous avez obtenu un attribut du protagoniste principal]**
**[Récompense : +100 points]**
Atlas cligna des yeux, abasourdi. L’écran translucide flottait dans l’air, projeté dans sa conscience.
— C’est… une blague ?
Le système, comme un écho moqueur de ses vieilles sessions de jeu, validait son acte. Il venait littéralement de voler un artefact destiné à Lara… et d’être récompensé pour cela.
Une hilarité nerveuse monta en lui. Le rire éclata, franc, libérateur, presque dément.
— Alors c’est comme ça, hein ? Tu veux jouer à ce petit jeu avec moi ? Très bien. Si ce monde me donne des points pour piétiner le destin, je vais m’en donner à cœur joie.
De retour dans ses appartements, il convoqua l’interface holographique, les chiffres dansant devant lui comme des constellations. Les possibilités se déployaient, infinies : compétences, atouts, évolutions.
— Cent points… murmurait-il en caressant les lignes lumineuses du bout des doigts. De quoi tordre le fil de l’histoire.
Il se redressa, le regard fixe, une flamme nouvelle brillant dans ses pupilles.
— Pourquoi me contenter de survivre ? Autant tout reprendre à Lara. Tout. Son pouvoir, son rôle, son avenir.
Un sourire tranchant fendit son visage.
— On dit que la destinée se mérite. Moi, je la pirate.
—