- DEUX -

354 Words
- DEUX -« UNE PLAINE, pas morne du tout. Une vaste étendue humide mais claire, un plateau allant de l’Arve au coteau du Grand-Lancy, une plaine dans laquelle s’égayaient la Drize et l’Aire. Mais l’homme aime occuper l’espace. L’extension de Carouge et celle de Genève se devaient – à entendre les politiciens – de regarder vers le sud, vers cette plaine de La Praille. Entre les Vernets et le Bachet-de-Pesay, entre Lancy et Carouge, la nature perdait petit à petit ses droits. Se souvient-on même aujourd’hui qu’il y eut ici des amoureux cachés dans les roseaux, ou des mômes faisant des ricochets dans les gouilles de la Drize ? Augustin et Ferdinand étaient alors tout gamins. Déjà, ils aidaient leur père Gustave, qui exploitait depuis avant le siècle ce coin marécageux et magique à la fois. A l’époque, on y parlait de loups-garous. Les soirs de pleine lune, les ombres dessinaient autour des rares habitations des monstres maléfiques que les habitants se gardaient bien d’observer en fermant hermétiquement leurs volets. On m’a toujours parlé d’une terre damnée. Je pense qu’elle le fut et qu’elle l’est encore. Aujourd’hui, à l’endroit où Gustave fonda sa famille, se dresse une sorte de soucoupe volante, quelque peu désaxée : un stade. Un stade qui fut dès l’origine maudit à son tour. Et la source d’une gigantesque zizanie. J’avais envie de raconter que cette parcelle de La Praille constitua pour ma famille le pire des tombeaux. Et, si je continue aujourd’hui à soutenir Servette dans ce lieu maudit, c’est parce que le virus de ce sport m’a été légué bien avant ma conception et que je dois tout autant à mes ancêtres de raconter ce qui les a fait vibrer. Toutefois, je ne suis pas un écrivain. Si vous me lisez, c’est que ce livre aura été publié. Après la malédiction, il y aura donc eu une étincelle de lumière. Servette a toujours été magique, j’ai grandi avec cette idée fixe. Le foot, chez les Carrel, c’est comme une religion. Imposé à la naissance, cultivé semaine après semaine, au gré des événements, du Championnat ou de la Coupe. Le foot rythme notre vie. On va au match le dimanche à 15 heures, comme d’autres à la messe à 10 heures. (Il y en a même qui vont aux deux !). C’est moins calme que l’église, mais c’est souvent plus vivifiant ! »
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